Jésus à la synagogue. Joakim Skovgaard, 1914. Huile sur toile, 133,5 x 140 cm. The David Collection, Copenhague (photo © Pernille Klemp / Davidmus.dk)

Le Dimanche de la Parole de Dieu

Alain FaucherAlain Faucher | 3e dimanche du Temps ordinaire (C) – 23 janvier 2022

Échec de Jésus à Nazareth : Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Les lectures : Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 ; Psaume 18 (19); 1 Corinthiens 12, 12-30
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Avec son Motu proprio Aperuit illis, le pape François a inséré dans le calendrier liturgique le Dimanche annuel de la Parole de Dieu. Ainsi, le pape nous donne, à chaque année liturgique, une belle occasion de réfléchir sur la place centrale de la Parole de Dieu dans notre vie chrétienne. Ce dimanche consacré à la Parole de Dieu pendant le Temps ordinaire invite les baptisés et les communautés chrétiennes à approfondir les Saintes Écritures à même leur vie. Dieu dialogue encore avec son peuple. Quelle que soit notre situation. Quel que soit notre âge. Il suffit d’être « en âge de comprendre », selon la belle expression de la première lecture... appliquée aux enfants du Peuple de Dieu.

Difficile d’imaginer pour ce dimanche 2022 meilleur menu biblique que la panoplie étalée aujourd’hui devant nos yeux émerveillés! En ce dimanche unique dans l’année, nous réfléchissons sur différents aspects de la place de la Parole de Dieu dans notre vie de foi. Avec le livre de Néhémie, nous voyageons dans le temps : nous nous réjouissons avec le peuple de Dieu qui accueille physiquement le Livre de la Parole à son retour d’exil. Avec Paul, nous constatons à quel point cette Parole porte fruit quand nous faisons corps dans un même Esprit. Et avec l’évangile selon Luc, nous renouons avec les débuts du christianisme : la prédication des témoins et la gestuelle d’actualisation de Jésus dans la maison de prière. Ainsi, plusieurs chemins d’actualisation pour ce dimanche sont possibles en liturgie, dans la structure communautaire et dans la fréquentation des Écritures saintes.

Néhémie 8, 2‑4a.5‑6.8‑10

Prenons d’abord conscience du contexte historique de ce récit joyeux. Les Juifs ont passé des décennies en exil à Babylone. Certains exilés se sont adaptés. Leur famille a prospéré. Ces gens ne veulent pas revenir à Jérusalem même si la volonté royale le permet. Il y a tant à faire pour remonter les remparts de la ville et le Temple du Seigneur! Ceux et celles qui reviennent font face à un accueil froid de la population laissée derrière lors de l’exil. Néhémie et Esdras vont reconnecter tout ce beau monde avec ses racines juives. Les fêtes du Temple et la Loi sont remises à l’honneur.

Un événement grand public

Nous proclamons aujourd’hui la grande fête publique qui ramena en évidence la Loi de l’Alliance donnée jadis à Moïse pour le peuple. Devant une des portes des remparts de la ville, un grand espace permet le rassemblement et la célébration collective.

Il est fascinant d’observer à quel point chaque membre du peuple de Dieu est convoqué pour accueillir la Parole. La convocation est exhaustive. Dans le texte que nous proclamons aujourd’hui, l’expression « tout le peuple » revient 4 fois, « tous les enfants en âge de comprendre » revient 2 fois, « tout le monde » et « tous » sont utilisés chacun une fois. Répéter autant le même concept de totalité, c’est sans doute, selon les habitudes de l’écosystème biblique, le rendre réaliste et concret.

Fascinant également de constater la place des enfants, dans un climat social où normalement on ne leur accorde que peu d’importance. Il suffit d’être en âge de comprendre pour avoir le droit de participer à la grande fête populaire. La force du Judaïsme repose en grande partie sur son respect des générations montantes pour transmettre la foi.

La gestuelle d’Esdras

À cette époque, les caméras de télévision n’existent pas. Pas question de cadrer le prédicateur sur écran géant! L’environnement et les gestes compensent les inconvénients de la foule. Les gestes physiques d’Esdras sont amples et bien perceptibles.

Esdras apporte le livre de la Loi en présence de l’assemblée. Tourné vers la place publique de la porte des Eaux, Esdras lit le livre depuis le lever du jour jusqu’à midi. Autrement dit : autant que la météo rend possible un rassemblement extérieur dans ce climat torride. De sa tribune toute neuve, Esdras domine l’assemblée. Il bénit le Seigneur et lit en hébreu un passage traduit par les Lévites en araméen, la langue courante de l’époque.

Les gestes du peuple répondent à ceux d’Esdras. Tout le peuple se met debout quand Esdras ouvre le livre. Tout le peuple répond à la bénédiction d’Esdras avec un double « Amen » avant de s’incliner et se prosterner visage contre terre.

Il semble que la réaction des gens devant cette proclamation publique prit d’abord des allures de deuil, rempli de larmes. Telle n’était pas la visée d’Esdras. Le but ultime de l’accueil de la Loi de Dieu ne consistait pas à produire de la culpabilité pour des écarts de jadis. Il s’agissait plutôt de générer de la joie pour le jour présent. Donc, de la table de la Parole, on passe à la table du festin. Le jour consacré à Dieu a des effets constructifs : La joie du Seigneur est votre rempart.

Autant de réalités vécues devant la Porte des Eaux percée dans les remparts de Jérusalem, peut-être démolis jadis par les conquérants. La célébration de la Parole d’Esdras et de son peuple articulent des gestes liturgiques qui pourraient donner le ton et pétrir notre rencontre actuelle avec la Bible…

Pour en savoir plus sur cette lecture :
 https://catechese.catholique.fr/outils/propositions-danimation/309865-livre-nehemie-loi-parole-dieu/#1579701676694-b1b2f560-009b

Le Psaume 18b (19) fait écho à cette gestuelle publique en l’honneur de la Parole. Il maintient le climat de joie avec son vocabulaire positif. Ce langage associe des qualificatifs constructifs aux synonymes compilés pour désigner la Loi de Dieu. Au terme de cette énumération réconfortante, le Seigneur Dieu lui-même est qualifié de « rocher », de « défenseur ». Le vocabulaire spatial de la première lecture (la Porte des eaux, le rempart) trouve ainsi dans le psaume un agréable prolongement.

1 Corinthiens 12, 12‑30

La première lecture véhicule une forte connotation de totalité. Il en va de même de la deuxième lecture.

La longue deuxième lecture de ce dimanche nous semble, à première vue, bien bavarde pour transmettre… peu de contenu. Attention cependant! L’imagerie des parties du corps qui se snobent les unes les autres se réfère probablement à une représentation globale du corps humain. Cela confère à cette imagerie une force de frappe qui devait impressionner les lecteurs et les lectrices de saint Paul.

Deuxièmement, Paul affirme que la structure de la communauté chrétienne émane de la volonté divine. Un argument fort qui justifie la prédominance des tâches liées à la Parole de Dieu. Donc, un autre ingrédient utile pour célébrer notre Dimanche de la Parole de Dieu!

La totalité du corps

Paul démontre l’unité du corps composé de plusieurs membres bien différents. Il met en dialogue le pied et la main, l’oreille, l’œil et le nez, la tête… Cette énumération nous laisse l’impression d’un fouillis. Mais peut-être faut-il y détecter une cartographie globale de la personne humaine. Cette représentation du corps était courante à l’époque de Paul. Les spécialistes de la sociocritique américaine (Malina et Rohrbaugh, par exemple, dans leur Social-science Commentary on the Synoptics Gospels) perçoivent trois zones d’interaction dans le corps humain.

Ainsi, les émotions et la pensée sont fusionnées dans la vue et le cœur. Ils mettent en jeu volonté, intellect, jugement, personnalité, sensations pour l’activation de la vue, de la compréhension, du choix, de l’amour, de la pensée et de la réflexion. Les yeux et l’odorat évoqués par Paul appartiennent à cette catégorie.

L’oreille appartient à une autre zone, celle du discours qui sert à dire le moi, le discours auto-expressif. Nous sommes au royaume de la communication, de l’écoute et de la réponse avec les organes de l’écoute et de la parole. Bouche, oreille, langue, lèvres, gorge, dents servent à parler, écouter, jurer, chanter, faire silence…

Enfin, la zone de l’activité consciente concerne l’interaction avec l’environnement, le comportement extérieur. Main, pieds, doigts, jambes servent à marcher, s’asseoir, se tenir, toucher, accomplir.

La totalité des tâches

À partir de ces mises en interaction des parties du corps, Paul passe à une autre cartographie : celle du corps du Christ. Il émet encore des idées de totalité dans sa liste des fonctions propres à la communauté chrétienne de Corinthe.

Une certaine primauté revient aux tâches d’enseignement (apôtres, prophètes, enseignants). Cela passe avant les miracles et les guérisons, ou bien avant les dons de service, de gouvernement, de don des langues.

Tout le monde n’a pas à faire la totalité des tâches. Cet allègement de la charge individuelle offre un intéressant prélude à l’évangile de ce jour, centré lui aussi sur le témoignage des compagnons de Jésus et l’actualisation proposée par Jésus lui-même.

Luc 1, 1‑4 ; 4, 14‑21

Voici un texte composite. Il résulte de l’agglomération de deux extraits fortement distancés dans le déroulement original du récit évangélique. Ce « deux pour un » regroupe deux épisodes importants commentés des millions de fois. Nous n’avons pas la prétention d’ajouter quoi que ce soit aux études exhaustives publiées ici et là aux sujets de ces deux bribes de l’Évangile selon Luc. Nous remarquons cependant que ces deux extraits prennent une vigueur intéressante en ce Dimanche de la Parole de Dieu.

Témoignages pour Théophile

Le premier extrait présente le projet éditorial destiné à un certain Théophile, littéralement un lecteur « ami de Dieu ». Introduction à un important document de littérature évangélique, ce prologue inclut deux critères de validation des contenus qui sont mis en récit.

D’abord, Luc se réfère aux témoins oculaires, serviteurs de la Parole dès le commencement de l’aventure avec Jésus. Cela n’est pas anodin pour notre époque qui accuse souvent les évangiles d’être des récits construits sur la base de « simples » témoignages. Au contraire de ce petit mépris facile, ces témoignages relient notre existence à celles de gens comme nous qui ont vécu l’expérience directe de la présence de Jésus.

À notre époque, nous mettons souvent en doute l’utilité de la chaîne de transmission orale. À l’époque, cette chaîne de transmission était un indice du sérieux de l’affaire… Et l’effet positif de la construction d’un exposé suivi consiste à consolider un enseignement déjà entendu. Construire un récit, ce n’est pas falsifier les faits. C’est clarifier et consolider un témoignage déjà reçu.

Actualisation inattendue

Dans un deuxième temps, l’évangile nous transporte au cœur d’une rencontre de la communauté juive de Nazareth. Un certain Jésus y rejoue bien simplement le rite décrit dans la première lecture de ce dimanche. Comme un nouvel Esdras, Jésus proclame et interprète le texte du prophète Isaïe.

Ce geste initial de Jésus est posé dans le contexte de la croissance de sa réputation déjà bien lancée par des enseignements dans les synagogues de la région. Comme un nouvel Esdras, Jésus ouvre le livre et proclame un passage imprégné de l’espérance du Grand Jubilé. Puis, assis dans la position de l’enseignant, Jésus met en valeur ce qu’il vient de lire : le constat positif n’est pas seulement affaire d’espérance. Cela s’accomplit en ce jour même de la proclamation à la synagogue dans la personne de Jésus.

Laisser surgir des questions de la proclamation

  • En ce Dimanche de la Parole de Dieu, y a-t-il des extraits de la Bible qui s’avèrent déjà bien vivants chez nous?
  • Faisons-nous l’expérience de la joie de la Parole de Dieu, notre rempart?
  • Chacun des membres de notre communauté « en âge de comprendre » aura-t-il l’opportunité de célébrer cette vigueur de la Parole de Dieu chez nous?

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2740. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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