Le déluge. Joseph Mallord William Turner, circa 1815. Aquarelle, 204 x 284 mm. Musée Tate Britain, Londres.

Exhortation à la vigilance

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 1er dimanche de l’Avent (A) – 1er décembre 2019

Exhortation à la vigilance : Matthieu 24, 37-44
Les lectures : Isaïe 2,1-5 ; Psaume 121 (122) ; Romains 13,11-14a
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

D’après le message vétérotestamentaire, Dieu se révèle à tous dans la création du monde. Mais selon le discours néotestamentaire, la révélation plénière de Dieu dans l’histoire atteint son dernier mot dans la venue de Jésus :

Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes
(He 1,1).

À l’unanimité, les premiers chrétiens pensent que Jésus ressuscité reviendra à la fin des temps dont le jour ou l’heure sont connus uniquement par Dieu. Lors de cet événement, Jésus se manifestera dans sa gloire pour rassembler toute l’humanité et remettre à son Père ce royaume de Dieu qu’il est venu annoncer et inaugurer sur la terre (Mt 16,28; 1 Co 15,20-28). En écartant toute spéculation sur la date de la fin du monde, tout en soulignant le caractère inéluctable de la venue du Fils de l’homme, Matthieu invite les chrétiens de sa communauté à se tenir toujours prêts. Le texte d’aujourd’hui présente deux paraboles – Le déluge et Le voleur – dont l’une illustre une histoire qui dure et l’autre, le motif de la vigilance.

Le déluge (vv. 37-42)

Dans cette parabole, Jésus annonce que le retour du Fils de l’homme sera aussi soudain que fut le déluge (Gn 6-8) aux « jours de Noé » (v. 37). La venue du Fils de l’homme aura la même brutalité. Dans cette comparaison, Jésus n’insiste pas sur l’inconduite de ceux qui furent engloutis, mais sur leur imprévoyance, c’est-à-dire que ces gens ne se fiaient qu’à leurs propres ressources, aux événements qui dépendaient d’eux-mêmes : ils mangeaient et buvaient, les jeunes hommes se mariaient et les pères donnaient leurs filles en mariage; ils ne s’imaginaient pas que Dieu pouvait intervenir en juge dans la routine du quotidien (vv. 38-39).

Jésus continue son allocution par une double sentence dans laquelle il emploie le procédé du parallélisme : Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé; deux femmes moudront à la meule, l’une sera prise et l’autre laissée. (vv. 40-41) Ces paroles ont en commun avec celles qui les précèdent l’idée d’un événement soudain qui s’abat sur les gens occupés à leurs tâches habituelles. Et cet événement imprévisible provoquera une distinction nette dans le destin d’individus qui, jusque-là, étaient étroitement unis.

La venue du Fils de l’homme tranchera dans les relations les plus quotidiennes, parmi les hommes occupés aux champs et les femmes vaquant de concert aux tâches ménagères. Des individus qui paraissaient semblables aux yeux des êtres humains seront jugés différemmentpar le Fils de l’homme: l’un « sera pris », c’est-à-dire l’individu dont les dispositions intérieures sont jugées bonnes aux yeux de Dieu, sera sauvé comme autrefois ceux qui sont entrés dans l’arche de Noé, et « l’autre laissé », c’est-à-dire l’impie, sera abandonné au péril comme jadis aux affres du déluge. La venue du Fils de l’homme prend alors la figure d’un jugement et ce verdict, soudain et sans recours, n’est pas arbitraire puisqu’il regarde le cœur de l’individu que Dieu seul connaît à fond (15,8-9). Le sort divergent montre que le jugement soudain de Dieu abroge les similarités externes. Comment se fera ce tri dramatique? Aucune précision n’est donnée. Jésus se contente d’émettre : Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître (v. 42).

Veiller, ce qui est proprement s’abstenir de sommeil, est l’attitude que Jésus recommande à ceux qui attendent sa venue (25,13; Mc 13,33-37; Lc 12,35-40; 21,34-36). Mais, pour les premiers chrétiens, le terme « veiller », revêt une dimension éthique : c’est vivre de foi, d’amour et d’espérance (1 Th 5,6-8). Le Fils de l’homme pourra sauver les individus qui l’attendent dans de telles dispositions (1 Th 4,17; 5,10). La vigilance, en cet état d’alerte, suppose donc une espérance ferme et exige une présence d’esprit sans relâche qui prend le nom de sobriété (1 Th 5,6.8; 1 P 5,8). C’est précisément le caractère imprévu de la venue du Fils de l’homme qui impose le devoir de la vigilance (Col 4,2). Si dormir est une nécessité au point de vue physique, le sommeil spirituel doit être évité parce qu’il conduit à la mort. Aux versets suivants, Jésus illustre son enseignement par une autre comparaison, celle du maître de maison et du cambrioleur.

Le voleur (vv. 43-44)

Cette courte parabole, qui continue les thèmes de l’ignorance et de la vigilance, comprend un dit et une application. La parousie du Fils de l’homme, dont le moment exact est inconnu de tous, est tout aussi imprévisible que la venue du voleur en pleine nuit (v. 43), dont les derniers vocables « en pleine nuit » apparaissent encore en 25,6. Évidemment, le maître de maison serait sur ses gardes s’il savait le moment de l’arrivée du voleur : il ne dormirait pas. Contrairement au maître de la maison, les disciples doivent rester éveillés et prêts pour la parousie. La parabole du voleur, qui remonte à Jésus pour avertir ses auditeurs de l’imminence du Royaume de Dieu et du jugement divin, a été reprise par les premiers chrétiens pour l’appliquer à la parousie (voir 1 Th 5,2.4; 2 P 3,10; Ap 3,3; 16,15). Au v. 44, Jésus signale une fois de plus de se tenir prêts puisque sa venue sera soudaine et imprévue. Néanmoins, sa venue à la fin des temps n’est pas une cause de désespoir, voire d’alarme, comme la comparaison du voleur peut suggérer. La première partie du discours a enseigné le contraire. Il s’agit, pour les disciples de Jésus, de garder toujours l’esprit éveillé, au lieu de se contenter de vivre au jour le jour, insouciants comme les gens du temps de Noé, d’adopter une manière de vivre qui leur fasse désirer le retour du Fils de l’homme et qui les prépare à l’accueillir. Seuls seront sauvés ceux qui se seront préparés à accueillir Dieu dans leur existence.

L’objectif de l’évangéliste

En rapportant ces paroles de Jésus, Matthieu voulait indiquer aux membres de sa communauté que le Fils de l’homme, le Christ, le juge de la fin des temps, peut faire irruption à tout moment dans leur vie quotidienne, afin de les inciter à vivre d’une manière sainte, tout en les invitant à ne pas se laisser troubler. Il leur a enseigné que la vigilance est la seule attitude convenable, attitude très active qui n’a rien d’un comportement immobile.

Qu’en est-il aujourd’hui?

Cet enseignement n’est plus valable aujourd’hui, peut-on entendre. Certes, l’attente du retour imminent du Christ s’est estompée de notre quotidien, voire au cours du 1er siècle de notre ère, et, en ce 21e siècle, il est difficile de concevoir la fin du monde accompagnée du jugement telle que conçue à l’époque du début du christianisme. Pourtant la doctrine de Jésus concernant la vigilance, qui propose à tous les croyants la même ligne de conduite face aux inconnues de la « Fin », a encore une valeur. L’« heure » dont il s’agit n’est pas seulement celle de la « parousie » où le Christ clôt l’histoire; cette « heure », imprévisible et décisive, est pour chaque homme celle de sa mort. Aussi, cette instruction doit nous rappeler certains aspects de notre condition réelle, à savoir que nous ne sommes que des « administrateurs » des biens de la création, que notre propre vie est fragile et que la « fin » de celle-ci peut être soudaine : elle peut cesser « le soir ou au milieu de la nuit » (v. 35b). Une attitude sage est donc de vivre comme un « fils du jour, dans la foi, l’espérance et l’amour » (1 Th 5,5.8).

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2640. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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