Jean devant la nouvelle Jérusalem. Apocalypse des cloîtres, c. 1330, folio 36, verso.
Enluminure d’un manuscrit produit en Normandie et conservé au MET Museum, New York (Wikimedia).

Vers l’Église universelle

Rodolfo Felices LunaRodolfo Felices Luna | 6e dimanche de Pâques (C) – 22 mai 2022

Adieu et paroles d’encouragement : Jean 14, 23-29
Les lectures : Actes 15, 1-2.22-29 ; Psaume 66 (67), 2b-3, 5abd, 7b-8 ; Apocalypse 21, 10-14.22-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le récit du livre des Actes ce dimanche fait état en quelque sorte de la naissance de l’Église universelle. Au lieu de s’éteindre après la crucifixion de son maître, le mouvement du Nazaréen Jésus s’est consolidé autour des « Douze », les premiers disciples, investis de la mission de proclamer la résurrection du Christ et son exaltation au ciel. Il s’agit jusqu’à présent d’un mouvement juif parmi les juifs. Selon saint Luc, auteur des Actes, la persécution à Jérusalem a poussé les sympathisants juifs qui parlaient le grec – et qui comme Étienne étaient très critiques des autorités du Temple – à fuir vers le nord, jusqu’à Antioche en Syrie, où ils ont trouvé refuge et prospéré. C’est l’Église d’Antioche qui a envoyé Paul et Barnabé en mission d’évangélisation sur la côte Sud-Est de l’Asie Mineure (la Turquie d’aujourd’hui). Alors que les apôtres visaient les synagogues, ce sont en majorité les païens attirés par le judaïsme qui ont adhéré à la foi au Messie Jésus. L’Église d’Antioche se retrouve dans l’étrange situation d’avoir à gérer des communautés chrétiennes mixtes : composées de personnes juives et non-juives.

Une communauté chrétienne mixte

Quel est le problème, dirons-nous au XXIe siècle? Nous sommes si habitués à ce que nos églises soient formées de gens de tous les horizons linguistiques, ethniques et culturels… Or il n’en était pas ainsi aux débuts, le Nouveau Testament en porte les traces. Depuis qu’Israël a été appelé par Dieu à devenir un peuple « saint », choisi, mis à part pour témoigner du plan de Dieu pour le monde, régi par la Loi divine, Israël a tenu à observer des lois qui le séparaient et le distinguaient des autres peuples. Ces lois concernaient non seulement la prière et les rites, comme la circoncision, mais aussi l’alimentation, les unions maritales, la vie sexuelle. Jésus de Nazareth est né juif et l’est resté jusqu’à sa mort. Il a été circoncis, il a mangé kasher, il s’est abstenu des unions illégitimes. Les Douze, également. Alors, la question se pose : pour se faire baptiser et devenir chrétien, faut-il d’abord devenir juif comme le Messie Jésus? Pour entrer dans la nouvelle alliance, faut-il adhérer d’abord à la première et s’y maintenir fidèle? Que faudrait-il exiger ou pas des païens qui s’approchent de l’Église et demandent le baptême? Jésus de Nazareth n’a pas laissé de « guide de la route » pour la situation inédite de l’Église d’Antioche. Comme l’évangéliste Matthieu le dit si bien, dans son ministère terrestre, le Nazaréen s’en était tenu aux brebis perdues de la maison d’Israël (Matthieu 15, 24). Après Pâques, l’Église est confrontée à la montée de la diversité, au succès inespéré de l’évangélisation auprès des étrangers.

Comme il fallait s’y attendre, les opinions sont partagées. Des Judéens tiennent aux traditions et disent : Si vous ne recevez pas la circoncision selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés (Actes 15,1). Des évangélisateurs comme Paul et Barnabé sont d’avis contraire. Saint Paul est passé à l’histoire comme le champion de l’accueil inconditionnel des non-juifs au sein de l’Église :

Dieu est-il le Dieu des juifs seulement, et non point des païens? Certes, également des païens; puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu, qui justifiera les circoncis en vertu de la foi comme les incirconcis par le moyen de cette foi (Romains 3,29-30).

L’accueil des païens dans l’Église

La discussion entre les deux camps est musclée, cela dégénère en conflit. Une délégation est envoyée donc d’Antioche à Jérusalem pour consulter les Douze. Dans un sens très large, cette conférence à Jérusalem pourrait être perçue comme un premier « concile », cherchant à discerner la volonté de Dieu pour établir une conduite commune à toutes les Églises. Le résultat des discussions est une lettre envoyée à l’Église d’Antioche, afin de faire connaître la décision prise. En apparence, des conditions sont imposées aux païens à leur entrée à l’Église : s’abstenir de manger des aliments offerts aux idoles, du sang, ou de la viande non saignée, et s’abstenir des unions illégitimes (Actes 15,29). Pas un mot cependant au sujet de la circoncision, ni des centaines d’autres lois prévues pour la communauté juive. Quelle est la logique de pareille décision? Il s’agit des conditions minimales exigées des païens qui vivent parmi les juifs, afin de pouvoir partager les repas sans offenser ni rendre impurs les juifs. Ce sont en quelque sorte des commandements universels, donnés à Noé au sortir de l’arche, régissant la vie sur terre avant même qu’il n’y ait Abraham ou Israël (Genèse 9,4-6). Franchement, c’est une solution sage et élégante à un conflit qui aurait pu déchirer la toute jeune Église. La solution permet aux juifs baptisés de garder la communion avec les païens baptisés, sans imposer leur judaïté. Elle permet également aux païens baptisés de s’approcher du Christ et d’entrer en communion avec les juifs baptisés sans avoir à devenir eux-mêmes juifs. La décision est pragmatique et diplomatique, mais surtout, elle transforme l’Église en une congrégation trans-ethnique, translinguistique, transnationale. L’Église devient « catholique » au sens étymologique du terme : à vocation universelle. 

Il est difficile pour nous d’imaginer le courage de pareille décision, si tôt après Pâques. L’Église prit le risque de la diversité avec audace, alors qu’elle aurait pu se tromper dans son discernement de la volonté de Dieu. Ce fut en tout cas une décision inspirée : si cela n’avait pas été de l’accueil des païens, le christianisme aurait pu simplement s’éteindre ou devenir une secte juive marginale. Nous ne serions plus là pour en parler.

Écoute et discernement

La première lecture et l’Évangile soulignent le courage et la paix nécessaires pour discerner la volonté de Dieu en l’absence physique de Jésus (Actes 15,29 ; Jean 14,27). L’Église a recours à l’Esprit Saint pour son discernement (Actes 15,28 ; Jean 14,26). Dieu n’abandonne jamais son Église, mais Dieu l’interpelle pour qu’elle cesse d’avoir peur, pour qu’elle discerne les nouveaux besoins comme des signes des temps nouveaux, et qu’elle ose y répondre avec mesure mais avec audace. « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » nous dit le Christ (Jean 14,27). Je m’en vais et je reviens vers vous enchérit-il (Jean 14,28). Si Jésus de Nazareth a marché parmi son peuple comme un Fils aimé de son Père, Ressuscité il est devenu la lumière des nations. Dieu lui-même veut une nouvelle Jérusalem, cité ouverte à toutes les nations. Dans la vision de Jean, cette nouvelle ville garde ses racines juives, puisqu’elle comporte douze portes, nommées d’après les douze tribus d’Israël (Apocalypse 21,12). Cependant, par groupes de trois, les portes font face aux quatre points cardinaux (Apocalypse 21,13), ce qui illustre son ouverture dans toutes les directions! Pour bien ancrer cette vocation universelle, la ville repose sur douze fondations portant les noms des douze apôtres de l’Agneau (Apocalypse 21,14). C’est le courage des Douze apôtres après Pâques qui a ouvert lesdites portes au monde entier.

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).

Source : Le Feuillet biblique, no 2759. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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