Multiplication des pains. Enluminure du psautier de la reine Marie, manuscrit Royal 2 B VII, folio 169, circa 1310-1320. British Library, Londres (photo : Picryl)

L’Eucharistie, don de Dieu à l’Église

Patrice Bergeron Patrice Bergeron | Saint-sacrement (C) – 16 juin 2019

Multiplication des pains : Luc 9,11b-17
Les lectures : Genèse 14,18-20 ; Psaume 109(110) ; 1 Corinthiens 11,23-26
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Depuis les lendemains de la Résurrection du Christ, l’Église a été fidèle à faire ce que Jésus l’avait enjoint de faire « en mémoire de lui » : l’Eucharistie ! Celle-ci a porté plusieurs noms au long des 21 siècles de l’aventure ecclésiale : « Fraction du pain », « Repas du Seigneur », « Sainte Cène », « Saint Sacrifice de la messe », « Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ », mais c’est toujours le même don, d’une richesse inépuisable, dont l’Église vit ! Ce dimanche de l’année liturgique est donc consacré à contempler ce mystère qui rend le Ressuscité réellement présent à son Église. La messe de ce dimanche fêtera donc la messe !

Un choix d’Évangile étonnant !

L’évangile dominical retenu pour cette fête étonnera. En effet, au lieu de proclamer l’évangile de la dernière cène où Jésus institue l’eucharistie – ce à quoi on s’attendrait, puisque c’est de là qu’elle tire son origine – c’est plutôt un récit de miracle qui nous est proposé, celui des pains et des poissons multipliés. Un récit de l’institution de l’eucharistie nous parvient tout de même, mais par le biais de la seconde lecture de ce dimanche, où Paul livre aux Corinthiens ce qu’il a reçu de la tradition (1 Co 11,23-26).

Coup d’œil sur le contexte

Situons d’abord le texte dans l’ensemble de l’Évangile de Luc. Luc rapporte ce miracle des pains et des poissons presqu’au terme du ministère galiléen de Jésus, juste avant d’amorcer le versant plus douloureux de sa mission, son chemin vers Jérusalem (commençant en Lc 9,51). Habilement, Luc glisse ce « signe des pains » entre les interrogations perplexes du tétrarque Hérode au sujet de Jésus (Lc 9,7-9) et la reconnaissance de l’identité messianique de ce dernier par Pierre (Lc 9,18-22). Il faut croire que le « signe » ait été assez percutant et révélateur pour achever de convaincre Pierre et les autres disciples, qui, sitôt après, livrent leur profession de foi en Jésus Messie.

Le Messie découvert !

En quoi ce signe des pains multipliés trahissait l’identité messianique de Jésus ? À noter que ce n’est pas le miracle alimentaire seul, mais l’ensemble du ministère galiléen de Jésus qui le qualifie pour le poste de Messie. En effet, des guérisons et l’annonce d’une Bonne nouvelle aux pauvres devaient accompagner l’arrivée de l’ère messianique selon les prophéties d’Isaïe [1]. Or, c’est précisément ce que Jésus accomplit en terre de Galilée (Lc 7,22), le premier verset de l’évangile résumant bien l’ensemble de son ministère :

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin.

Des signes prodigieux

Si le ministère « ordinaire » de Jésus permettait déjà de reconnaître en lui les traits du Messie, le miracle des pains et des poissons vient cependant parfaire son profil messianique. Selon les croyances juives de l’époque, l’arrivée du Messie devait s’accompagner d’actes prodigieux rappelant les miracles accompagnant les événements de salut du Premier Testament. Or, le miracle de Galilée n’est pas sans rappeler à la foule qui en sera témoin certains autres miracles alimentaires que la tradition biblique a retenus, impliquant des hommes de Dieu célèbres. Parmi ces actes prodigieux, on pense d’emblée au don de la manne au désert qui nourrit les Israélites durant leur longue marche vers la terre promise. On pense aussi aux miracles alimentaires d’Élie et d’Élisée qui, avant Jésus, multiplièrent huile, farine et pains (1 R 17,7-16 ; 2 R 4,1-7 ; 2 R 4,42-44). Ici, le pain que Jésus donne est plus abondant que ne l’était la manne qui était mesurée pour chaque jour (Ex 16,4.16), de plus, il y a des restes alors que la manne ne pouvait être conservée pour le lendemain (Ex 16,19). Et la multiplication des pains opérée par Jésus est plus spectaculaire que celle d’Élisée : avec cinq pains, Jésus nourrit plus de 5000 convives avec douze paniers de restes ! Élisée dispose de vingt pains initialement pour un nombre indéterminé de convives et de restes non précisés. Oui, ce récit a certainement comme but de nous présenter Jésus comme le Messie des derniers temps, dépassant en gloire Moïse, Élie ou Élisée.

Anticipation de l’Eucharistie à venir

Mais la pointe de ce récit est certainement d’annoncer l’eucharistie à venir. L’Église a toujours fait du miracle des pains une interprétation eucharistique. Les indices que l’évangéliste sème au fil de sa narration achèveront de nous en convaincre.

Le jour commençait à baisser (Lc 9,12). Cet indice chronologique allude, subtilement, mais certainement à un autre repas vespéral du même évangile, celui  des disciples d’Emmaüs avec le Ressuscité où ils le reconnurent à la fraction du pain (Lc 24,29). Or, lorsque l’évangéliste Luc utilise l’expression « fraction du pain », il parle de l’eucharistie de l’Église [2].

Aussi les verbes utilisés pour décrire les gestes de Jésus, seront presque mot pour mot ceux de la dernière Cène – prendre le pain, bénir (ou rendre grâce), le rompre et le donner aux disciples [3] – gestuelle familière aux destinataires des évangiles qui célèbrent déjà, depuis des décennies, l’eucharistie en mémoire de Lui.

Puis le rôle joué par les disciples auprès de cette foule préfigure le « ministère » de l’Église à venir, dans ses fonctions organisationnelle (« Faites-les asseoir par groupe de cinquante » Lc 9,14) et sacramentelle (« Donnez-leur vous-mêmes à manger » Lc 9,13), au service du nouveau peuple de Dieu (« les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule » Lc 9,16) que sera l’Église, préfigurée ici par le motif des « douze » paniers [4].

Un peuple de Dieu nourri jusqu’à la Parousie

Si le signe des pains est une anticipation de l’Eucharistie à venir… Si les vivres de surplus contenus dans ces paniers sont destinés au peuple de Dieu, puisqu’au nombre de douze… La fin de l’épisode ne suggère-t-elle pas cette idée ? Par l’Eucharistie, le nouveau peuple de Dieu, l’Église, dispose d’une nourriture que le Christ lui donne, de la Résurrection à la Parousie, pour vivre de son Seigneur. C’est précisément le motif de réjouissance de cette fête liturgique.

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses et professeur de Bible à l’Institut de formation théologique de Montréal. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] Par exemple : Is 26,19 ; 29,18 ; 35,5-6 ; 61,1.
[2] Par exemple : Lc 24,30.35 ; Ac 2,42.46 ; 20,7 ; 27,35.
[3] Comparez Lc 9,16 et Lc 22,19.
[4] Ancien ou nouveau, un peuple de Dieu s’édifie sur douze colonnes : les douze tribus d’Israël ou les douze Apôtres du Christ.

Source : Le Feuillet biblique, no 2625. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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