La Visitation. Mariotto Albertinelli, 1503. Huile sur bois, 232 x 146 cm. Galerie Uffizi, Florence (Wikipedia).

Élisabeth et Marie, deux femmes en mission

Jean-Chrysostome ZoloshiLorraine Caza | 4e dimanche de l’avent (C) – 19 décembre 2021

Marie rend visite à Élisabeth : Luc 1, 39-45
Les lectures : Michée 5, 1-4a ; Psaume 79 (80) ; Hébreux 10, 5-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Au dernier dimanche de l’Avent de l’année C du cycle liturgique, c’est le texte de la Visitation de Marie à sa cousine qui nous est proposé comme évangile. Le temps de l’Avent nous offre d’ailleurs, chaque année, de retrouver les magnifiques textes de l’Annonciation et de la Visitation. Magnifique occasion de donner plus d’ampleur à notre célébration de l’Incarnation du Verbe, à Noël. C’est aux premières générations franciscaines que nous devons l’entrée de la fête de la Visitation dans le calendrier liturgique de l’Église. Marie vient d’accueillir la mission incroyable que Dieu lui confie : porter en son sein et mettre au monde le Fils unique de Dieu. Aussitôt, nous dit Luc, elle part et se rend en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda. Au XVIIe siècle, Jean-Jacques Olier a été frappé par cette mise en route de Marie « Elle va, avec promptitude et grande vitesse au pays des montagnes de Judée, à la ville de la tribu de Juda, où demeurait sa sainte cousine » (La vie intérieure de la Très sainte Vierge ,T. 1, p. 280s) Pour Olier, la Marie de la Visitation est icône de la vie apostolique : « C’est ce qu’elle fait avec amour et vitesse : oubliant sa faiblesse, son âge, sa délicatesse, animée du zèle de son Fils et brûlant d’ardeur pour le faire connaître, elle court par les montagnes, sans provisions, sans sac, sans compagnie, et gravit les collines, afin d’annoncer Jésus-Christ dans son admirable apostolat dont tous les pas portent la paix et la joie.» (T. 1, p. 284).

Était-elle de la même école qu’Olier, Marguerite Bourgeoys, lorsqu’elle écrivait, dans le Montréal de la fin du XVIIe : « Nous faisons des missions pour contribuer à l’éducation des enfants, parce que la Sainte Vierge, en visitant Élisabeth, a contribué à la sanctification de saint Jean le Baptiste. »

Plus près de nous, Charles de Foucauld voyait en la Visitation l’icône de la vocation contemplative en pays de mission et il avait confié à son confesseur que son idéal était « d’imiter la sainte Vierge dans le mystère de la Visitation en portant comme elle en silence, Jésus et la pratique des vertus évangéliques, non chez Élisabeth, mais parmi les peuples non-chrétiens, afin de sanctifier par la présence de la sainte Eucharistie et l’exemple des vertus chrétiennes ».

Heureuse Marie…

Lorsque Marie entre dans la maison de Zacharie, elle salue Élisabeth. Christian de Chergé, le prieur des moines de Tibhirine, décapités en Algérie et béatifiés le 8 décembre 2018, a bellement commenté la salutation initiale de Marie :

Marie a dit : as salam alaikum ! Que la paix soit avec vous ! Et ça, c’est une chose que nous pouvons faire. Cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit… qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la Bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que l’enfant qui est en moi a tressailli?

Oui, à la salutation de Marie, l’enfant, dans le sein d’Élisabeth a tressailli et Élisabeth, remplie de l’Esprit-Saint, pousse un grand cri et dit : Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein! Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur? Car, vois-tu, dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.

Que de merveilles offertes à notre contemplation dans ces paroles d’Élisabeth : tressaillement d’allégresse du Baptiste, plénitude de l’Esprit accordée à Élisabeth, grand cri d’émerveillement qui s’échappe d’Élisabeth et proclamation à Marie, par sa cousine, d’un évangile d’une richesse incroyable : Marie, la Bénie entre les femmes ; Jésus, le Béni ; Marie reconnue comme mère du Seigneur ; Jean, transformé par la salutation de la visiteuse ; béatitude de Marie en raison de sa foi en l’accomplissement du message reçu à Nazareth.

Les rencontres de l’Esprit, ou l’Esprit des rencontres

Salutation de Marie ; évangile d’Élisabeth ; et nous savons que la suite du texte nous donne en écho, à cet évangile, l’Hymne de louange à Dieu de Marie, le Magnificat. Quelle incomparable illustration de la réciprocité au cœur des rencontres! On comprend que Pierre de Claverie, dominicain, évêque d’Oran, en Algérie, assassiné, le 1er août 1996 et béatifié le 8 décembre 2018 ait écrit, un jour : « La Visitation est un lieu important pour avoir une attitude juste vis-à-vis de l’autre (…) Jésus sera l’homme de ces rencontres où chacun révèle le meilleur de lui-même. Il n’impose pas sa vérité, mais l’autre finit par découvrir qu’il répond à son attente la plus profonde. » Toujours dans sa retraite de 1990, Christian de Chergé souligne magnifiquement cette réciprocité :

Nous oublions parfois que l’autre aussi est porteur d’une parole, ce signe nous a été donné à la confirmation. Je peux aller à la rencontre de l’autre parce que l’autre aussi est habité par la vie de l’Esprit et, bien que je le sache, ce sera toujours une expérience déroutante pour tous les apôtres de tous les temps de faire le même constat que faisait Pierre dans la rencontre avec Corneille : « il lui a été fait le même don qu’à nous (Ac 11:17).

Le cardinal Pierre de Bérulle, chef de file du renouveau spirituel du grand siècle, me semble avoir écrit des pages inoubliables sur la Visitation :

Que de grands il y avait alors en la terre, que de savants et ils sont en l’oubli du Fils de Dieu fait homme, visitant non Auguste triomphant alors à Rome, mais un enfant caché dans les entrailles de sa mère, en une bourgade de Juda. C’est le seul ouvrage, et la seule visite qu’il fait en la terre par l’espace de neuf mois qu’il est résidant en sa Très Sainte Mère. Nous trouverons dans peu de temps Jésus avec la Vierge, avec les pasteurs et les mages en Bethléem; mais ce qui est plus doux, plus intime, plus délicieux, nous avons ici Jésus en la Vierge. (Œuvres de piété, dans Mystères de Marie, Paris, Grasset, 1961, p. 220)

Au XVIIe en particulier chez des gens comme Pierre de Bérulle, Jean-Jacques Olier, François de Sales, Marguerite Bourgeoys, on a souligné la dimension missionnaire de la Visitation, le fait que des choses cachées aux sages et aux savants, sont révélées aux tout-petits. À l’échelle de toute l’Église, la Visitation a été un texte inspirateur pour une vie consacrée non-cloîtrée.

Au XXe, en particulier chez des gens comme Charles de Foucauld, Pierre de Claverie, Christian de Chergé, on a insisté sur l’action de l’Esprit en tout être humain, le secret que porte chaque être humain, la foi dans la réciprocité des partages en toute rencontre. À l’échelle de l’Église, la Visitation inspire l’ouverture du Christianisme à la rencontre de l’Islam et de tout l’interreligieux.

Au XXIe, la culture, la spiritualité de Visitation, me semble-t-il, ne pourra que croître avec ce rappel incessant du pape François de l’importance de la joie, d’une posture d’Église en sortie, sans cesse attentive aux périphéries existentielles, à l’inter-culturel, à l’inter-générationnel à l’inter-religieux.

La visite de Dieu

Avant de nous proposer comme lecture évangélique ce texte lucanien de la Visitation, notre liturgie nous invitera à écouter une prophétie de Michée, du VIIIe siècle avant notre ère. Il nous sera annoncé que c’est de toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda que Dieu fera sortir celui qui doit gouverner Israël, le berger dont la puissance s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre et qui sera la paix (5,1-4). Rencontre déjà, plusieurs siècles avant la conception et la naissance de Jésus, de la puissance dans le plus petit, de l’universel à partir du point le plus humble. Le psaume 79, en son évocation du berger d’Israël, du Dieu de l’univers à qui on demande de revenir visiter son peuple, fait chanter nos textes.

C’est dans la lettre aux Hébreux que notre liturgie trouvera la seconde lecture nous acheminant au récit de la Visitation. Y est opposé un nouveau culte à un ancien culte. Quel bel écho à cet appel (Annonciation) – cet envoi (Visitation), adressé à Marie, que la double proclamation du Christ entrant dans le monde : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté (He 10,7). Cette proclamation, elle est explicitée en quelque sorte par l’insistant accent sur le fait que c’est cette volonté qui est désirée par Dieu et non pas les sacrifices, les offrandes, les holocaustes les expiations pour le péché.

Je laisse le dernier mot, à saveur de Visitation, à François dans Fratelli Tutti :

Si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Évangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme. (FT §278)

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2733. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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