La prédication de Jean le Baptiste. Carlo Maratta, 1655. Huile sur toile, 91 x 100 cm. Musée des Beaux-Arts de Paul (Wikimedia).

Quatre doses d’espérance!

Alain FaucherAlain Faucher | 2e dimanche de l’avent (C) – 5 décembre 2021

La prédication de Jean le Baptiste : Luc 3, 1-6
Les lectures : Baruc 5, 1-9 ; Psaume 125 (126) ; Philippiens 1, 4-6.8-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Vingt jours avant Noël, les quatre textes bibliques du dimanche font silence sur Jésus. Cette éclipse temporaire mérite d’être remarquée... et questionnée! Que peut-il sortir de bon des textes bibliques si Jésus n’y est pas nommé? Beaucoup de bienfaits, en réalité. Beaucoup d’espérance, surtout. Comme une quadruple dose vaccinale!

Le Lectionnaire de ce dimanche construit un vocabulaire pour parler avec vigueur de Celui qui vient. Cette présentation indirecte de Jésus illustre bien la force des textes du Premier Testament pour la foi chrétienne. Quand nous lisons les dires des prophètes Baruc, Isaïe et Jean-Baptiste, nous construisons un langage vigoureux qui vient secouer la lourdeur des temps présents. Et nous constatons à quel point Jésus était inséré dans la foi du Judaïsme.

Debout Jérusalem!

Nous trouvons seulement deux mentions du prophète Baruc dans le Lectionnaire dominical. C’est déjà une bonne raison pour s’intéresser à cette première lecture qui « embraie » notre réflexion biblique en ce dimanche d’Avent!

Autre raison de s’intéresser à ce texte : un prophète prénommé « béni » en hébreu devrait logiquement nous offrir des messages importants et réconfortants. C’est certainement le cas aujourd’hui! Et suivez-moi bien : il y a même un lien entre Jérusalem et la pandémie…

Mais d’abord, constatons que le prophète s’adresse à la ville de Jérusalem comme s’il s’agissait d’une personne, une dame qui reçoit un vêtement différent de la part de Dieu. Dame Jérusalem est invitée à quitter son vêtement de tristesse et de misère pour revêtir une autre personnalité. Elle devient porteuse d’une parure de la gloire de Dieu, d’un manteau de la justice de Dieu, d’un diadème de la gloire de l’Éternel… Somme toute, Dame Jérusalem oublie sa mine sombre pour accueillir l’éclat que lui confère le don de Dieu. On constate que le vêtement est en fait un langage : le vêtement dit quelque chose de l’état intérieur d’une personne. L’état de Jérusalem est donc infiniment constructif, parce que transformé par le don de Dieu.

Qu’est-ce qui génère cette transformation vestimentaire et les noms nouveaux donnés par Dieu? Un événement historique spectaculaire : le retour des enfants de Jérusalem exilés par les ennemis. Ils reviennent en triomphe, ce qui était un traitement réservé à des rois victorieux. Ce n’est pas une petite affaire, un tel triomphe! Et cela déclenche même une transformation physique du paysage. Le Créateur s’implique à fond pour faciliter le retour des exilés : Dieu aplanit les problèmes possibles pour que se manifestent joie et gloire, miséricorde et justice. Dieu est à la fois un décideur, un ingénieur, un grand couturier. Dame Jérusalem est entre bonnes mains!

Une expérience actuelle

Même si nous nageons dans la vision poétique, nous ressentons l’énergie stimulante véhiculée par cette vision du prophète. Cela rejoint un phénomène très actuel déclenché par la récente pandémie. Une chanson s’est imposée au niveau mondial comme l’hymne de la COVID-19. Une chanson écrite en zoulou pour invoquer la mémoire de Jérusalem s’est répandue sur Internet comme une épidémie de bonne humeur, raconte Lucius Banda, organisateur du festival Sand Music (lac Malawi). Nous n’avions pas besoin seulement de doses de vaccin. Une chanson a sorti le monde de sa torpeur.

Dans le domaine des arts, une chanson africaine s’est imposée dans le monde entier par son dynamisme et son effet énergisant. Alors que l’humanité souffrait de morosité aigue, le souffle Gospel de Jerusalema a volé la vedette de la Journée du patrimoine d’Afrique du Sud. Son texte originellement en langue zouloue, sa chorégraphie créée en Namibie ont acquis rapidement une notoriété mondiale. Un défi a été lancé aux écoles et aux entreprises. De l’Autriche à l’Amérique du Sud, dans les aéroports et les entreprises, les universités et les écoles, les couvents et les monastères, on s’est lancé dans l’apprentissage de cette musique énergisante. Au moins un quart de milliard de visionnements témoignent de la valeur de l’imploration actuelle adressée à Jérusalem pour nous garder en marche, ensemble...

Je trouve fascinante cette réappropriation pandémique de la figure collective de Jérusalem, déjà tellement présente dans la Bible. Jérusalem n’est pas seulement un lieu : à toutes les époques, c’est une destination-phare, une personne protectrice, une compagne de route, le foyer réconfortant auquel on aspire…

C’est un peu l’atmosphère qui se dégage aujourd’hui de la première lecture biblique. Jérusalem vit l’expérience de l’altérité bienfaisante donnée par Dieu, comme si c’était un vêtement reçu en cadeau. Jérusalem voit revenir ses enfants dispersés sous tous les cieux. C’est une grande espérance qui déborde dans le chant du Psaume 125 (126). Depuis longtemps, on puise espérance et énergie dans l’espérance du retour d’exil.

Préparez les chemins du Seigneur

Le texte s’ouvre sur une liste qui nous indiffère, de prime abord. S’enfilent les noms de cinq dirigeants politiques de haut niveau et de deux grands-prêtres. Tout pour nous laisser accroire que ce qui suit dans le texte ne nous rejoindra pas. Et c’est le contraire qui se produit. La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.

Le désert? Le lieu de la désorganisation par excellence. Jean, fils de Zacharie? « Dieu a fait grâce », fils de « Yahvé se souvient »? Le rejeton d’un obscur sacrificateur du Temple de Jérusalem… Mais voilà le retournement mis en évidence. Face aux grands et puissants de ce monde, la parole divine suscite dans ce modeste prophète du désert une possibilité de changement, une plongée de conversion pour pardonner ce qui éloigne de Dieu.

Et Dieu intervient, comme pour donner vie aux prévisions du prophète Isaïe : comblement de ravins et abaissements des montagnes et des collines; sentiers tortueux (inévitables dans ce relief) devenus droits ; chemins rocailleux aplanis… Toute cette mise en scène géographique pour proclamer que « tout être vivant verra le salut de Dieu ». Décidément, l’évangile nous présente le prélude d’un changement décisif. Ce ne sont pas les petits roitelets qui pourront faire barrage. Le récit des générosités de Dieu est bel et bien en marche. En notre faveur.

Voilà pourquoi nous aurons raison d’investir du temps dans la contemplation de ce que disait Jean dans la région du Jourdain. Ce « fleuve » (terme poli!) est le contraire des fleuves de Babylone-en-exil : un lieu de passage, un lieu de changement radical dans l’histoire du peuple de Dieu. Ce qui sera vécu en Jésus surviendra avec, en arrière-fond, ce moment de transformation cosmique.

Nous sommes dans les ligues majeures lorsque nous attendons l’entrée en scène de Jésus! Les textes du Premier Testament, les paroles des prophètes sont déjà porteuses de Bonne Nouvelle… Voilà pourquoi nous devons de temps à autre nous y replonger.

Les personnages qui font avancer le récit des générosités de Dieu sont déjà en eux-mêmes des signes de salut suffisants pour nous mettre sur la piste du don de Dieu exercé en notre faveur… Cela ne peut nuire à notre propre baptême de conversion, ce petit « congé de Jésus ». Il sert à planter le décor pour ce qui arrive ensuite dans le déroulement des Écritures… Nous ne perdons rien pour attendre.

Marcher vers le jour du Christ!

Aujourd’hui comme dimanche prochain, nous lisons des extraits d’une des lettres de Paul les plus susceptibles de le faire apprécier. En effet, la familiarité, les confidences, les avis amicaux de l’apôtre contribuent à rendre plus digestibles les grandes vérités de foi qu’il rappelle à ses bons collaborateurs.

À sa manière, cet extrait enthousiaste d’une lettre cordiale prolonge l’impact de la première lecture et de l’évangile. Le rôle fondateur du don de Dieu est mis en valeur dans deux petites sections.

Aux versets 4-6, Paul déclare que Dieu a commencé chez les Philippiens un travail qu’il continuera jusqu’au jour de la seconde venue de Jésus. Ce travail divin est le pivot où s’articulent les évocations du passé et les annonces pour le futur.

Aux versets 8-11, Dieu est pris à témoin de l’attachement de Paul pour les bons disciples de la ville de Philippes. De plus, il est la cause ultime du don de Jésus : la justice obtenue par le Christ contribue à la gloire et à la louange de Dieu. Dans cette seconde section, les évocations de Dieu encadrent les propos de l’apôtre. Comme, dans la première lecture et l’évangile, les dons de Dieu encadrent les processus de transformation du monde et des croyants.

Joyeux Avent!

En discernant ce qui est essentiel, nous constatons que cet essentiel n’appartient pas au quotidien avec son train-train. Il s’agit de marcher vers le jour du Christ. Avec cette deuxième lecture, nous sommes indéniablement en Avent!

Cette saison liturgique n’est pas d’abord orientée vers la fête de Noël, mais bien vers le moment de la rencontre définitive du Christ en gloire avec l’humanité sauvée. Dans cette perspective, la fête de la Nativité joue le rôle de témoin d’un passé garant de l’avenir. De même que Jésus est déjà venu prendre chair, de même (et mieux encore) le Christ ressuscité saura-t-il se manifester lorsque les temps seront arrivés à maturité.

Le discernement souhaité par Paul est un outil très utile par les temps qui courent. La vie va quelque part, malgré les apparences et les pouvoirs illusoires des petits roitelets. Le monde, les sociétés vont quelque part, malgré les ratés, les hésitations, les retours à la barbarie digne des temps passés. Notre monde n’est pas seulement un tue-monde. Il est travaillé par la cohabitation avec Dieu.

Notre routine du Temps des Fêtes bouleverse nos habitudes. De même, les gestes de Jean le Baptiste et de Paul l’apôtre viennent aujourd’hui nous inviter à changer de perspective. Nous donnerons parce que Dieu a déjà donné... et qu’il est toujours disponible pour donner. Osons apprendre à recevoir! Quatre doses d’espérance, ce ne sera jamais de trop…

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2731. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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