Vierge à l’enfant. Charles Goutzwiller. Huile sur toile. Musée sundgauvien, Altkirch (Wikipedia).

Sainte Marie, mère de Dieu

Patrice BergeronPatrice Bergeron | Sainte Marie, mère de Dieu (B) – 1er janvier 2021

La visite des bergers : Luc 2,16-21
Les lectures : Nombres 6,22-27 ; Psaumes 66 (67) ; Galates 4,4-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Au premier de l’an, me revient toujours la même image qui me donne un peu le vertige : soit celle de me retrouver devant un cahier neuf, aux 365 pages toutes blanches! Co-auteur, avec les aléas de la vie, je sais que je noircirai ces pages au fil des jours, mais quelle histoire aura été écrite au bout de l’année? Le vertige venant du fait qu’on ne décide pas de tout, sinon de notre façon de réagir aux événements. Devant cette appréhension de l’inconnu, la première lecture, tirée du livre des Nombres, vient à point nommé : une formule de bénédiction très ancienne que les prêtres (fils d’Aaron) devaient prononcer sur le peuple.

Un souhait de paix (Nombres 6,22-27)

Coincés entre deux unités littéraires plus importantes, la réglementation du naziréat et un récit de la consécration du sanctuaire, ces six petits versets auraient facilement pu passer inaperçus. Heureusement que les concepteurs du lectionnaire liturgique ont su repérer ce hiatus lumineux du livre des Nombres, pour les offrir au peuple de Dieu célébrant les fêtes de la nouvelle année.

Cette bénédiction est sûrement plus ancienne encore que la rédaction du livre dans laquelle elle s’est glissée, car on a retrouvé une formule brève de celle-ci, gravée sur des amulettes en argent datant du 7e siècle avant JC, découvertes lors de fouilles archéologiques à Jérusalem en 1979. Il s’agit du plus ancien manuscrit portant des versets bibliques que nous possédions à l’heure actuelle. Ironie de l’histoire, ces amulettes portant ces paroles de bénédiction furent trouvées dans un lieu symboliquement associé à la malédiction dans la Bible, la vallée de la Géhenne, tout près des murs de l’ancienne ville de Jérusalem.

La formule de bénédiction tient en trois versets rythmés, bâtis sur le même schéma articulé comme suit : un premier verbe, le nom divin et un second verbe. La triple prononciation du nom divin appelle sa présence en personne sur le(s) destinataire(s) de la bénédiction. Elle culmine par le souhait du « shalom »,  mot hébreu traduit en français par « paix » qu’il faut entendre comme une plénitude de bonheur. Pour le peuple de la Bible, une bénédiction prononcée sur quelqu’un – comme une malédiction d’ailleurs – porte en elle une efficacité, produit du fruit, se fraie un chemin, non pas à la manière d’une incantation magique, mais mystérieusement comme si la parole prononcée était investie d’un caractère séminal. Ainsi comprend-t-on les mots de Jésus aux disciples qu’il envoie en mission : Si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle. Si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne vers vous (Matthieu 10,13). Il nous est donc bon, au début d’une année nouvelle, d’entendre prononcer cette bénédiction comme un semence de paix qui prendra racine en nos vies.

Né d’une femme… (Galates 4,4-7)

Sans la nommer par son nom, voilà le seul passage du Nouveau Testament où Paul nous parle de la mère de Jésus. Naturel alors que ces versets de la Lettre aux Galates soient lus en cette fête liturgique de Sainte Marie Mère de Dieu.

Cependant, en ayant recours à une formule laconique surprenante, « Né d’une femme », on devine que l’intention de Paul n’est pas de servir un traité de mariologie aux Galates, mais bien de rappeler le grand plan de Dieu de faire de nous des fils, projet qui devait passer par l’incarnation du Fils une fois venue la plénitude des temps. Permettre au Fils de Dieu d’entrer dans l’histoire, adoptant la nature humaine avec toutes ses fragilités, voilà le rôle unique que devait jouer, Marie, cette fille d’Ève que Paul ne nomme pas.

Mais notre court extrait de Galates mentionne aussi que ce Fils, envoyé par Dieu, fut soumis à la Loi de Moïse. Or, toute la lettre aux Galates développe la thèse chère à Paul selon laquelle Jésus nous a libérés de l’esclavage de la Loi pour nous faire vivre de l’Esprit dans la liberté des fils! Grâce à Jésus nous voilà pleinement adoptés par le Père, cohéritiers avec Jésus, habités du même Esprit et capables, comme Jésus, de prier Dieu en lui donnant le nom intime et affectueux d’Abba!

Des bergers missionnaires

L’évangile de cette liturgie de la fête de Sainte Marie Mère de Dieu est la suite immédiate de l’évangile de la messe de la nuit de Noël qui nous est des plus familiers. Suite à l’annonce de l’ange de la naissance de Jésus aux bergers et le don d’un signe (un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire Lc 2,12), ces derniers se hâtent pour constater la réalité des évènements. Si, dans la scène de la nuit de Noël, les bergers étaient plutôt passifs, recevant simplement le message de révélation du messager céleste au sujet de l’enfant de Bethléem, ici, ils passent en mode actif! En racontant ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant, ils deviennent, du coup, les tout premiers missionnaires évangéliques de l’histoire!

Leur prédication – dont on n’entend aucun mot – suscite deux types de réaction rapportés par notre récit : celle des auditeurs anonymes et celle de Marie. Les premiers sont « étonnés » ou « émerveillés ». L’évangéliste Luc se plait à souligner ces réactions d’admiration que suscitent les interventions de Dieu dans l’histoire des hommes. Il en parsème son œuvre en deux tomes (Évangile et Actes des Apôtres), manière pour lui de renforcer, chez ses lecteurs, la conviction qu’une puissance surnaturelle (œuvre de l’Esprit)  accompagne l’annonce de l’Évangile.

La seconde réaction rapportée est celle, silencieuse, de Marie. C’est sur elle, héroïne de la fête, que le projecteur veut évidemment se tourner. Celle-ci est tout accueil de l’œuvre de Dieu dont elle ne veut perdre aucun signe de délicatesse, retenant tous les évènements (ou paroles) et les méditant dans son cœur. Or, on sait que le cœur, dans la Bible, est le siège de la vie la plus intime de l’homme. Souhaitant ne perdre aucune parole de Dieu, elle prend ici une posture très biblique rappelant celle d’un Samuel (1 Samuel 3,19). Tout aspirant à une  spiritualité chrétienne authentique, visant à saisir la présence amoureuse de Dieu dans sa vie, ne saurait avoir modèle à imiter plus admirable que Marie.

Les deux derniers versets de la proclamation évangélique de cette fête méritent encore une observation ou l’autre. Les chants de gloire et de louange des bergers suite à leur témoignage de Jésus rappellent les chœurs angéliques de l’épisode précédent (évangile de la nuit de Noël). Manière de dire que la naissance du Sauveur atteint toute l’étendue de la création, de ses plus sublimes créatures des cieux jusqu’aux plus humbles créatures de la terre, représentés par les bergers.

Notre évangile se clôt par le récit de la circoncision de l’enfant où Jésus reçoit son nom. Or, on le sait, dans la Bible, l’imposition d’un nom donne au protagoniste sa vocation. Bien que Luc, contrairement à l’évangéliste Matthieu (Mt 1,21), n’explique pas le nom de Jésus, sa signification (i.e. : le Seigneur sauve) ne devait pas échapper aux premiers lecteurs de l’évangile. Celui dont l’identité a été déclinée au soir même de sa naissance par l’ange (Sauveur, Christ et Seigneur) entre officiellement dans l’histoire recevant le nom définissant sa mission.

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

Source : Le Feuillet biblique, no 2689. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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