Sainte Trinité. Enluminure, c. 1387. Codex Rossiano. Tempera et or sur parchemin. Musée d’arts métropolitain, New York (Wikimedia).

Mission… Trinité!

Alain FaucherAlain Faucher | Sainte TrinitÉ (B) – 30 mai 2021

L’envoi en mission : Matthieu 28, 16-20
Les lectures : Deutéronome 4, 32-34.39-40 ; Psaume 32 (33) ; Romains 8, 14-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Depuis quelques années, l’Église catholique au Québec amorce un virage missionnaire. Au-delà d’une simple « saveur du mois », cette préoccupation trouve ses fondements dans plusieurs textes bibliques. Ce dimanche consacré à la Trinité en présente un éloquent amalgame. Ainsi, la première lecture (Deutéronome 4,32-34.39-40) cite un grand discours divin… tout à fait politique. Dieu a accompli quelque chose d’inouï : il est intervenu de manière éclatante pour désenclaver une nation prisonnière à l’intérieur d’une autre nation. Les conséquences de l’adhésion à ce Dieu sont heureuses pour le peuple : bonheur et longue vie, tous les jours, sont offerts à des gens autrement fragiles et délaissés. À l’autre bout de l’histoire, la deuxième lecture (Romains 8,14-17) déploie les effets de la délivrance de l’esclavage opérée par le Père : l’Esprit de sainteté fait entrer les enfants de Dieu dans l’héritage divin avec le Fils. À condition d’en assumer la souffrance, nécessaire pour arriver à partager sa gloire, c’est-à-dire le rayonnement de la divinité de Jésus. La péricope évangélique (Matthieu 28,16-20) associe à de nombreuses évocations du Premier Testament une proposition ferme : étendre à toutes les nations les bienfaits du statut de disciples insérés dans la vie de la famille divine. Ainsi, la fête de la Trinité célébrée dans l’Année B met en valeur des aspects fort concrets de la visée missionnaire proclamée par Jésus. La fête imprègne tous les jours de la présence divine.

Les derniers mots deviennent les premiers

Dans cette réflexion, nous concentrons notre attention sur la péricope de l’Évangile. Nous explorons des allusions au Premier Testament qui s’entrecroisent dans le texte. Puis nous appliquons cette lecture aux réalités de la mission qui revient au premier plan de la vie des disciples d’aujourd’hui.

À première vue, les habitués de l’Évangile ne remarqueront rien d’original dans ce texte d’envoi mis dans la bouche de Jésus. Il s’agit pourtant d’un texte fortement stratégique. Cet envoi constitue la « clôture » de la vaste cathédrale catéchétique inspirée par l’enseignement de l’apôtre Matthieu. Structuré autour de cinq grands discours de Jésus, son évangile, cette mine de ressources spirituelles, voulait clarifier des situations troubles de la vie en Église. Il faut s’attendre à retrouver cette même préoccupation de clarification dans les lignes finales de l’Évangile. Elles font entrer le passé biblique dans les béances du temps présent pour mieux construire l’avenir avec les disciples.

Relire le Premier Testament

Pour construire cette certitude, le texte évangélique accumule les détails qui évoquent le Premier Testament. Ces références à des épisodes-clé de l’Ancien Testament permettent de clore l’enseignement matthéen sur une tonalité de certitude absolue, fascinante pour des chrétiens venus du Judaïsme.

  • Les Onze se rendent à la montagne, en « terre étrangère » (la Galilée), comme jadis les Hébreux qui fuyaient l’Égypte sont entrés en contact avec Dieu aux monts du Sinaï.
  • Les Hébreux maltraités et sceptiques avaient finalement admis que Moïse est l’envoyé de Dieu en se prosternant (Exode 4,31 ; 12,27). Ce qui ne les dispensait pas de râler par la suite contre lui! De même, les Onze se prosternent devant Jésus. Comme Moïse investi de mission, ce héros si fragile (voir Exode 3-5), certains disciples de Jésus ont des doutes. Et voilà les disciples de Jésus investis d’une mission précise de mise en contact de l’humanité avec la famille divine.
  • L’humanité est désignée par l’expression « les nations ». Ce mot rappelle la promesse divine faite à Abraham au profit de toutes les familles de la terre (Genèse 12,1-3). « Les nations » rappelle aussi la stratégie précise de Dieu décrite en Exode 19,6, lorsqu’il se choisit un peuple qui devient nation sainte, présence de Dieu parmi les nations. La mission donnée par Jésus à ses apôtres vise à « faire des disciples » de toutes ces nations qui n’avaient pas accès aux trésors de l’alliance de Dieu.
  • Pour devenir disciple, il faut avoir soi-même écouté un maître. Il faut lui reconnaître tout pouvoir, pour toutes les nations, tous les jours jusqu’à la fin du temps. Il faut se situer dans le prolongement de la première alliance, en « gardant les commandements » (voir Exode 24,7 ; voir aussi la première lecture de ce dimanche tirée du Deutéronome).
  • Pour multiplier les disciples, il faut vivre soi-même en disciples. Avec la conviction qu’en Jésus, la promesse de présence permanente de Dieu lancée en Exode 33,5.12-17 est accomplie. Dans l’Incarnation de Jésus, Dieu s’est rendu présent, de manière tangible, au milieu de son peuple. Jésus est vraiment Emmanuel, Dieu-avec-nous, comme le prévoyait le début de l’Évangile selon Matthieu (1,23). La finale de l’Évangile selon Matthieu confirme ce nom, puisque Jésus promet d’être avec ceux qui acceptent sa mission « tous les jours, jusqu’à la maturité du temps ».

Comprendre la noblesse de la mission

Les croyantes et les croyants ne peuvent rester neutres devant ces appels de Jésus lancés à ses premiers disciples. Croyantes et croyants d’aujourd’hui sont à leur tour invités à intervenir au nom de la famille divine. L’enjeu est immense : Jésus invite à transformer les nations en disciples. Il s’agit de baptiser, donc de faire plonger dans la mort-résurrection. Ce que nous comprenons entre nous de l’amour de Dieu ne peut rester entre les quatre murs de la communauté. Ce que nous comprenons ici et maintenant de l’amour de Dieu est destiné à transformer partout et pour le mieux la vie des gens que nous côtoyons dans les périphéries de nos communautés. Ces Galilée d’aujourd’hui incluent le joyeux monde des affaires, des centres commerciaux, des arénas, des loisirs, des études, des familles.

La dernière coquetterie, depuis le cinquième centenaire de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique (en 1992!), consiste à mettre en doute la pertinence de la mission. On prétend que le travail missionnaire est systématiquement un manque de respect des autres cultures. Cette approche contestataire néglige deux aspects de la mission.

Notre foi a été implantée en acheminant le message de Jésus dans les différentes cultures qui ont émergé au fil des siècles. Notre culture actuelle est un fruit de ce processus de rencontre. Notre culture n’a plus grand chose à voir avec la culture méditerranéenne d’origine où résonnait si positivement le message des disciples de Jésus. Notre mode de vie nord-américain, surgi du christianisme, est finalement tout à fait différent du mode de vie des Européens qui nous ont transmis la foi chrétienne. Et pourtant, nous restons en communion profonde avec la mission des origines.

De plus, les valeurs de communion universelle du message des disciples de Jésus n’ont aucune prétention à abolir les originalités ethniques et nationales. Jésus envoie ses disciples vers toutes les nations pour en faire des disciples. Il ne leur demande pas d’abolir les nations, contrairement aux prétentions de certaines sectes qui prétendent niveler toutes les frontières politiques au nom d’une foi intense! La mission n’est pas une négation des cultures actuelles... Elle transcende les différences parce qu’elle parle de l’essentiel de la nature humaine.

Incarner l’élan missionnaire de Jésus

Notre société ressemble davantage à la Galilée qu’à la capitale de foi qu’était Jérusalem. Les périphéries sont partout, et surtout sur nos écrans! L’information instantanée crée un village global, un lieu de rencontre (et de confusion!) virtuel aussi facile à mépriser que l’était la Galilée pour les Juifs pieux de Jérusalem. Jésus propose aujourd’hui la mission dans ce carrefour actuel des routes commerciales, ce point naturel de rencontre des nations et des croyances.

L’Église d’ici renoue sur le tard avec le souffle d’évangélisation qui secoue l’Église catholique depuis quelques décennies, un peu partout sur la planète. Jean-Paul II a nommé cette longue saison de retrouvailles entre le meilleur de nous-mêmes et la culture d’aujourd’hui « seconde évangélisation ». L’évangélisation est toujours et partout à refaire, dans chaque pays, pour chaque génération. Nous n’y échappons pas, et nos descendants croyants devront tout reprendre, à leur tour. Cette limite annoncée ne nous dispense pas d’investir le meilleur de nous-mêmes dans des groupes adaptés, des mouvements remaniés, des services innovateurs et originaux, des manières de faire dont nous ne rêvions même pas hier ou avant-hier : « Les façons d’évangéliser varient suivant les diverses circonstances de temps, de lieux, de culture, et elles offrent par là un certain défi à notre capacité de découvrir et d’adapter. » (Paul VI, Evangelii nuntiandi, §40)

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2713. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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