Parabole du banquet de noces (détails). Bernardo Strozzi, c. 1636. Huile sur toile, 183 x 186,5cm. Galerie Academia, Venise.

Se montrer digne de l’appel

Francis Daoust Francis Daoust | 28e Dimanche du Temps ordinaire (A) – 11 octobre 2020

Le banquet de noces : Matthieu 22, 1-14
Les lectures : Isaïe 25, 6-9 ; Psaume 22 (23) ; Philippiens 4, 12-13.19-20
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La parabole des noces royales (Matthieu 22,1-14) est un récit fort intéressant où surviennent de nombreux revirements de situation. Pour comprendre certains aspects surprenant du récit – comme par exemple le revirement du roi qui s’adresse à un des convives comme étant son ami et l’expulse ensuite de la fête – il s’avère utile de s’intéresser de plus près au vocabulaire employé. On comprend alors mieux la colère du roi, le silence de l’homme qui ne porte pas de vêtement de noce et le terrible jugement final de l’hôte.

Les invités

Le terme grec employé pour désigner les invités est kéklèménois, qui signifie « appelés » (Mt 22, 3.4.8). Cette observation nous permet de saisir que le rôle principal assigné à ces personnages dans le récit n’est pas de participer aux noces, – sinon ils se seraient appelés « les noceurs », « les fêtards » ou « les convives » –, mais d’y être appelés et de s’y rendre. L’auteur de la péricope insiste d’ailleurs sur ce point lorsqu’il raconte que le roi demande à ses serviteurs « d’appeler » (verbe kaléô, comme « les appelés » de Mt 22,3). L’emploi de deux mots de la même famille dans une même phrase n’est pas très chic en grec, ni en français, mais elle est courante en hébreu, – langue bien connue de l’auditoire auquel s’adresse l’Évangile de Matthieu –, afin de mettre l’emphase sur un élément particulier. Or la suite de la parabole révèle que ces « appelés » font exactement le contraire du rôle principal qui leur est assigné. Au lieu de venir à la noce, ils « s’en vont » (Mt 22,5), l’un à son champ, l’autre à son commerce. Cela nous permet, en plus du meurtre des serviteurs, de bien comprendre la réaction de colère du roi.

Vraiment un ami?

L’attitude du roi face à l’homme qui ne porte pas de vêtements de noce peut sembler surprenante. En effet, comment se fait-il qu’il le nomme « mon ami » (Mt 22,12), mais qu’il ordonne quelques instants plus tard qu’il soit jeté  pieds et poings liés dans les ténèbres du dehors  (Mt 22,13)? Pourquoi passe-t-il si rapidement de l’affection au châtiment? L’explication se trouve dans le terme employé par le roi. Hétairos signifie bien « ami, camarade, compagnon », mais désigne toujours dans le Nouveau Testament une personne qui se fait passer pour un ami et qui est en fait un imposteur. On retrouve ce nom deux autres fois dans l’Évangile de Matthieu : dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, c’est ainsi que le propriétaire de la vigne s’adresse à un des hommes qui se plaint de voir les derniers venus recevoir le même salaire que lui (Mt 20,13) et c’est le terme que Jésus emploie pour parler à Judas lors de son arrestation : Ami, pour quoi es-tu venu? (Mt 26,50). L’homme qui ne porte pas de vêtements de noce n’a donc rien d’un ami. De plus, le nom est employé au vocatif (hétaire), indiquant ainsi une interjection. En d’autres mots, le roi ne s’adresse pas doucement à l’homme, mais l’apostrophe durement. « Hé, ‘l’ami’ » ou, en bon québécois, « Heille, ‘l’ami’ » seraient des traductions qui rendraient bien à la fois la rudesse et l’ironie de l’intervention du roi.

Silence et refus d’entrer en relation

Le mutisme de l’homme qui ne porte pas de vêtement de noce ne doit donc pas être interprété comme un silence d’innocence semblable à celui de Jésus devant Caïphe et Pilate. En effet, le récit de la passion précise que Jésus ne répondait rien (Mt 26,62 ; 27,12.14) et se taisait (Mt 26,63), alors que, dans le passage qui nous intéresse ici, le verbe employé est phimoô, qui signifie « museler » (voir le musellement du bœuf en 1 Timothée 5,18 et celui des Sadducéens en Mt 22,34). L’homme qui ne porte pas de vêtement de noce n’est donc pas simplement silencieux; il est bouché bée, embarrassé et incapable de répondre quoi que ce soit au roi.

Pour encore mieux comprendre cette réaction de stupéfaction de l’homme, il est utile à nouveau de regarder du côté du vocabulaire employé. Ce personnage ne fait pas partie des premiers « appelés » à la noce, qui ont refusé l’appel du roi, mais des « convives » qui les remplacent. Le terme grec, anakeimenôn, signifie littéralement « ceux qui sont allongés ». Ce participe est toujours employé dans le Nouveau Testament afin de parler de ceux qui sont installés à table pour un repas (voir par exemple Mt 9,10 ; 22,10.11 ; 26,7.20). L’homme qui ne porte pas de vêtement de noce ne s’était donc pas simplement immiscé quelques instants dans la fête avant d’être interpelé par le roi; il était confortablement installé à table en train de profiter de la générosité de ce dernier.

Rappelons que cet homme bénéficie d’une chance inouïe. Si ce n’avait été du refus des appelés, il n’aurait jamais eu le privilège de prendre part aux festivités entourant les noces préparées par ce puissant roi, dont l’armée a détruit les villes des appelés. Mais plutôt que de témoigner de sa reconnaissance au souverain en enfilant ses plus beaux habits, il se présente avec ses vêtements réguliers. C’est un manque de respect à l’endroit du roi, mais aussi un refus de s’engager dans une relation bilatérale. En effet, l’homme se contente de recevoir la prodigalité du roi, mais ne donne rien en retour. Ce refus d’entrer en relation rappelle d’ailleurs celui des appelés qui n’avaient pas répondu à l’invitation du roi.

Le vêtement de noce

Plusieurs exégètes se sont questionnés au sujet de la signification du vêtement de noce. Quelques-uns ont tenté de chercher parmi les coutumes de l’époque afin de voir où réside la faute de l’homme qui ne le portait pas. Ne trouvant rien à ce niveau, certains ont suggéré que le roi devait fournir les vêtements de noce à l’entrée de sa maison, ce qui indiquerait que l’homme fautif n’était pas vraiment invité aux festivités, mais s’était faufilé par une fenêtre. Mais aucun indice du texte ne permet de soutenir cette explication alambiquée et peu convaincante.

Il semble plus utile de s’intéresser à la signification du vêtement dans la Bible et d’observer que celui-ci est souvent intimement lié à l’identité et à la fonction de la personne qui le porte. À titre d’exemple, Joseph perd son identité de fils préféré de Jacob lorsque ses frères le dépouillent de sa tunique (Genèse 37,23) et celui de majordome de la maison de Putiphar lorsqu’il abandonne son habit aux mains de sa femme (Gn 39,12-20). Pensons aussi à Élisée qui amorce sa carrière de prophète lorsqu’il revêt le manteau de son maître Élie (2 Rois 2,12-15). Considérons aussi toutes les prescriptions de la Loi en ce qui a trait à l’habillement spécifique des prêtres (Exode 28,1-43).

La personne qui revêt le vêtement de noce assume donc le rôle qui vient avec l’habit. Ainsi, l’homme de la parabole participe à la noce, mais n’assume pas le rôle qui lui a été attribué. Comme les appelés, il ne s’est pas montré digne (Mt 22,8) de la générosité du roi.

Hier et aujourd’hui

La parabole des noces royales peut être comprise à la lumière de l’histoire du peuple de Dieu. On peut identifier les appelés qui n’ont pas répondu à l’invitation du roi aux juifs qui n’ont pas écouté Dieu. La destruction de leurs villes rappelle l’anéantissement de Jérusalem et l’exil à Babylone. Et l’appel de nouveaux convives évoque l’élargissement de l’alliance avec Dieu à tous les peuples, y compris les païens.

Mais la parabole serait d’un intérêt mineur si elle ne comportait pas un enseignement pour aujourd’hui. Comme les convives qui sont admis à la fête, nous sommes gracieusement invités à participer à un événement heureux qui dépasse démesurément ce que notre modeste condition humaine pourrait nous permettre d’espérer. Et nous y sommes tous invités, que l’on soit bon, ou mauvais (Mt 22,10). Ce qui compte n’est pas notre nature, mais le rôle que nous acceptons d’épouser. En effet, tout ce qui nous est demandé est de devenir un vrai convive et d’entrer en relation avec Dieu; de participer joyeusement aux noces du Fils et d’assumer notre identité de chrétien. Aujourd’hui, plusieurs personnes pourraient se dire qu’elles veulent bien aller à la messe, mais qu’elles ne désirent pas entrer en relation avec Dieu. D’autres pourraient se dire qu’elles accueillent le salut offert par Dieu et s’en réjouir en se disant que de toute façon tous seront sauvés, puis passer leur vie détachées de Dieu. Mais la parabole des noces royales nous informe que ces personnes seront durement rejetées. Contrairement aux appelés et à l’homme de la parabole, il faut être digne de cet appel, entrer en relation avec Dieu et endosser pleinement l’identité de chrétien qui nous est si gracieusement offerte.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2676. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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