Élie chez la veuve de Sarepta. Bernardo Strozzi, c. 1640-1644. Huile sur toile, 138 x 106 cm. Musée d’histoire de l’art de Vienne (Wikipédia).

L’expérience du manque

Béatrice BérubéFrancis Daoust | 32e dimanche du Temps ordinaire (B) – 7 novembre 2021

L’offrande de la veuve : Marc 12, 38-44
Les lectures : 1 Rois 17, 10-16 ; Psaume 145 (146) ; Hébreux 9, 24-28
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce 32e dimanche du Temps ordinaire, la lecture de l’Ancien Testament et celle de l’Évangile nous parlent de deux veuves, l’une à Sarepta (1 Rois 17,10-16), l’autre à Jérusalem (Marc 12,41-44), qui se dépouillent du très peu qu’elles ont, la première, pour offrir l’hospitalité au prophète Élie et la seconde, pour faire une offrande au Temple.

Quelle leçon pouvons-nous tirer de ces deux récits? Faut-il penser que vivre dans l’indigence et la misère est une situation louable et souhaitée par Dieu? Être croyant, est-ce mener une existence de détresse, soumise à la volonté divine et aux autorités religieuses, qui se réservent la meilleure part? Ces questions peuvent sembler absurdes, mais elles sont tout de même bien ancrées dans la conception que plusieurs personnes se font encore de la pauvreté nécessaire et celle d’un Dieu colérique qu’il faut craindre.

Une analyse de ces deux récits permet de constater que Dieu ne désire pas nous voir souffrir ou nous abaisser, mais que sa Parole nous guide toujours et qu’il est bon de demeurer disponible à l’expérience du manque.

Guidés par la parole de Dieu

Le chapitre 17 du premier livre des Rois démarre de façon abrupte avec l’entrée en scène soudaine du prophète Élie, qui annonce au roi Achab une longue sécheresse. C’est donc dans un contexte de calamité et de famine que se situe ce chapitre composé de trois épisodes : le séjour du prophète au torrent de Kerith où il est nourri par les corbeaux (vv. 2-7), l’approvisionnement miraculeux d’Élie, de la veuve et de son fils (vv. 8-16) et la guérison de l’enfant (vv. 17-24).

L’ensemble du chapitre est articulé autour du thème de la parole de Dieu. Les deux premières scènes s’ouvrent en effet avec des introductions identiques : La parole de Yahvé lui advint en ces termes  (v. 2 et v. 8) et le chapitre se termine sur cette déclaration de la veuve : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que la parole de Yahvé dans ta bouche est vérité (v. 24). Dans le premier épisode, on précise aussi qu’Élie s’en alla et agit selon la parole de Yahvé (v. 5). La même formule est employée pour la femme qui s’en alla et agit selon la parole d’Élie (v. 15), qui est lui-même porteur de la parole de Dieu. On mentionne également que la cruche de farine ne s’épuisa pas et la jarre d’huile ne se vida pas, selon la parole qu’avait dite Yahvé par le ministère d’Élie (v. 16).

Ces références répétées à la parole de Yahvé ont pour effet d’orienter notre attention sur les trois déclarations de Dieu dans ce chapitre (vv. 3-4.9.14). On remarque alors que, dans chacun des cas, il s’agit de promesses de survie, qui se réalisent telles qu’annoncées. La parole de Dieu est donc source de vie. C’est elle, fondamentalement, qui permet à Élie, la veuve et l’enfant de survivre durant cette période de sécheresse et de famine.

De plus, cette parole est performative : ce que Dieu dit se réalise. Cette observation n’est pas sans rappeler le premier récit de la création : Dieu dit : ‘Que la lumière soit!’ Et la lumière fut (Genèse 1,3). À noter aussi que la parole de Dieu n’est pas que discours, mais comporte un appel à l’action : s’installer au torrent de Kerith, se rendre à Sarepta, préparer les galettes.

Ces observations nous fournissent ainsi trois balises, durant les moments d’épreuves que nous pouvons vivre aujourd’hui : la parole de Dieu est l’essentielle source de vie, cette parole est efficace et elle nécessite un recours à l’action.

Une parole qui circule dans les deux sens

Après ces trois cycles de promesse de survie et de réalisation de la promesse vient l’épisode de la guérison du fils de la veuve. Dans les trois premières scènes, la parole de Dieu faisait un voyage, pour ainsi dire, descendant : de Dieu à Élie à la veuve. Dans le dernier épisode, elle circule en sens inverse : de la veuve qui s’adresse à Élie (v. 18) et d’Élie qui s’adresse deux fois à Dieu (vv. 20.21). Ce n’est peut-être pas un hasard si la parole de Dieu « descend » trois fois dans les trois premiers épisodes et que la parole humaine « monte » trois fois dans la scène finale. Ce n’est peut-être pas un hasard non plus si Élie s’allonge trois fois sur l’enfant afin de lui redonner la vie. N’avons-nous pas observé, plus haut, que la triple parole de Dieu est source de vie?

La parole de Dieu n’est donc pas quelque chose qui, tout simplement, « tombe du ciel » ; elle est un dialogue qui circule dans les deux sens. Et il est intéressant d’observer, dans ce récit, que le dialogue avec Dieu peut être amorcé même lorsque celui-ci est silencieux et même lorsqu’on peut penser qu’il pourrait vouloir notre malheur. Dieu « écoute » (v. 22) ceux et celles qui lui parlent ouvertement. Et il agit.

L’épreuve traversée

Le chapitre 17 du premier livre des Rois est aussi une histoire d’épreuve traversée, pas tellement par Élie, qui ne manque jamais de rien, mais par la veuve de Sarepta, qui, au moment où commence le récit, en est à ses dernières ressources et se prépare à mourir.

Sa situation désespérée n’est vraisemblablement pas causée par la sécheresse et la famine qui sévissent en Israël, mais par sa condition sociale. L’absence de pluie ne semble pas toucher le territoire de Sidon, puisque la veuve a accès à une source d’eau (vv. 10-11), alors que le torrent de Kerith, en Israël, est tari (v. 7). De plus, la sécheresse est une histoire qui ne concerne que Dieu et le peuple d’Israël, pas les nations voisines. Le roi Achab fut en effet, selon la Bible, le plus impie de tous les rois d’Israël. Il s’adonna à l’idolâtrie et entraîna le peuple à sa suite. Tout juste avant l’arrivée d’Élie, on mentionne qu’il fit ce qui est mal aux yeux de Yahvé, plus que tous ceux qui l’avaient précédé (1 Rois 16,30) et qu’il agit pour pousser Yahvé, Dieu d’Israël, à la colère (v. 33). La venue du prophète annonçant la sécheresse ne semble alors plus aussi soudaine et n’a rien d’aléatoire ; elle est la conséquence du péché d’Israël.

Dieu va « régler ses comptes » plus tard avec son propre peuple, qui l’a abandonné pour d’autres dieux. Mais en attendant, il se tourne vers cette femme étrangère qui est sur le point de sombrer dans la mort et dont on ne connaît même pas le nom. Cette attitude n’a rien d’étonnant, puisque Dieu a toujours eu une préférence pour les plus petits, les plus faibles et les plus vulnérables. C’est la raison pour laquelle il avait choisi le modeste peuple d’Israël, qui se trouvait en esclavage en Égypte, pour qu’il devienne sa nation. Pendant que son peuple se détourne de lui, Dieu poursuit son activité miséricordieuse ailleurs. La veuve se trouve ainsi à faire le trajet inverse de celui du peuple d’Israël. Alors que ce dernier abandonne Dieu pour aller à la suite de divinités étrangères, cette étrangère découvre progressivement qui est le Dieu d’Israël.

Son cheminement est véritablement une épreuve. Le nom de la ville de Sarepta vient d’ailleurs du verbe hébreu tsaraph, qui signifie « fondre, raffiner, tester ». Et ce n’est vraisemblablement pas un hasard si le nom « jarre », qui joue un rôle central dans la survie de la veuve, se prononce tsapahath en hébreu.

La conversion de la veuve est en quelque sorte précurseur du retour à Yahvé qu’Israël effectuera au chapitre suivant, quand la pluie revient et qu’il affirme que c’est Yahvé qui est Dieu (1 Rois 18,39). À ce point, il semble que la mission du prophète Élie, dont le nom signifie « Yahvé est Dieu » en hébreu, soit accomplie.

L’expérience du manque

L’expérience de Dieu que fait cette femme dans le dénuement le plus complet peut jeter un éclairage sur cette autre veuve dont il est question dans la lecture de l’Évangile. Elle aussi se départit du peu qu’elle a et met toute sa confiance en Dieu.

Après avoir averti les foules des dangers des scribes qui reçoivent tous les grands honneurs et sont tournés vers eux-mêmes, Jésus appelle à lui ses disciples pour qu’ils soient témoins de la foi exemplaire de cette femme qui n’a rien mais se tourne toute entière vers Dieu.

Dieu ne souhaite certainement pas que nous nous privions de l’essentiel et il ne prend aucunement plaisir à nous voir souffrir. Mais l’expérience du manque, l’épreuve du vide, peut être un lieu privilégié de rencontre de Dieu. Nous vivons dans un monde de surabondance dans lequel il peut être facile d’oublier Dieu. Comme le peuple d’Israël au temps d’Élie, nous pouvons nous tourner vers les idoles modernes ; comme les scribes au temps de Jésus, nous pouvons être centrés sur nous-mêmes. Mais en agissant ainsi, nous perdons de vue que nous sommes des êtres finis. Les lectures d’aujourd’hui nous invitent donc, non pas à nous défaire de tout ce que nous possédons et à vivre dans la misère, mais à être capables de faire cette expérience du manque. Celle-ci nous permet de prendre conscience de notre finitude, nous aide à reconnaître que Dieu est source de vie et nous incite à nous tourner vers lui avec confiance.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2727. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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