Parabole des deux fils. Andrey Mironov, 2012. Huile sur toile, 70 x 100 cm (Wikimedia).
Enracinés dans le Christ Jésus
Julienne Côté | 26e dimanche du temps ordinaire (A) – 27 septembre 2020
Parabole des deux fils : Matthieu 21, 28-32
Les lectures : Ézéchiel 18, 25-28 ; Psaume 24 (25) ; Philippiens, 2, 1-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
À la destruction de Jérusalem et de son Temple, vers 587, le peuple partit en exil à Babylone. Ces juifs déportés, décimés, épuisés, s’interrogent. À cette époque, on est convaincu qu’il existe un lien entre un comportement fautif et les événements tragiques qui écrasent tout le peuple. Les plaintes se multiplient et la révolte s’amplifie. Qui a péché en entraînant tant de malheurs? (voir Jean 9,34). N’est-ce pas les ancêtres et toutes les générations précédentes? Et, on se permet même d’affirmer que la conduite du Seigneur est étrange, « elle n’est pas régulière » (Ézéchiel 18,25). Dieu est injuste, inéquitable.
Le prophète Ézéchiel, déporté comme tant d’autres citoyens, va intervenir et appeler à une meilleure compréhension de l’agir de chacun et de la responsabilité individuelle. Il propose de regarder les événements d’un peu plus haut. Un jour, l’individu s’éloigne de Dieu et s’engage sur un chemin de perdition. Puis, dans un autre moment, dans le silence, grâce à l’aide de Dieu, il prend conscience de son état de péché, s’amande en se détournant de ses fautes et de tout germe de méchanceté. Il consent alors à rectifier sa conduite et choisit la route du bien. Chacun est responsable de ses propres actes, il doit assumer ses responsabilités, reconnaître sa culpabilité. Il répond de son devenir. Dieu ne fige pas les humains dans leur passé. Dieu veut que chacun, bon ou mauvais, vive (18,18-20). Par sa puissance d’amour, il soutient et renouvelle chacun. Pourquoi voulez-vous mourir, maison d’Israël? Je ne prends pas plaisir à la mort de qui que ce soit, oracle du Seigneur (18,31-32).
La parabole des deux fils
Le récit évangélique présente une discussion entre Jésus et « les chefs des prêtres et les Anciens ». Ces personnes instruites, expérimentées qui sont en situation d’autorité et qui insistent sur l’accomplissement de la Loi sont membres du Sanhédrin. C’est à la suite des guérisons miraculeuses de Jésus, de l’entrée triomphale à Jérusalem, saluée par la foule et de l’épisode des vendeurs chassés du Temple (Matthieu 21,12-18), que les Juifs, indignés, s’interrogent quant à l’autorité de Jésus : Par quelle autorité fais-tu cela? Et qui t’a donné cette autorité? (21,23). Ils demandent des comptes. Le dialogue s’annonce difficile, car c’est le caractère messianique de la mission de Jésus qui est au cœur de la situation. Jésus leur répond en posant une question concernant le dire et le faire. Nos actes ne doivent-ils pas correspondre à nos paroles? Notre foi ne se résume pas à un assentiment de façade, mais s’exprime et s’approfondit dans l’action.
Un père demande à ses deux fils d’aller travailler à la vigne. Celle-ci, dans les écrits bibliques, est en référence au peuple d’Israël (Isaïe), appelé à vivre en communion avec Dieu, à produire des fruits d’équité et de justice, de fraternité et d’amour. La demande est celle d’un père et non celle d’un maître à ses serviteurs. L’un des fils, récalcitrant, peu respectueux, refuse sèchement d’aider son père : je ne veux pas, et l’autre, docile, s’adressant à son père en le nommant Seigneur, y consent. Puis, le premier, aux prises avec sa conscience, se ravise, se ressaisit, se remet en question. Il se repent. Avec déférence, il va obéir concrètement à la demande de son père. Il va donner un coup de mains. Le deuxième fils, après avoir accepté, refuse le service. De docile qu’il était, il manifeste que son adhésion n’était que du bout des lèvres. À ce moment, Jésus qui, par cette parabole, poursuit un enseignement important en ce qui concerne la relation avec Dieu, son Père, demande aux chefs spirituels de choisir entre les deux fils : Lequel des deux fait la volonté du père? Ils répondent : Le premier (21,31). Ce faisant, ils donnent raison à Jésus et ils admettent qu’une conversion est possible. Dès lors, ne se jugent-ils pas eux-mêmes, eux dont le comportement ressemble à celui du deuxième fils?
Leur réponse appelle une parole de Jésus à laquelle ils ne s’attendaient pas. Jésus leur dit : Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent - prendront votre place - dans le royaume de Dieu (21,31). Ils s’indignent. Jésus, en ce moment, se réfère à l’enseignement de Jean Baptiste et au baptême qu’il pratiquait, lequel était refusé par les autorités juives qui y voyaient un sacrilège, un geste sans valeur, illégitime. Les autorités juives sont des observateurs de la Loi, des gens honnêtes. Leur fidélité scrupuleuse à la Loi leur apporte une sécurité, une telle assurance, voir une suffisance qu’ils vivent dans une justice illusoire, en plus de fermer la porte à toute conversion possible, chez les plus démunis. Ils refusent le message du Baptiste venu inaugurer le royaume (3,2 ; 21,25-27; Luc 7,30) ainsi que celui de Jésus, c’est-à-dire l’accueil et la miséricorde à l’égard des publicains et des pécheurs publics. Ces gens instruits sont identifiés explicitement au premier fils. Jésus ne vient pas disqualifier la Loi, mais il constate que son appel à la conversion reçoit un accueil et un changement de conduite chez les pauvres de cœur, jusque-là rejetés. Ces pauvres qui se reconnaissent pécheurs ont une place dans le Royaume de Dieu.
Les versets 4-9 du Psaume 22(25) met en relief un croyant qui représente ici le peuple d’Israël, un croyant qui entre dans un processus de conversion, découvre ses égarements (v. 7), en appelle à Dieu qui sauve, et reconnaît que sa tendresse est de toujours (v. 6). Il prie le Seigneur de lui faire connaître son chemin, en confessant : Il est droit, il est bon, le Seigneur… Sa justice dirige les humbles. (vv. 8-9).
Du dépouillement total à la gloire de Dieu, le Père
L’admirable hymne christologique de Paul (Philippiens 2,1-11) est un des témoignages les plus impressionnants sur le Christ Jésus et illumine toute la liturgie de ce dimanche en nous invitant à contempler le mystère du Christ. Elle expose les dispositions que les chrétiens doivent avoir au sein de la communauté chrétienne, afin de favoriser l’unité (2,1-4) et décrit le chemin d’abaissement choisi par le Christ Jésus, à la gloire de Dieu le Père (2,5-11).
Les communautés chrétiennes sont appelées à vivre dans l’unité et la fidélité, l’humilité et l’abnégation. Dans l’Église de Philippes, on retrouve les mêmes divisions que dans l’Église de Corinthe. On se réclame de tel apôtre qu’on estime supérieur aux autres. Les comparaisons, les rancunes, les brouilles paralysent et détruisent la communauté chrétienne. Paul, alors (2,1-5) appelle à changer de comportement dans le Christ Jésus? Dans un premier temps, il énumère les attitudes éthiques à acquérir en les décrivant dans une perspective chrétienne. Chacun est invité à faire passer leurs intérêts individuels au second plan en privilégiant les besoins de l’autre; c’est à dire à reconnaître les vertus d’autrui, à regarder les autres comme supérieurs, à se préoccuper de leurs intérêts, à les réconforter. Dans une communauté, l’encouragement est source d’unité. Et le fondement de cet agir est dans le Christ Jésus : Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus (v. 5). Depuis son baptême, tout chrétien appartient au Christ, il possède une nouvelle identité et sa relation à autrui est transfigurée.
Enracinés dans le Christ Jésus
La vie chrétienne s’exerce dans le Christ, s’appuie sur l’exemple du Christ. Vous êtes tous fils de Dieu par la foi au Christ Jésus (Galates 3,27). Tous sont invités à répondre à l’appel du Christ (2,6-11), à contempler Jésus tout au long de sa vie publique, à approfondir son désintéressement et son humilité, ses paroles à l’égard des malades et des estropiés de la vie, des disciples lents à comprendre et des bourreaux, et jusqu’à la dernière heure. Paul décrit alors le dépouillement total de Jésus (2,6-8), jusqu’où Il s’est abaissé (2,7). Chez Jésus, l’accueil et l’amour sont portés au paroxysme, l’humilité et l’abnégation caractérisent tout son itinéraire. Il aurait pu revendiquer l’itinéraire d’un roi comme lui a suggéré le tentateur au désert (Matthieu 4,1-11). De riche qu’Il était, il s’est fait pauvre parmi les opprimés, il s’est vidé de lui-même (2 Corinthiens 8,9), s’est anéanti en donnant sa vie sur la croix, par amour (v. 7; Isaïe 52,13 ; 53,12). Dans cet abaissement total (Hébreux 2,9), le Père va exalter son Fils bien-aimé, l’élever d’entre les morts, au-dessus de tout et lui conférer tout pouvoir afin que toute langue proclame : « Jésus est Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père (2,11). Face à cette surabondance d’amour qui dépasse tout entendement et toutes les attentes, les chrétiens sont appelés à méditer cette donation suprême et à marcher à la suite de Jésus, à conserver dans leur esprit et dans leur cœur le témoignage et le mystère de Jésus leur Sauveur et Seigneur.
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Julienne Côté a fait ses études supérieures en théologie et en études bibliques à l’Institut catholique de Paris. Elle a écrit pour la revue Vie liturgique de 1985 à 1990 et collabore au Feuillet biblique depuis 1987.
Source : Le Feuillet biblique, no 2674. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.