La parabole des talents. Willem de Poorter, 17e siècle. Huile sur toile, 45 x 55 cm. Galerie nationale de Prague (Wikimedia).
Conformisme et audace
Benoît Lambert | 33e dimanche du temps ordinaire (A) – 15 novembre 2020
La parabole des talents : Matthieu 25, 14-30
Les lectures : Proverbes 31, 10-31 ; Psaume 127 (128) ; 1 Thessaloniciens 5, 1-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Deux conceptions de Dieu se côtoient dans la Bible. Dans l’Ancien Testament, YHWH, le Seigneur, est tout-puissant. Il inspire la crainte, car il est sévère et il punit impitoyablement ses ennemis. Dans le Nouveau Testament, Jésus présente un Père compatissant qui aime infiniment ses enfants. Ce Père fera tout pour rétablir le contact avec l’humanité qu’il a créée pour la sauver. La parabole de l’Évangile de cette célébration présente un maître qui est sévère et compatissant.
Une épouse pieuse
Certains seront choqués par la première lecture. Ils y verront uniquement une description du rôle féminin dans une société patriarcale. Mais ce texte constitue un jalon important dans l’évolution du statut de la femme israélite dans l’Ancien Testament. Chez plusieurs nations antiques, comme Israël, la femme était la propriété de son père ou de son mari. Elle était un être anonyme, sans droits. Briser cet anonymat en décrivant l’épouse parfaite est un changement majeur. Une énumération des tâches des épouses permet à celles-ci de savoir ce qu’elles doivent faire pour plaire au Seigneur. Considérer qu’elles peuvent, comme les hommes, devenir des partenaires dans l’Alliance témoigne d’une transformation de la perception des femmes. D’autres textes vétéro-testamentaires (Judith, Esther) illustrent cette évolution. Le rédacteur de ce texte indique aussi la qualité essentielle d’une sainte femme : la crainte de Dieu.
Cette attitude est la caractéristique essentielle de la piété des croyants et des croyantes israélites dans l’Ancien Testament. Un membre de la nation sainte reconnaît sa petitesse devant la majesté du Dieu unique. Il sait que cet être divin peut sévir quand les prescriptions de la loi mosaïque ne sont pas respectées. L’épreuve de l’Exil est interprétée dans cette perspective. De plus, les gens ne peuvent ignorer ce qu’ils doivent accomplir puisque la volonté divine est écrite dans la Torah. À l’époque de Jésus, les Israélites vivent encore dans la crainte de Dieu. Et les gens les plus estimés dans leur société sont les gens qui semblent se conformer le plus à la Loi tels les pharisiens, les membres du Sanhédrin, etc. Jésus, dans la parabole des talents, comme dans l’ensemble de sa prédication, va bouleverser cette conception. Il se fera des ennemis acharnés parmi les partisans les plus farouches de l’ancien régime spirituel légaliste.
Des serviteurs audacieux
Le serviteur qui conserve son talent sans le faire fructifier considère le Maître, qui symbolise Dieu, comme une autorité sévère. Plusieurs considèrent que le Christ vise dans ce serviteur toute l’élite religieuse de son époque qui refusait le changement spirituel qu’il apportait. Celle-ci estime qu’en se conformant aux prescriptions de la Loi, elle sera récompensée par Dieu. Le conservatisme est ici l’attitude préconisée. La pièce donnée au serviteur symboliserait la Loi, un dépôt qu’il faut garder le plus intact possible.
Jésus condamne cette attitude. Elle emprisonne l’action de Dieu dans un carcan. Au fil des millénaires, les rabbins ont ajouté au texte original de la Torah de multiples prescriptions qui encadrent tous les aspects de la vie quotidienne du peuple de l’Alliance. Tout est devenu si complexe que les gens sont dans la confusion au lieu d’être guidés vers Dieu. Le Christ est venu inaugurer un régime spirituel basé sur un principe actif, dynamique : l’Esprit Saint. Cette présence, dans la conscience des enfants de Dieu, révélera ce qu’ils ont à faire pour être sauvés. Ils seront libérés des écrits qui les empêchent d’évoluer. L’audace, l’ouverture à la nouveauté qualifient désormais l’Église, la communauté réunie autour du Christ.
L’Esprit a aussi la capacité d’être communiqué. Plus les disciples du Sauveur vont le répandre dans le monde, plus ils grandiront dans la foi et plus la taille de l’Église augmentera. Les deux premiers serviteurs représentent les gens qui adhèrent au Christ. Grâce à leur participation à la vie divine, ils vont faire fructifier les capacités que le Maître leur avait remises lors de leur création.
Désormais, le régime de la Loi est dépassé. Les gens qui tenteront de le préserver ne seront pas sauvés parce qu’ils auront refusé l’Esprit, le moteur de la Nouvelle Alliance. Ils auront perdu la chance de rétablir le contact avec le Dieu unique. Ils seront dépouillés de ce qu’ils avaient sans rien recevoir pour le remplacer. Quant aux serviteurs qui acceptent de reconnaître Jésus Christ comme Sauveur et Seigneur, ils vont partager la joie de celui dont ils veulent faire la volonté, le Père. Ils vont connaître un état de félicité intérieure que seul Dieu peut procurer. Et cette sérénité surpasse toutes les satisfactions que les biens de notre univers peuvent apporter.
Une recherche inutile
Plusieurs érudits chrétiens voient dans le départ du maître de la parabole et dans son retour l’histoire actuelle du salut. Jésus est retourné dans le Royaume après l’Ascension et il reviendra à la fin des temps. Nous sommes présentement dans l’entre-deux, le temps de l’Église où tous les baptisés sont appelés à aimer Dieu (être fidèle au Maître) et à aimer leur prochain (être bon). Au fil des siècles, plusieurs croyants et croyantes ont tenté de prédire à partir de certains textes bibliques l’instant du retour du Christ (voir Apocalypse, Daniel, Matthieu 24). Jésus conseille aux baptisés de renoncer à cette quête stérile. Seul le Père connaît le moment de la fin. Il ne s’est pas amusé à la dissimuler dans des énigmes symboliques disséminées partout dans l’Écriture. Paul, dans la deuxième lecture, confirme les propos du Christ. Jésus conseille à ses amis de se plonger plutôt dans le présent et d’arrêter de diriger leur attention vers une date inconnue. Les disciples du Fils doivent rester vigilants dans leur quotidien spirituel, car le retour du Fils sera brusque et inattendu. Ils doivent de plus en plus devenir des serviteurs et des servantes qui répandront la vérité lumineuse de l’Évangile dans le monde. Le Père n’avertira pas l’humanité avant le grand bouleversement. Sa mise en garde de rester vigilants reste toujours présente dans nos vies terrestres. De plus, Paul recommande de rester sobres. Il ne faut pas se laisser étourdir par les plaisirs terrestres. Il faut en faire un usage modéré qui nous permettra de garder toute notre concentration pour construire le Royaume en aimant Dieu et notre prochain sans fléchir.
Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.
Source : Le Feuillet biblique, no 2681. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.