Jean Baptiste prêchant (détails). Mattia Preti, c. 1665. The AMICA Library (Wikipedia).

En attendant Jésus

Alain FaucherAlain Faucher | 2e dimanche de l’Avent (A) – 8 décembre 2019

La prédication de Jean le Baptiste : Matthieu 3, 1-12
Les lectures : Isaïe 11, 1-10 ; Psaume 71 (72) ; Romains 15, 4-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce dimanche d’Avent, Jésus est présent très discrètement. Il est relégué dans les visions ou dans le témoignage des autres. Cette discrétion de Jésus, nous l’assumons à temps plein comme disciples enracinés dans le monde d’aujourd’hui. Un monde où Jésus semble plus absent que présent…

La saison de l’Avent, c’est la saison pour constater qu’il y a comme un vide au milieu de notre groupe. Jésus y occupe sa place par signes interposés entre lui et nous : la Parole tirée du Livre de vie, le pain qu’il nous donne... Mais lui, physiquement, nous manque. Nous nous surprenons à nous dire : « Si Jésus était parmi nous, visible, en gloire, en chair et en os comme au soir de Pâques, comme nous aurions des choses à nous dire! »

La saison du désir est de retour

La saison de l’Avent nous est donnée pour mesurer le sérieux de l’attente qui nous est proposée. Nous croyons à la valeur du temps. Parce que Jésus se fait attendre. Parce que Jésus nous laisse du temps devant nous pour tester sa fidélité. Mais aussi pour vérifier notre propre fidélité dans ce grand laboratoire spirituel qu’est notre attente...

Cette discrète rencontre de Dieu vécue dans les événements de la vie de chaque jour, cette attente du retour dans notre vie concrète du Seigneur Jésus, voilà la trame de fond de notre vie chrétienne. L’Avent revient à chaque année pour nous laisser vivre cette impatience de fond, pour célébrer notre patience rarement nommée mais essentielle pour assumer notre quotidien de croyante ou de croyant...

C’est une saison pour célébrer notre désir profond, fondamental, le goût qui donne du goût à tous nos autres goûts. Si tu n’as pas en toi ce ressort intérieur, c’est sûr que les gestes pour Dieu te sembleront toujours de trop. Si tu n’as pas en toi ce ressort intérieur de l’attente du Seigneur, la prière ou la messe passera pour du temps perdu. Tu n’éprouveras pas bien longtemps du plaisir à te dépasser pour les autres. Tu n’auras pas le goût de parler de Jésus : il n’est pas de feu dans ton cœur. Ta vie de baptisé a perdu son centre... En vivant l’Avent sur le sens de la foi et sur le sens de la joie, tout ce que tu fais comme geste de croyant, de croyante, retrouve du goût.

Un dimanche… « sans Jésus »?

Telle est la portée de ce dimanche un peu étrange. Tout le monde évoque Jésus comme s’il se cantonnait à la limite du champ de vision des gens, mais sans jamais passer directement sur la scène, sous les projecteurs…

Il est rare qu’un dimanche s’articule sans mettre en scène une intervention verbale ou un geste de Jésus. Aujourd’hui, Jésus est évoqué par le prophète Isaïe, l’apôtre Paul et l’évangéliste Matthieu… comme s’il restait en coulisses. La première lecture fournit une description des effets de l’Esprit du Seigneur sur une personne choisie par Dieu. Elle fournit aussi une imagerie tirée du bestiaire symbolique qui met en valeur la nouvelle qualité du temps où Jésus sera en activité. L’évangile se concentre sur la proclamation par Jean-Baptiste de la qualité nouvelle des temps (le jugement) et sur l’ampleur du discernement qui sera prononcé par Jésus (sans le nommer!).

Nécessaire deuxième lecture (Lettre aux Romains)

La deuxième lecture explicite l’apport de Jésus en se concentrant sur son titre de personne ayant reçu l’onction par Dieu (Christ) et son impact politique (Seigneur). Le regard de saint Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Rome, ne se confine donc pas aux récits sur la vie de Jésus. Ce regard se déploie sur les fonctions désormais exercées par Jésus : l’accueil pour la gloire de Dieu qui fonde l’accueil mutuel ; le service des Juifs en raison de la fidélité de Dieu pour les promesses faites aux pères.
Rien de cela n’est anodin. Tout cela illustre la pertinence de l’entrée en matière de la péricope paulinienne : « Tout ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l’espérance. » Ce don du Dieu de la persévérance et du réconfort rejoint les tonalités de la saison de l’Avent en cours.

Des images fortes pour confirmer notre espérance

La première lecture et l’évangile activent notre désir à l’aide de cinq images agricoles. Ces images semblent parfois étranges pour les gens du Nord. Elles s’inspirent des réalités de l’agriculture des pays méditerranéens. Ce sont pourtant des images qui méritent d’est appréciées : elles sont le canal que notre Dieu a décidé d’utiliser pour réveiller notre espérance... et peut-être pour réanimer le croyant, la croyante qui sommeille au fond de chacun de nous.

Quelles sont les cinq images campagnardes que nous devons prendre le temps de décoder, de comprendre et de contempler? En voici la liste, pour que nous ne nous perdions pas pendant la visite.

  • La souche et la jeune pousse ;
  • le rassemblement des animaux qui cessent de s’entre-dévorer et se mettent à l’herbe ;
  • le régime alimentaire et l’accoutrement de Jean Baptiste ;
  • la plantation d’arbres que l’on nettoie ;
  • la récolte de grain que l’on bat.

Les deux premières images sont déployées dans la lecture du prophète. L’évangile déploie les trois autres images.

Images d’un prophète

Le rameau jailli de la souche évoque l’expérience d’un renversement de situation spectaculaire. Dans la Bible, un arbre, c’est un trésor. Un arbre mort, c’est un drame. Un symbole du péché qui tue. Ce que la première lecture décrit, je l’ai vu de mes yeux vus en Méditerranée, et, croyez-moi, c’est étonnant! Je me souviens de cet olivier dans un verger italien, cet olivier dont il ne restait plus qu’une souche creuse. Soudain, sans qu’on puisse le prévoir, un chicot produit une branche vigoureuse. Elle allait devenir un jeune olivier, capable de durer 1000 ans à son tour!

Le prophète choisit cette image pour évoquer le descendant-surprise d’une famille royale. On la croyait en voie d’extinction. Elle va fournir un homme selon le cœur de Dieu. Cet individu sera signe de ralliement pas seulement pour le peuple de Dieu, mais aussi pour tout le monde. Ce descendant de roi (le roi, c’est la présence de Dieu parmi son peuple) va garantir que Dieu est présent. Voilà un symbole chargé d’espérance.

La deuxième image, l’image des animaux adversaires qui vivent ensemble, c’est comme un retour à l’atmosphère pacifique des premières pages de la Bible, alors que toute la création de Dieu vit dans la paix et l’harmonie. La Genèse parle même de cette époque comme d’une époque végétarienne! Recréer cette ambiance dans le contexte de la première lecture, c’est une manière de dire que le descendant royal selon le cœur de Dieu ramènera toute la création dans l’harmonie que Dieu voulait à l’origine. Les animaux domestiques et sauvages qui cohabitent, les carnivores et les herbivores qui broutent et qui acceptent le leadership d’un enfant, tout cela annonce un futur aussi serein que le rêve de Dieu pour l’univers pouvait être constructif.

Images d’un précurseur

D’autres images fortes meublent l’évangile. Ces trois images font aussi référence à la vie de la campagne méditerranéenne.

Tout d’abord, il y a l’accoutrement et le régime alimentaire de Jean Baptiste au désert. Ce n’est pas un hippie ou un fou! Il porte les vêtements des anciens prophètes, les hommes de Dieu du bon vieux temps d’Israël. Il mange la nourriture du désert. Ces grosses sauterelles bien dodues et bien croustillantes, ce miel sauvage paraissent pour nous peu ragoûtants. En réalité, ce sont les plus beaux fruits du désert! Des protéines et des sucres en abondance dans un contexte de pénurie permanente…

Encore une fois, c’est une image positive : la nature qui nourrit son homme même dans ce que nos yeux perçoivent comme un désert. Jean Baptiste y devient la voix de Dieu pour annoncer un message de décision et de choix absolu. Ce Jean Baptiste énergique n’a rien à voir avec les sculptures mièvres où il a le doigt en l’air et les yeux dans le vague. Jean Baptiste criait. Il dérangeait. Il va même mourir de mort violente. Pas parce qu’il racontait des boniments sucrés, ou des niaiseries de style horoscope! On comprend pourquoi en lisant la suite de l’évangile.

Jean Baptiste ne se limite pas à vivre en personnage du désert, ce lieu de rencontre de Dieu avec son peuple. Jean utilise deux images des travaux de la campagne pour évoquer le jugement final.

Le ménage de la plantation nous est familier si nous avons pris le temps de mettre nos mains dans la terre. Quand on émonde le verger ou les framboisiers, on trie parmi les branches celles qui doivent être conservées et celles qui doivent être jetées. Le jugement de Dieu entrevu à l’horizon par Jean Baptiste sera quelque chose d’aussi tranchant, d’aussi définitif. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.

Quant au battage des grains, il se pratique encore en Afrique. Ce geste joyeux marque la fin de la récolte. On éclabousse tout de poussière de paille, mais tant pis! À la fin, on obtient du bon grain qu’on va entreposer avec soin. L’image est claire : c’est encore un signe de tri, un signe du jugement final, définitif...

Pourquoi ces images? Sans doute pour nous donner le goût de vivre avec un cœur converti, un cœur retourné. Un cœur gorgé du désir de l’arrivée définitive de Jésus. Face à l’incroyable, face à la miséricorde divine, nous nous surprenons à prendre au sérieux notre attente de la venue du Seigneur. Jésus, le dernier mot de Dieu va se dire bientôt...

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2641. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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