Les ouvriers sont payés le soir. Rembrandt, 1637. Huile sur panneau. Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg (Wikimedia).

Il ne sait vraiment pas compter

Lorraine Caza Lorraine Caza | 25e dimanche du temps ordinaire (A) – 20 septembre 2020

Les ouvriers de la onzième heure : Matthieu 20, 1-16a
Les lectures : Isaïe 55, 6-9; Psaume 144 (145); Philippiens 1, 20c-24.27a
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Pour ce 25e dimanche du temps ordinaire de l’année A, notre Église nous offre de méditer sur le mystère de Dieu à partir d’une parabole de Jésus que seul l’évangile de Matthieu nous a conservée (Mt 20,1-16). Nous sommes invités à approfondir la nature de ce Royaume des Cieux annoncé par Jésus.

Une bonté divine désarmante

La parabole est on ne peut plus surprenante. La bonté de Dieu y est décrite de façon tout à fait désarmante. Dieu est dépeint comme le propriétaire d’un vaste domaine, d’une vigne qui requiert le travail de nombreux ouvriers. Le maître sort donc au petit jour et embauche en se mettant d’accord avec les employés sur le salaire journalier à verser : une pièce d’argent. Il sort de nouveau, à 9 heures, et aperçoit d’autres ouvriers sans travail. Il les envoie à sa vigne après les avoir assurés qu’il leur versera un salaire juste. Ils acceptent la proposition. À midi, le propriétaire sort une troisième fois; à 15h00, une quatrième fois. Chaque fois, il offre aux hommes sans travail de les embaucher à sa vigne, moyennant une juste rétribution. Ils acceptent et travaillent à la vigne. Enfin, à 17h00, il sort une dernière fois et demandent aux sans-travail qui sont là pourquoi ils sont restés toute la journée sans emploi. À quoi ils répliquent qu’ils n’ont pas été engagés. Alors, lui, le maître, leur dit d’aller eux aussi à sa vigne.

Regard mauvais sur un geste de bonté

Une heure plus tard, le soir venu, le propriétaire charge son intendant de distribuer les salaires, en commençant par rétribuer d’abord les derniers venus à la vigne et en terminant la tâche par les premiers arrivés. Ceux qui avaient commencé à travailler à 17h00 reçoivent chacun une pièce d’argent. Représentons-nous ce qui peut bien se passer alors dans la tête de ceux qui ont travaillé depuis le petit matin Ils sont certains de recevoir bien plus que la somme convenue, le matin. Quelle déception alors de ne recevoir que la pièce d’argent négociée à l’heure de l’emploi. On n’est pas surpris alors de les entendre crier à l’injustice d’un tel traitement. La réaction du maître? Il rappelle qu’il s’acquitte bien à leur endroit de l’engagement qu’il a pris ; il affirme fermement qu’il peut faire ce qu’il veut des biens qui lui appartiennent. Il pose aux plaignants la question étonnante : Portez-vous un regard mauvais sur mon geste de bonté?

La miséricorde du Dieu bon

Cette parabole nous est donc donnée par Jésus pour que nous ayons la chance de réfléchir sur le cœur de Dieu. Porte-t-il sur l’agir humain le même regard comptable que trop souvent nous avons tendance à porter sur les personnes et les événements? Avec nos critères humains les plus généreux, comment pourrions-nous justifier cette décision du maître de cette grande vigne de donner le même salaire à ceux qui n’ont donné qu’une heure de travail alors que d’autres ont porté le fardeau de toute la journée et sa chaleur? Jésus se hâte de nous répondre : dans cet enseignement, je vous parle du cœur infiniment miséricordieux de Dieu qui ne mesure pas comme vous.

Avez-vous oublié l’histoire du fils perdu qui avait dilapidé tout l’héritage reçu de son père et qui, lorsqu’il est en besoin extrême, prend le chemin de la maison où son père accourt à sa rencontre et lui manifeste un accueil incomparable (Luc 15,11-32) Avez-vous oublié ma réaction à moi, dirait Jésus, quand on m’a présenté la femme prise en flagrant délit d’adultère? À ses accusateurs, j’avais dit que celui parmi eux qui était sans péché devait lui jeter la première pierre. Ils s’étaient vite dispersés. À elle, j’avais alors dit : Personne ne t’a condamnée. Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais, ne pèche plus (Jean 8,1-11). Jésus pourrait nous diriger aussi devant la croix et nous faire contempler ce moment indescriptible où il répond au compagnon de supplice « En vérité, je te le dis : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis » après que celui-ci l’eut supplié : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Luc 23,42-43).

À la suite de Jésus

Ceux qui ont entendu Jésus enseigner cette parabole des ouvriers de la vigne sont-ils souvent revenus à ce récit? L’ont-ils éclairé par l’ensemble des enseignements de Jésus, par ses manières quotidiennes d’agir? Sont-ils revenus sur la finale : « Les derniers seront premiers et les premiers seront derniers »? Nous qui reprenons ces lignes, nous savons que le texte qui précède immédiatement la parabole se terminait de la même façon… La situation décrite est différente. Pierre s’adressant à Jésus au sujet des disciples qui ont tout quitté pour le suivre se demande quelle sera leur récompense quand le Fils de l’Homme viendra sur son trône de gloire pour juger les douze tribus d’Israël. Jésus semble affirmer que choisir de le suivre en acceptant les conséquences que cela pourra avoir sur toutes nos relations personnelles les plus chères, c’est en quelque sorte choisir la place la moins enviable, la dernière place. Il s’engage alors à se montrer extrêmement généreux, à même donner en héritage la vie éternelle. Il est intéressant de noter que cette finale du texte sur la récompense promise au détachement se trouve dans les trois évangiles synoptiques et précède immédiatement la troisième annonce de la passion qui, en Matthieu, suit immédiatement notre parabole des ouvriers de la vigne. Dans les trois évangiles synoptiques, cette troisième annonce de la passion se conclut avec l’annonce de la Résurrection, au troisième jour ou après trois jours. Pouvait-on illustrer de manière plus éclatante le message du dernier qui est le premier et du premier qui se fait le dernier ? Notre parabole et l’invitation au détachement ont donc comme dimension la plus profonde, celle de Pâques.

Isaïe 55, 6-9

La première lecture nous place devant l’invitation finale à nous convertir pendant qu’il est encore temps, invitation qui se trouve dans le livre de la Consolation d’Israël (Is 40 – 55). Il semble que l’auteur de cette seconde partie du livre d’Isaie serait un prophète anonyme de la fin de l’Exil. Mais au juste, que voulait-il dire lorsqu’il appelait à la conversion : Cherchez Dieu pendant qu’il se laisse trouver et invoquez-le tant qu’il est proche? Ce Dieu, dit le prophète, est riche en pardon; ses pensées ne sont pas nos pensées … ses voies ne sont pas nos voies ; ses pensées et ses voies sont aussi élevées au-dessus de nos voies et de nos pensées que le ciel l’est au-dessus de la terre. Le Dieu que nous présente ce prophète n’est-il pas aussi étonnant, aussi impénétrable que celui que Jésus nous dépeignait dans la parabole ? Le prophète me semble rejoindre Jésus pour proclamer que Dieu seul a le secret de son amour pour chacun, chacune de nous; seul, il a le secret du prix que nous avons à ses yeux. Le prophète comme Jésus m’invitent à me convertir à leur façon de reconnaître la divine gratuité de Dieu.

Philippiens 1, 20c-24.27a

C’est avec la lettre si personnelle de Paul aux Philippiens que notre liturgie de ce dimanche exprime à son meilleur la réponse humaine à cet amour infiniment miséricordieux de Dieu. Paul confesse : Pour moi, vivre, c’est le Christ. Par conséquent, le retrouver représente pour moi le meilleur. Le meilleur? Vraiment? OUI, si cela correspond au désir de Dieu sur moi; NON, si je sers mieux le Royaume des Cieux, en continuant à le servir dans mes frères et dans mes sœurs..

Dieu sait-il vraiment compter? Jésus et, avant lui, le prophète de la fin de l’exil qui s’exprime en Isaïe 55,6-11 ont-ils quelque chose à nous enseigner sur le cœur de Dieu, sur la conversion de nos mentalités par rapport aux personnes, événements, grands bouleversements sociaux? Enfin, pouvons-nous penser que Paul, grâce à son attachement extraordinaire pour Jésus, était devenu plus réceptif à l’enseignement de la parabole, au chemin de la recherche de Dieu ouvert par le prophète?

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2673. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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