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La Bonne Nouvelle de la bienveillance en actes

Francine Robert Francine Robert | 3e dimanche de l’avent (C) – 12 décembre 2021

Prédication de Jean et annonce du Messie : Luc 3, 10-18
Les lectures : Sophonie 3, 14-18a ; Isaïe 12, 2, 4-6 ; Philippiens 4, 4-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Nous recevons aujourd’hui deux enseignements de Jean le Baptiste en discours direct : un dialogue en questions-réponses (10-14), suivi d’un mini-discours (15-17). Mais c’est le narrateur qui dit aux lecteurs comment recevoir ces enseignements : ainsi et par bien d’autres exhortations encore il annonçait la Bonne Nouvelle au peuple (18). Dans cette conclusion qui lui est propre, Luc nous donne une clé de lecture : voir la Bonne Nouvelle proclamée dans les paroles de Jean. Indication précieuse, car on aurait plutôt tendance à y voir des exigences trop grandes, surtout suivies de l’annonce inquiétante du jugement qui vient.

Quelle Bonne Nouvelle ? Contrairement aux auditeurs de Jean, le lecteur est sensé le savoir déjà, s’il a lu les chapitres 1 et 2 du livre. Les messagers de Dieu ont annoncé une Bonne Nouvelle à Marie et aux bergers : la venue de Jésus comme sauveur (1,19 ; 2,10). Les autres lectures de ce dimanche ont été choisies dans ce sens, invitant à se réjouir du salut de Dieu, que nous célébrerons à Noël. Ainsi, Luc présente le point de vue chrétien sur le rôle de Jean, précisé dans le deuxième enseignement.

Jean annonce Celui qui vient (v. 16-17)

La relecture chrétienne du ministère de Jean voit en lui le précurseur de Jésus, avec raison. Luc le précise dans le livre des Actes : Jean a baptisé du baptême de conversion, disant au peuple de croire en celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus (19,4).

Mais au plan historique, Jean attendait plutôt la venue du Jugement de Dieu. Il annonce la Colère prochaine, la hache prête à couper l’arbre sans fruit, la séparation du grain et de la paille, que le feu détruira (3,7-9). Ces images empruntées aux prophètes évoquent toutes le Jugement final. Pour Jean, Celui qui vient est Dieu, ou celui à qui Dieu délègue le rôle du jugement. Il baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. Le feu qui purifie aussi le métal en éliminant les scories. Et en grec comme en hébreu, le même mot désigne l’esprit et le vent, ce vent qui sert justement à séparer la paille du grain. Cette annonce inquiétante n’est une Bonne Nouvelle que pour les gens certains d’échapper au jugement de Dieu ; ils espèrent le jour où Dieu éliminera enfin les pécheurs et les impies.

La pratique de Jésus ne ressemblera pas au programme que Jean annonce. Pas étonnant que plus tard, Jean envoie lui demander “Es-tu celui qui vient, ou faut-il en attendre un autre ?” (7,19) Car Jésus ne fonctionnera pas par séparation et exclusion mais, au contraire, par l’inclusion la plus large possible : pécheurs, méprisés, lépreux, et même les quelques non-juifs venus à lui. Certes, il appelle à la conversion, mais avec patience et amour, dans la joie de l’Alliance, plutôt que la peur de la colère divine. Surtout dans Luc (appelé l’Évangile de la grâce), Jésus donne à voir le don et le salut : quand Dieu vient, on est accueilli, pardonné, guéri, relevé, etc. Les signes sont donnés pour nourrir l’espérance et la confiance en Dieu, et non pour entretenir la crainte du jugement. Ils seront déçus et scandalisés, ceux qui comptaient sur le grand ménage, le châtiment des impies et le triomphe des justes (7,23).

Celui qui vient baptisera dans l’Esprit saint, car il est lui-même rempli de l’Esprit. Dieu l'a oint d'Esprit Saint et de force, lui qui a passé en faisant le bien et en guérissant les gens tombés au pouvoir du diable (Ac 10,38). Jésus sera donc plus fort que Jean, habité d’une force qui affronte le mal et libère les gens. Cette force sera donnée à la Pentecôte, évoquée ici par l’image du feu associée à l’Esprit, que Jésus annonce aux disciples : Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit (Ac 1,5). La force de l’Esprit poussera l’Église à témoigner du pardon et du salut à la suite de Jésus.

Produire des signes du salut (v. 10-14)

Le discours de Jean sur Celui qui vient pour le jugement est commun à Matthieu et Luc, et commençait aux versets 7-9 (Mt 3,7-12). Luc l’a coupé en deux pour insérer le dialogue questions-réponses. En le plaçant ainsi au centre il attire notre attention sur la question répétée : que ferons-nous ? question posée aux lecteurs chrétiens de Luc. Les trois réponses de Jean concrétisent un thème majeur de l’Évangile de Luc, la compassion active envers les autres.
 
La réponse à la foule est un principe général de partage concret, et non un idéal de pauvreté. Il ne s’agit pas de ne pas avoir deux tuniques à soi, mais bien d’en donner une à qui n’en a pas. C’est un appel à prendre conscience de l’autre qui est dans le besoin et à l’aider. On rejoint l’idéal de Deutéronome 15,4 : Il n'y aura pas de pauvre chez toi. Idéal vécu par les premiers chrétiens selon Actes 4,34. Ce souci des démunis reçoit la première place quand Jésus présente sa mission : L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres (Lc 4,18).

Les publicains et les soldats sont des interlocuteurs plus spécifiques et reçoivent des consignes adaptées à leur métier : ne pas considérer l’autre comme une bonne poire dont on peut profiter, mais agir avec honnêteté et respect. Donc ne pas user du pouvoir que l’on peut avoir sur les gens, par les armes ou par le mandat de collecter les taxes.

Les publicains avaient mauvaise réputation partout dans le monde gréco-romain, car ils pouvaient profiter de leur fonction pour réclamer aux gens plus que les impôts exigés. Quant aux militaires, la réquisition de biens dans les zones occupées, pour contribuer à l’entretien des troupes, était une pratique assez répandue qui entraînait des abus fréquents. Pourtant, alors que ces deux métiers sont mal perçus, faire des fruits de conversion ne réclame pas de changer d’emploi, mais simplement d’agir avec justice et bienveillance envers autrui. Le récit de Zachée l’illustre bien. Ce chef de publicain agit selon ce qui est demandé ici : aider les pauvres et rembourser les gens dont il a pu abuser (19,1-10). Il accueille le salut offert par un Jésus qui ne le juge pas, et répond en créant du salut dans la vie des autres.

Un ‘faire’ de bienveillance avec Dieu

Le verbe ‘faire’, dont le sens très pratique renvoie à l’action, est répété dans les paroles de Jean, même s’il est traduit autrement. Il faut ‘faire’ des fruits de conversion, contrairement à l’arbre qui ne ‘fait’ pas de bons fruits (3,8-9). Les auditeurs qui l’interrogent l’ont bien entendu : que ferons-nous? Les réponses de Jean concrétisent l’appel de Jésus à l’amour du prochain. Jésus l’illustrera par la parabole du ‘bon samaritain’ : celui qui s’est fait proche du blessé a ‘fait’ la miséricorde envers lui. Sur quoi Jésus conclut : Va et ‘fais’ de même (10,37).

Ce ‘faire’ de compassion est d’abord celui de Dieu, envers Élisabeth, Marie, et son peuple dont il ‘fait le rachat’, comme il a ‘fait miséricorde’ aux ancêtres (1,25.49.68.72). Il fait advenir du salut dans l’histoire des personnes comme dans celle de l’humanité, ‘objet de sa bienveillance’, selon le chant des anges dans la nuit de Noël (2,14). Ainsi, la conversion appelle à un faire participatif au faire de Dieu lui-même, à son œuvre de salut parmi nous. Agir avec compassion envers quelqu'un, c’est déjà inscrire le salut de Dieu dans l’histoire de cette personne. Et c’est aussi inscrire le salut dans notre propre vie, car nous participons alors à la vie même de Dieu. C'était la question du scribe à qui Jésus donnait le bon samaritain en exemple : que dois-je ‘faire’ pour hériter la vie éternelle ? Réponse : deviens le prochain du blessé qui est sur ta route. Ce que Jésus a fait toute sa vie pour révéler la bienveillance de Dieu.

Ainsi on peut entendre la Bonne Nouvelle dans les appels de Jean au partage, à la solidarité et au respect des gens. Non pas ce que nous ‘devons’ faire — le verbe ‘devoir’ n’est pas dans le texte — mais ce que nous ‘ferons’ si nous accueillons le don de Dieu, Lui dont la vie même est la bienveillance en actes pour nous. Jésus résumera cet enseignement autrement : Devenez généreux comme votre Père est généreux (6,36). Agir ainsi, c’est déjà entrer dans le dynamisme du monde nouveau dont Dieu rêve pour nous tous. La fête de Noël n’est-elle pas une bonne occasion de creuser l’espace de ce rêve en nous, pour mieux le mettre en actes?

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Source : Le Feuillet biblique, no 2732. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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