Il allait par les villages. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle opaque et graphite, 16,7 x 27,6 cm. Brooklyn Museum, New York.

La Bonne Nouvelle s’incarne en actes !

Francine RobertFrancine Robert | 5e dimanche du Temps ordinaire (B) – 7 février 2021

Jésus guérit la belle-mère de Pierre : Marc 1, 29-39
Les lectures : Job 7, 1-4.6-7; Psaume 146 (147); 1 Corinthiens 9, 16-19.22-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle ! Dans la première lecture, Job n’en peut plus de ses tristes jours et de ses nuits sans fin. Ils sont nombreux, ceux qui s’y reconnaissent, au temps où j’écris ce texte : temps de ‘zone rouge’, confinement, solitude, et lassitude pour plusieurs ; angoisse et avenir incertain pour d’autres. En février on peut encore comprendre la lamentation de Job. En quoi la Bonne Nouvelle de ce dimanche peut-elle nourrir notre confiance? Notre capacité à dire encore “souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle”?

Oui, le Seigneur se souvient de nous! C’est justement pour manifester cela que Jésus est « sorti », comme le semeur sorti pour semer (4,3). Pour proclamer la Bonne Nouvelle à ceux et celles dont la vie est fragilisée par le malheur, la maladie, l’aliénation par des esprits mauvais, l’exclusion religieuse ou le mépris social. Ce verset 38 est la clé du récit d’aujourd’hui : Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. Marc reprend ici l’expression qui a introduit la mission de Jésus : il vint en Galilée proclamer l’Évangile de Dieu. Il disait : Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ! (Mc 1,14-15)

Mais comment croire en la Bonne Nouvelle en temps de crise, de malheur, de détresse? Jésus ira faire ailleurs ce qu’il vient de faire à Capharnaüm : libérer, guérir, relever.

De « l’église » à la maison

Dans la première scène d’aujourd’hui, Jésus revient de la synagogue. Là, ce jour du sabbat, il a délivré un homme aliéné, lié intérieurement par un esprit mauvais. Les gens sont impressionnés. Sorti du lieu religieux public, Jésus entre dans la vie privée et familiale, chez Simon et André. Disciples déjà influencés par son attitude salutaire, ils se soucient d’une femme malade. Jésus s’approche, la saisit par la main et la fait lever. Cette traduction de la liturgie « corrige » la phrase de Marc qui semble mal construite : s’approchant, il la fit lever en lui prenant la main. ‘Faire lever’ est un verbe que les chrétiens associent à la résurrection. Il revient par exemple en 12,26 (les morts sont relevés [1]) et à propos de Jésus (14,28 ; 16,8.14). Marc place donc ce verbe au centre des trois actes de Jésus, pour le mettre en valeur. Une syntaxe moins bonne, au profit d’une signification plus profonde, la résurrection. Les guérisons sont toujours racontées pour évoquer plus qu’un événement passé, le salut entier, constant et universel que le Christ continue d’apporter. Cette belle-mère, c’est la personne qui lit le récit ; c’est nous! Du coup, le détail précisant que la femme guérie vient servir le repas reçoit lui aussi un surplus de signification. Être relevé par le Christ appelle à devenir attentif aux gens qui ont besoin d’être relevés, à se mettre à notre tour au service des autres.

Du privé au public

Au soir, fin du sabbat, on se rassemble sur la place publique pour amener tous les malades à Jésus. Marc résume sa soirée : il guérit. Les « possédés » ne sont pas des pécheurs. Ils sont aux prises avec des maladies étranges dont on ignore la source, et que l’Antiquité attribue à des esprits mauvais. Guérir des possédés et des malades, c’est combattre les forces extérieures et intérieures qui font du mal aux gens. Elles existent toujours, même si aujourd’hui on les connaît assez pour les appeler autrement : handicap, cancer, schizophrénie, virus, dépression, etc.
 
Ainsi, dans les temps et divers lieux de vie humaine comme dans le temps et le lieu sacré, Jésus s’est engagé tout entier dans cette lutte. Dans notre imaginaire sur lui, on pense que c’était facile. Pourtant le texte de Marc met ici une nuance qu’on ne remarque pas, sauf si on lit la reformulation de Matthieu. Comparons leurs textes résumés :

Mc 1,32-34 : on lui amena TOUS les malades et les possédés. (...) Il en guérit BEAUCOUP (...)
Mt 8,16-17 : on lui amena BEAUCOUP de possédés (...) il guérit TOUS les malades (...)

Je ne suis pas sûre que Mt et Mc aient réfléchi à la manière de placer TOUS et BEAUCOUP. L’Inspiration travaille les auteurs dans leur intériorité profonde. Pour Matthieu Jésus est le Seigneur de l’Église, sa puissance de salut est universelle, sans limite. En Matthieu ça va de soi que Jésus guérit tous ceux qui le demandent. Mais Marc, qui partage cette foi en Jésus ressuscité, est habité par une vive conscience de l’Incarnation. À Noël on a célébré le consentement total de Dieu à entrer dans la condition humaine. Ça signifie devenir fragile et mortel, et aussi ne pas être tout-puissant, accepter ces limites qui sont les nôtres et qui nous agacent tellement! On le voit, les limites du pouvoir de Jésus ne dérangent pas Marc : Jésus guérit ‘beaucoup’ de malades, ça lui suffit. Et ça ne l’a pas empêché de souligner son autorité (1,22.27). L’Incarnation est une source d’inspiration intérieure aussi forte et essentielle pour Marc que la Seigneurie l’est pour Matthieu. L’Incarnation n’est-elle pas aussi une Bonne Nouvelle pour nous?

« Tais-toi ! »

Aux portes de la ville, Jésus empêche les démons de parler de lui. Pourquoi? Juste avant à la synagogue il a fait taire l’esprit mauvais qui l’appelait le Saint de Dieu! Jésus l’a ‘rabroué’, verbe parfois traduit « réprimander ». Même verbe pour faire taire d’autres esprits mauvais qui l’appellent Fils de Dieu (3,11-12). Curieusement, Marc utilise aussi ce verbe quand Jésus défend aux disciples de parler de lui comme Messie. Même verbe encore quand Pierre refuse l’annonce de la passion (8,30-33).

On parle souvent du « secret messianique » dans Marc. Les risques d’erreur sur la mission d’un messie politique qui délivrerait Israël des Romains sont réels pour le peuple juif. Mais Marc écrit pour des chrétiens non-juifs. Quel rôle jouent ces consignes de silence dans sa catéchèse? peut-être le même rôle que son insistance sur l’Incarnation? Si on utilise les titres de Jésus avec une signification porteuse de la toute-puissance de Dieu, on risque de passer à côté de l’essentiel : en Jésus Dieu se révèle vulnérable, livré à notre liberté de l’accueillir ou de le rejeter. Il renonce à sa toute-puissance contre ceux qui le refusent. Si Pierre désigne Jésus comme Messie sans accepter ce choix qui le conduira à être tué, il utilise un titre vrai auquel il donne un sens erroné. Jésus le rabroue deux fois pour cela. Les mauvais esprits aussi en ont plein la bouche, des titres vrais comme « Saint de Dieu » et « Fils de Dieu ». Marc nous invite à vérifier quel sens nous donnons aux mots dans notre profession de foi en Jésus. Assumons-nous vraiment sa totale humanité?

Tout le monde te cherche

Après cette longue journée, Jésus s’éloigne dans la nuit pour prier. Quelle fut sa prière? Action de grâce à Dieu qui l’a aidé à manifester la Bonne Nouvelle? Demande d’aide pour discerner les choix à faire pour la suite? L’intervention de Pierre va le pousser en avant, ailleurs. En Marc les récits s’enchaînent sur un rythme rapide, parsemés de « et aussitôt » (souvent omis par la liturgie). Les gens voudront garder pour eux ce guérisseur populaire. Les disciples feront pareil plus tard. Mais Jésus échappe à tous, toujours poussé par l’urgence de témoigner de la Bonne Nouvelle ailleurs, en actes qui libèrent.

C’est ainsi, en pratiques concrètes, que Jésus révèle un Dieu qui se fait proche de nous, qui est Bonne Nouvelle pour nous. De même Paul se fera faible avec les faibles, serviteur de tous. Nous sommes appelés à faire de même envers les autres, pour qu’ils ne pensent pas ces mots désespérés de Job : mes yeux ne verront plus le bonheur. L’Évangile nous invite aussi à reconnaître la présence aimante du Dieu de Jésus dans les gestes et les attentions des autres envers nous. À travers eux, Dieu passe... puis s’en va ailleurs sans se laisser capturer.

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

[1] Aussi la fille de Jaïre (5,41) et les paroles sur Jean-Baptiste (6,14.16). Fréquent en Matthieu et Luc à propos de Jésus.

Source : Le Feuillet biblique, no 2695. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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