Réconciliation. Sculpture de Josephia de Vasconcellos crée en 1977.
L’œuvre est photographiée ici devant la cathédrale St. Michael’s, West Midlands (Wikipédia).

Le pardon, au centre de la vie de la communauté

Paul-André GiguèreLorraine Caza | 23e dimanche du Temps ordinaire (A) – 10 septembre 2023

La correction fraternelle : Matthieu 18, 15-20
Les lectures : Ézékiel 33, 7-9 ; Psaume 94 (95) ; Romains 13, 8-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’évangile du 23e dimanche ordinaire de l’année A nous propose une partie du quatrième des cinq grands discours qui se trouvent dans l’évangile de Matthieu. On se souviendra que, connu sous le nom de Sermon sur la Montagne, le premier de ces discours traite de la justice de Dieu (Mt 5-7). On nomme Discours missionnaire le second de ces discours qui présente les hérauts de l’évangile (Mt 10). Le troisième discours est caractérisé par les paraboles : on pourrait dire qu’il met en lumière Le mystère du Royaume (Mt 13). Le passage qui nous retient en ce dimanche parle de l’Église comme communauté fraternelle où se pratique le pardon. Alors que la première partie de ce discours évoque le croyant faible qui s’éloigne de la communauté, les versets de notre liturgie parlent du membre de la communauté qui pèche, à l’intérieur de la communauté, et ne montre aucun désir de repentir.

Une conviction : que la dignité de chacun.e soit respectée

Il nous est d’abord présentée une procédure pratique pour traiter de telles situations. La procédure s’inspire, en particulier, d’un texte du Lévitique : Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote et ainsi tu n’auras pas la charge d’un péché (19,17) et d’un texte du Deutéronome : Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre de quelque faute ou délit que ce soit ; quel que soit le délit, c’est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie (19,15). La procédure rejoint aussi ce qui se pratiquait à Qumrân. La Règle de cette communauté dit, en effet : « Qu’on ne haïsse pas (son prochain à cause de la perversité de son cœur), mais dans le même jour, qu’on l’exhorte, et qu’ainsi, on ne se charge pas soi-même de l’égarement. De même, que personne n’introduise une affaire devant « les nombreux » sans l’avoir averti devant témoins ».

D’abord, le respect pour la dignité du fautif et la fidélité au climat que Matthieu décrit comme étant celui de la communauté font que la première étape de la procédure se vit entre l’accusé et celui qui a été témoin de la faute. Dans un sermon au peuple, Césaire d’Arles note : « Pour accomplir avec l’aide de Dieu le commandement du Seigneur, ayons à cœur deux genres d’aumônes : ne donnons pas seulement le pain à ceux qui ont faim, mais hâtons-nous d’accorder notre indulgence à ceux qui parlent contre nous. Quant à la manière d’appliquer à nos ennemis ce remède de la vraie charité – même quand ils ne le demandent pas – nous la trouvons dans l’évangile : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui, seul à seul… Sois plein de ferveur pour le corriger, mais épargne son respect humain. Car la honte pourrait l’inciter à défendre son péché ; et celui que tu voudrais rendre meilleur, tu le rendrais pire. » De plus, l’évangile offre une question étonnante de Jésus : Qui est ma mère et qui sont mes frères ? et une réponse non moins surprenante (Mt 12,46-50).

Une obstination : multiplier les possibilités de réconciliation

Si le fautif persiste dans son attitude négative, le premier témoin ira avec un ou deux autres pour interpeler le coupable. Si le pécheur s’obstine encore, c’est toute la communauté locale croyante qui l’interpellera. Remarquons que le terme ecclesia (église) n’apparaît que deux fois dans tout l’évangile de Matthieu : ici et en Mt 16,18, lors de la confession de foi de Pierre à Césarée. Au terme des trois démarches, si le coupable résiste encore, on le considérera comme un païen et un publicain. On peut penser que, pour Matthieu, cela veut dire qu’on l’excommuniera comme non-croyant, comme traître à la communauté. Césaire d’Arles commente : « Qu’il te soit comme un païen ou un publicain… cela ne veut pas dire que tu doives pour autant négliger son salut, car toujours nous désirons et cherchons le salut des païens et des publicains. » Ces versets ne sont pas « un code pénal », mais un souci de multiplier les possibilités de réconciliation. La rupture elle-même envisagée au verset 17b signifie seulement qu’il n’y aurait pas de recours plus élevé que l’Église et non pas qu’on doive se désintéresser du frère éloigné ou séparé, comme si c’était sans espoir de retour. Le verset 18 parle de lier et de délier.

Lier et délier

Il est intéressant de noter qu’on trouve ce vocabulaire en Mt 16,19, et là, il y est question du pouvoir de Pierre d’enseigner et de solutionner les problèmes de moralité dans la communauté. Or, en Mt 18,18, le nom de Pierre n’apparaît pas et il semble que ce soit la communauté locale qui a le pouvoir de lier et de délier, d’admettre et d’exclure quelqu’un. Dans les milieux rabbiniques, l’expression lier-délier signifiait déclarer quelque chose permis ou défendu, excommunier ou lever l’excommunication. Les deux termes ne sont pas parallèles, mais s’enchaînent : lier pour délier. C’est encore Césaire d’Arles qui a merveilleusement commenté le lier-délier, au ciel et sur la terre.

Vous avez entendu l’avertissement du Seigneur : il nous commande la correction fraternelle au titre des soins qui sont dus au prochain. Et c’est si vrai qu’il enchaîne : « Tout ce que vous aurez lié… au moment où tu commences à tenir ton frère pour un publicain, tu le lies sur la terre, mais veille à le lier avec justice, car la justice délie les liens injustes. Puis, quand tu as remis ton frère sur le droit chemin et t’es réconcilié avec lui, tu l’as délié sur la terre et parce que tu l’as délié sur la terre, il sera délié dans le ciel : tu as fait un don magnifique non à toi-même, mais à lui ; car il avait beaucoup nui non à toi mais à lui. Et quand, avec l’aide du Christ, vous aurez accompli cette œuvre, vous pourrez, en toute assurance, crier vers le Seigneur dans l’Oraison dominicale : Remets-nous nos dettes, comme nous aussi les remettons à ceux qui nous ont offensés.

La prière au nom du Seigneur

Les deux derniers versets de notre liturgie introduisent le thème de la prière. Ils expriment la puissance de la prière non seulement de celle de toute la communauté rassemblée, mais même de celle d’aussi peu que deux membres. Si puissante est cette prière qui, quelle que soit la demande, sera exaucée par le Père qui est aux cieux. Dans son commentaire sur le verset 20 qui suit, John P. Meier mentionne que des rabbins affirmaient que si deux juifs pieux s’assoyaient pour discuter de la Parole de Dieu, la shekinah (la présence divine) était au milieu d’eux. Là où la tradition juive référait à la Parole de Dieu méditée par deux juifs pieux, on a Jésus qui, en Matthieu, promet que si deux ou trois sont réunis « en son nom », Lui sera au milieu d’eux. Les Rabbins, eux, parlaient de la présence de la shekinah.

Non seulement l’évangile, mais également les deux premières lectures parlent d’amour et de réconciliation. Ézéchiel insiste sur la vocation de guetteur pour la Maison d’Israël, d’avertisseur du méchant. Le Paul de Romains, lui, pouvait-il pousser plus loin son hommage à l’amour qu’en en parlant comme de l’accomplissement parfait de la Loi et en proclamant que c’est l’amour mutuel qui est la grande dette de la vie.

Source : Le Feuillet biblique, no 2811. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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