Les mages en route vers Bethléem. Vitrail de la cathédrale de Chartres (Wikimedia).
La très grande joie de retrouver l’étoile
Lorraine Caza | Épiphanie du Seigneur (B) – 3 janvier 2021
La visite des mages : Matthieu 2, 1-12
Les lectures : Isaïe 60, 1-6 ; Psaume 71 (72) ; Éphésiens 3, 2-3a.5-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Mais de quelle étoile parlons-vous? Ouvrons l’Évangile de Matthieu, au début du chapitre 2. La naissance de Jésus vient d’être annoncée et le texte précise qu’il est né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode. Comment expliquer l’évocation immédiate de mages arrivant d’Orient à Jérusalem et porteurs de l’étonnante question : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître? » Mais, qu’est-ce qui permet à ces intervenants d’un lointain Orient de porter une telle question? Ils disent avoir vu son étoile à son lever et être venus lui rendre hommage. On perdrait son temps si on cherchait à identifier un astre particulier du firmament. Ce qui est exprimé, c’est que ces mages ont reçu un signe leur dévoilant que le roi des Juifs venait de naître. À cette époque, à la naissance d’un grand personnage, – qu’on pense à Alexandre, à César, à Auguste –, on disait qu’un nouvel astre était apparu dans le ciel. Dans la Bible, il est question de l’astre de Jacob (Nombres 24,17) comme image annonçant la venue du Messie. On aura noté que l’astre dont il est question en Mt 2,2 n’est perçu que par des astrologues orientaux qui sont des païens.
Transmise au roi Hérode par ces mages, à leur arrivée à Jérusalem, la nouvelle inquiète le roi et tout Jérusalem avec lui. Le texte parle alors de la convocation par Hérode de toutes les autorités religieuses juives : Tous les grands-prêtres et tous les scribes du peuple. Sa question à lui : Où donc le Christ doit-il naître? Se référant aux Écritures, eux disent que c’est à Bethléem de Judée... En effet, le prophète Michée a annoncé, au 8e siècle avant Jésus Christ : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda, car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël (Michée 5,1).
L’inquiétude d’Hérode, elle se manifeste d’abord clairement dans la préoccupation de vouloir savoir, de la part des mages, quand ils ont aperçu l’étoile et ensuite dans sa volonté de les envoyer à Bethléem avec le mandat, de sa part, de se renseigner exactement au sujet de l’enfant et, l’ayant vu, de revenir l’aviser afin qu’il puisse à son tour venir lui rendre hommage.
Le signe de Bethléem
La suite du récit nous informe qu’ils se mettent en route vers Bethléem et que l’étoile qu’ils avaient vue à son lever, les précède jusqu’à ce qu’elle s’arrête au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Ce qui est alors signalé, c’est LA TRÈS GRANDE JOIE des mages quand ils ont retrouvé l’étoile. Ils entrent dans le logis, nous dit Matthieu. Luc, lui, dans son court récit de la naissance de Jésus, le faisait reposer dans une mangeoire d’animaux ; et ce détail devait avoir beaucoup d’importance pour lui puisqu’il le mentionne à trois reprises. Qui, les mages aperçoivent-ils au logis? – l’enfant avec Marie, sa mère. Joseph a un rôle prépondérant dans le récit matthéen ; pourtant, il n’est pas mentionné dans ce développement sur les mages. Ces derniers se prosternent devant l’enfant, lui rendent hommage, lui offrent des présents d’un symbolisme profond, évoquant les richesses et les parfums d’Arabie. Les Pères de l’Église ont vu dans l’or, une évocation de la royauté ; dans l’encens, celle de la divinité ; dans la myrrhe, celle de la passion du Messie. En conclusion de cet étonnant récit, on trouve une référence à un songe vécu par les mages qui les convainc de regagner leur pays par un autre chemin (Mt 2,12).
Le don de Dieu offert à l’humanité entière
À juste titre, on peut se demander qu’est-ce qui a conduit Matthieu à choisir cette visite des mages à Bethléem comme élément particulièrement significatif autour de l’événement incomparable de la naissance de Jésus, Fils de Dieu et fils de Marie. Il est certain qu’il y a vu une façon forte et originale de dévoiler l’ineffable mystère de Dieu, son universalité. C’est que le mystère de Dieu, le salut ne concerne pas uniquement le peuple juif, mais bien toute l’humanité. Matthieu, en mettant en scène ces Orientaux qui viennent de loin, qui sont sensibles au mystérieux signe de l’étoile, ne nous invite-t-il pas à discerner comment la recherche de Dieu peut prendre bien d’autres chemins que ceux qui nous sont familiers? L’évangéliste donne ce message à la naissance de Jésus, mais il le donne vigoureusement à l’occasion de la guérison de l’enfant d’un centurion romain. Ce centurion supplie Jésus, lui présentant l’état de son enfant qui gît dans sa maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement. Le centurion fait preuve de beaucoup d’humilité, car malgré son importance il reconnaît que son autorité ne lui confère pas la dignité de recevoir Jésus sous son toit. Il est convaincu qu’un seul mot de Jésus, à distance, pourrait assurer la guérison. Jésus s’émerveille de cette attitude. Aussi s’empresse-t-il de déclarer : En vérité, je vous le dis, chez personne, je n’ai trouvé une telle foi en Israël. Eh bien! je vous dis que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des Cieux, tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents (Mt 8,10-12).
La manifestation du mystère de Dieu
Dans cette liturgie de la solennité de l’Épiphanie, ce n’est pas seulement le texte évangélique qui exprime l’ampleur du mystère. Le Troisième Isaïe qu’on a en première lecture, proclame : Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Le même prophète continue : Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi avec les richesses des nations… tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur (Is 60,3.5s). S’adressant aux chrétiens d’Éphèse, Paul, que nous retrouvons dans la seconde lecture de notre liturgie, parlera ardemment de sa connaissance du mystère du Christ… Ce mystère, précise-t-il, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile (Ep 3,3.6)
Plein feu sur l’enfant de Bethléem
Jette aussi une lumière particulière sur notre célébration de la manifestation du mystère du Christ, la présence du signe de l’étoile. Ce signe, nous l’avons vu, exprime que la personne à laquelle il renvoie possède une dignité très grande, qu’elle vient illuminer les ténèbres de l’humanité, qu’elle peut orienter notre vie. En réalité, c’est le Nouveau-né qui est l’ÉTOILE de l’humanité. N’oublions pas que les signes qui nous sont les plus familiers ne sont pas les seuls qui pointent vers Dieu, dans l’humanité entière.
Cette étoile conduit à Bethléem, à la maison du pain. Le Nouveau-né est donc à considérer comme nourriture pour notre vie. N’y a-t-il pas dès lors un lien à faire entre Bethléem et l’Eucharistie? Et que dire du terme Éphrata qui est joint au nom Bethléem et qui évoque la fécondité! Et quelle fécondité donnée au monde par l’indicible Incarnation!
La suite nous appartient
La finale de cette histoire des mages mentionne un songe qu’auraient vécu les mages à la suite de leur visite à Bethléem : il leur aurait été demandé de ne pas retourner chez Hérode, même si tel était le désir du Prince, mais de rentrer dans leur pays par un autre chemin. Dans chacune de nos vies, est-il arrivé une ou des occasions où, suite à la rencontre de Jésus, nous avons dû corriger notre itinéraire, où suite à la rencontre de témoins de l’Évangile, nous avons mieux discerné où Jésus voulait nous rencontrer.
En ce temps où nous ne cessons de nous appeler à plus d’interculturalité ; à cette heure où une pandémie menaçante nous rend plus conscients que jamais de l’intensité des liens qui nous relient tous et toutes ; en ce moment où notre Mère Église nous presse d’être présents aux périphéries existentielles, quelle belle heure pour célébrer l’ÉPIPHANIE!
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
Source : Le Feuillet biblique, no 2690. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.