(S. Hermann et F. Richter / Pixabay)

Une nouvelle irrésistible

Béatrice BérubéFrancis Daoust | 6e dimanche du Temps ordinaire (B) – 14 février 2021

Jésus guérit un lépreux : Marc 1, 40-45
Les lectures : Lévitique 13, 1-2.45-46 ; Psaume 101 (102) ; 1 Corinthiens 10, 31–11,1
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Bien que très bref, le récit du lépreux purifié est un épisode bien connu des évangiles. Également raconté en Matthieu 8,2-4 et Luc 5,12-16, c’est, contrairement à ce qu’on observe habituellement, le récit de Marc (1,40-45) qui est le plus détaillé des trois synoptiques. Les ajouts propres à Marc mettent deux thèmes en valeur : la miséricorde de Dieu qui se manifeste en Jésus et la propagation irrésistible de la Bonne Nouvelle.

Un positionnement stratégique

Avant de s’intéresser aux particularités du récit de Marc, il est important de noter l’endroit où il situe cet épisode. En effet, Marc le place au début de son évangile, peu de temps après le baptême par Jean Baptiste (Marc 1,9-11) et l’appel des quatre premiers disciples (Marc 1,16-20). Bien que Jésus ait opéré d’autres guérisons et exorcismes avant la rencontre avec le lépreux, celle-ci constitue une sorte de tremplin pour son ministère. La renommée de Jésus s’était déjà répandue partout à travers la Galilée (Marc 1,28), mais après la purification du lépreux, ce sont les foules qui viennent vers lui de toute part (Marc 1,45).

En comparaison, Matthieu situe l’événement tout de suite après le discours sur la montagne (8,2-4), mais l’épisode se termine abruptement après que Jésus ait ordonné au lépreux purifié d’aller se présenter au prêtre et de lui donner l’offrande prescrite par la loi de Moïse. Luc aussi place cette rencontre au début du ministère de Jésus, tout de suite après l’appel des quatre premiers disciples (Luc 5,12-16). Mais la longueur imposante des deux premiers chapitres lucaniens, qui racontent les événements entourant la naissance de Jésus, fait en sorte de noyer quelque peu la rencontre avec le lépreux dans l’ensemble du ministère de Jésus. Marc fournit ainsi un indice majeur en ce qui a trait à l’identité de Jésus en tant que Messie, puisque l’arrivée de celui-ci devait être signalée par différents prodiges incluant la guérison des lépreux : Les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent et les morts se relèvent (Matthieu 11,5).

Une différence majeure

Les trois évangiles synoptiques s’entendent sur le début de l’épisode : un lépreux s’approche de Jésus et lui demande, s’il le veut, de le purifier ; ce à quoi Jésus répond par l’affirmative. Il est important de noter ici l’attitude non conformiste du lépreux. Selon la loi de Moïse, il devrait vivre en retrait de la société et non s’approcher d’autres individus, encore moins d’une personne qui attire les foules comme le fait Jésus. Son désir d’être purifié de ce mal est donc considérable, au point où il est prêt à enfreindre les consignes de la Torah. La même chose peut être dite de Jésus, qui touche le lépreux. Son désir de voir cet homme délivré de cette situation qui le marginalise et le fait souffrir l’emporte, du moins momentanément, sur l’obligation d’observer les règles de la loi mosaïque.

À noter aussi la forme passive de la purification du lépreux, chez les trois synoptiques : À l’instant même, la lèpre le quitta (Marc 1,42). Dans les récits de guérisons, on ne dit jamais que Jésus fait disparaître la maladie, car c’est en fait Dieu qui la réalise. On le voit par exemple dans le récit de l’homme à la main desséchée : Alors il dit à l’homme : « Étends ta main ». Et il l’étendit et elle fut rétablie, saine comme l’autre. (Matthieu 12,13) ; dans celui de la femme courbée : Il posa les mains sur elle. Et à l’instant même elle se redressa, et elle glorifiait Dieu (Luc 13,13).

Vient ensuite la première différence qu’on observe entre le récit de Marc et ceux des autres synoptiques. Il s’agit de la réaction de compassion de Jésus, absente de Matthieu et Luc. Son omission chez Luc est d’autant plus remarquable du fait qu’on qualifie souvent cet ouvrage « d’évangile de la compassion ». C’est le premier endroit chez Marc où il est question de la compassion de Jésus. Passée sous silence dans les actions précédentes de Jésus, elle apparaît au cœur du récit de la purification du lépreux. Ainsi, puisque nous avons observé que cette rencontre constitue le tremplin d’où s’amorce véritablement le ministère de Jésus, nous pouvons affirmer, avec plus de précision, que la miséricorde de Jésus joue un rôle majeur dans le coup d’envoi de son ministère.

Un retournement surprenant

La deuxième différence observée entre le récit de Marc et ceux des autres synoptiques se trouve dans le revirement surprenant de l’attitude de Jésus vis-à-vis du lépreux. Saisi de compassion à son égard, voici maintenant qu’il le sermonne sévèrement : L’ayant grondé, aussitôt il le chassa (Marc 1,43). Matthieu et Luc édulcorent cette scène en affirmant que Jésus dit (Matthieu 8,4) ou commanda (Luc 5,14) au lépreux de ne parler à personne de ce qui vient de se produire et d’aller se présenter au prêtre pour sa purification. Mais le récit de Marc, fidèle à son habitude, est plus percutant ; Jésus y réprimande durement le lépreux. Le verbe grec employé, embrimaomai, pourrait aussi se traduire par « grogner » ou même, pour utiliser un verbe populaire chez les adolescents aujourd’hui, par « rager ». On le retrouve deux autres fois chez les synoptiques : quand Jésus avertit deux aveugles de ne parler de leur guérison à personne (Matthieu 9,30) et quand les disciples réprimandent la femme venue oindre Jésus avec un parfum dispendieux (Marc 14,5).

Marc ne trace pas un portait ambivalent ou contradictoire de Jésus, mais témoigne plutôt d’une double attitude de Jésus que l’on retrouve partout dans les évangiles et qui consiste à maintenir un équilibre entre observance de la loi de Moïse et nécessité de réaliser pleinement cette loi. Jésus ne désire pas abolir la loi de Moïse, mais la parfaire. Or, comme l’indiquent de nombreux passages des évangiles, c’est la compassion qui sous-tend toute la loi de Moïse et la complète : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée … Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes (Matthieu 22,37-40). Pour Jésus, compassion et loi vont de pair ; l’une ne va pas sans l’autre. Il n’y a donc pas d’incohérence dans ses agissements : il réagit avec compassion à la demande du lépreux et s’assure que celui-ci ne se soustrait pas à ses obligations religieuses.

Un témoin doublement désobéissant

La dernière différence observée entre le récit de Marc et ceux des autres synoptiques est la réaction du lépreux. Le récit de Matthieu se termine tout de suite après les recommandations de Jésus et, dans celui de Luc, on mentionne que la nouvelle se répandait de plus en plus au sujet de Jésus. En d’autres mots, dans ces deux cas, le lépreux purifié suit docilement les ordres de Jésus. Mais chez Marc, il se met à proclamer et à répandre la nouvelle (Marc 1,45). Le lépreux de Marc est doublement désobéissant : il s’est approché de Jésus malgré les interdictions de la loi de Moïse et n’a pas écouté les directives de Jésus. Mais ce faisant, il devient témoin de l’Évangile et partage la tâche de Jésus, qui était sorti, lui aussi pour « proclamer » la Bonne Nouvelle (Marc 1,38.39). Il se présente ainsi, malgré sa double désobéissance, comme un véritable disciple de Jésus, qui propage la Bonne Nouvelle avec enthousiasme et efficacité.

Conclusion pour aujourd’hui

À la lumière de cet épisode, tel que raconté en Marc, faudrait-il, pour être un vrai disciple de Jésus, désobéir aux prescriptions religieuses et aux recommandations de Jésus? Il ne semble pas que la conclusion à tirer de ce court récit aille en ce sens, mais plutôt dans l’enthousiasme débordant du lépreux purifié. Celui-ci a été témoin de la miséricorde de Dieu, telle que manifestée en Jésus ; il l’a expérimentée au plus profond de sa souffrance et elle l’a libéré de ce mal qui l’empêchait de vivre avec dignité et de se réaliser pleinement en tant qu’être humain. Puissions-nous, nous aussi, être des témoins enthousiastes de l’action miséricordieuse de Dieu et du Christ dans nos vies, de sorte que d’autres personnes viennent vers lui de toute part (Marc 1,45) et fassent l’expérience eux aussi de cette compassion renversante.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2696. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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