La création (détails). Illustration de la traduction de la Bible de Martin Luther en 1534 (Wikipédia).

1. Un panorama de l’histoire du salut

Yves GuillemetteYves Guillemette | Résurrection du Seigneur (A) – 9 avril 2023

Les lectures de la Veillée pascale (année A) : Genèse 1, 1 – 2, 2 ; Genèse 22, 1-13.15-18 ; Exode 14,15 – 15,1a ; Isaïe 54,5-14 ; Isaïe 55,1-11 ; Baruc 3,9-15.32 – 4,4 ; Ézékiel 36,16-17a.18-28 ; Romains 6,3b-11 ; Matthieu 28,1-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La liturgie de la Parole de la Veillée pascale se distingue par son ampleur. Les différents textes proposés par le Lectionnaire nous font parcourir les grandes étapes de l’histoire du salut, depuis les origines du monde jusqu’à la résurrection du Christ Jésus. Nos ancêtres expriment sur tous les tons l’amour invincible de Dieu et le progrès de l’Alliance qu’il a établie avec son peuple.

La plupart des textes du Premier Testament proviennent du temps de l’exil, qu’il s’agisse de créations nouvelles ou de relectures de récits plus anciens. On y découvre l’effort continu de discernement et de compréhension de l’agir de Dieu qui se montre fidèle à ses promesses, à une époque où les Israélites remettent sérieusement en question leur foi en Dieu.

Le récit de création qui ouvre la Bible (Genèse 1, 1 – 2, 2) est le plus récent dans le temps par rapport à nous. Alors que les exilés vivant à Babylone sont en contact avec des cultes rendus à des divinités astrales, il est important pour le clergé de raffermir leur foi, en procédant à une vaste relecture de l’histoire de l’Alliance. Les textes témoins sont parsemés en particulier dans Genèse, Exode et Nombres. Le récit de création, au chapitre premier de la Genèse, en est l’ouverture solennelle et majestueuse. Ce récit de création présente une conception de l’univers qui ressemble à un immense temple érigé à la gloire de Dieu, alors que les Juifs ont vu le temple de Jérusalem être détruit par les armées babyloniennes. Contrairement à la statue de la divinité qui trône dans les temples païens, c’est plutôt l’être humain, homme et femme, qui constitue l’image « sculptée » de Dieu au milieu du temple de l’univers. Par leur relation amoureuse, l’homme et la femme sont l’image de l’amour de Dieu pour son peuple, amour scellé par l’Alliance. On remarque aussi une autre intention : fonder la vie religieuse sur la sanctification du temps par la célébration du sabbat et des fêtes liturgiques, tous deux réglés sur le mouvement du soleil et de la lune.

Le récit du passage de la mer (Exode 14,15 – 15,1a) se présente comme une relecture de récits plus anciens. On notera certaines similitudes avec le récit de la création : séparation des eaux, apparition de la terre ferme, maîtrise des éléments par le Seigneur. Ces affinités sont au service d’une intention théologique : de même que Dieu a créé l’univers et le monde pour y faire habiter l’être humain, ainsi crée-t-il un peuple avec lequel il fera alliance pour être son témoin au milieu des autres peuples tout au long de l’histoire de l’humanité.

L’Alliance occupe une place centrale dans l’identité et la vie du peuple d’Israël. Elle exprime la manière de concevoir ses rapports avec Dieu et avec les autres nations. L’exil à Babylone met la foi d’Israël à rude épreuve. Plusieurs questions se posent : Dieu aurait-il abandonné son peuple, aurait-il été infidèle à son Alliance? On en arrive peu à peu à un constat lucide. Dieu n’a pas été infidèle. C’est plutôt le peuple lui-même qui, en se détournant des exigences religieuses et sociales de l’Alliance, a rompu ses liens avec Dieu. L’exil est donc perçu comme un châtiment, un événement purificateur. Le Seigneur ne saurait renier ni son amour en faveur d’Israël et de Jérusalem, ni son engagement à venir à son secours. Son amour est fidèle, invincible, plus fort que le roc qui pourtant peut être ébranlé (Isaïe 54,5-14). Pendant les heures sombres de l’exil, Ézéchiel, le prêtre prophète fait entendre une parole d’espérance. Le Seigneur se souviendra de son peuple en concluant avec lui une Alliance renouvelée (Ezéchiel 36,16-17a.18-28). Elle ne sera plus gravée sur une stèle témoin en pierre, comme autrefois au Sinaï, mais elle sera inscrite dans le cœur de chaque membre du peuple, là où se trouve le siège de la volonté et des décisions. Il purifiera l’esprit de chacun en lui pardonnant ses fautes, afin qu’il rende au Seigneur un culte spirituel.

Cette réconciliation est accomplie dans le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus. En le relevant d’entre les morts, Dieu appose son sceau sur l’ensemble de la vie de Jésus, une vie donnée par amour pour le monde. Apparaît alors en pleine lumière la véritable identité de Jésus, Fils de Dieu et Sauveur du monde. Par son incarnation, le Fils de Dieu a été plongé dans la condition humaine. Il est devenu solidaire de ses frères et sœurs en humanité, jusque dans la mort. Comme l’affirme saint Paul (Romains 6,3b-11), c’était pour que nous devenions solidaires du Christ et que nous menions une vie nouvelle avec lui. Ressuscités avec le Christ par le baptême, nous entrons dans un processus de mort à tout ce qui nous détourne de notre vocation de fils et de filles de Dieu, pour vivre pleinement à l’enseigne de l’amour de Dieu et de notre prochain.

Telle est la Bonne Nouvelle qui a jailli de la bouche des premiers témoins du Christ ressuscité, des femmes disciples de Jésus et des apôtres, après un moment bien humain de stupéfaction, d’incompréhension, d’hésitation (Matthieu 28,1-10 ; Marc 16,1-8 ; Luc 24,1-12). Ces gens ont fait la rencontre de Jésus ressuscité, l’éternel Vivant, lui qui est pleinement entré dans la vie de Dieu avec son humanité recrée par la puissance de l’Esprit. Désormais, nous sommes appelés à vivre notre humanité, les yeux non plus tournés vers le sol, mais vers le Christ Jésus en qui notre humanité est unie à sa divinité.

apparition à Marie

Noli me tangere. Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel, c. 1626. Huile sur toile, 200 × l 177,5 cm. Galerie d’art de Brême (Wikimedia).

2. Vivre la résurrection


Les lectures du jour de Pâques : Actes des apôtres 10,34a.37-43 ; Psaume 117 (118) ; Colossiens 3,1-4 ou 1 Corinthiens 5,6b-8 ; Jean 20,1-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le récit de la visite et de la découverte du tombeau vide est commun à tous les évangiles. Comme chez les synoptiques, le récit johannique place la scène le premier jour de la semaine. Il mentionne aussi la venue de Marie de Magdala, le contact avec les disciples et l’annonce de la découverte du tombeau vide. Toutefois, selon  son habitude, Jean se distingue par son originalité. Il concentre l’attention sur Marie de Magdala, la première à venir au tombeau. Il la présentera à nouveau, toute éplorée, à la recherche de son Seigneur, qu’elle prend pour le jardinier. Puisque l’embaumement a été complété au moment de l’ensevelissement, la visite de Marie n’a probablement pour but que d’exprimer son désarroi et sa tristesse.

Un regard sur le récit de Jean

Contrairement aux autres évangélistes qui placent la visite des femmes au lever du jour, la visite de Marie de Magdala a lieu au moment où les ténèbres enveloppent encore la terre, comme celles du tombeau qui a renfermé le corps du Seigneur. Pour saint Jean, les ténèbres sont associées à l’incrédulité, qui est le refus de reconnaître Jésus comme le Messie et le Fils de Dieu. La mention des ténèbres établit un contraste avec la lumière qui jaillira du Ressuscité. Pour le moment, Marie de Magdala fonce dans les ténèbres, loin de penser à la résurrection de Jésus. D’ailleurs, les paroles adressées aux apôtres expriment son désarroi devant un possible vol du corps de Jésus. C’est quand le Ressuscité se manifestera à elle, dans le jardin, qu’elle entrera dans la lumière de la foi et proclamera : « J’ai vu le Seigneur ».

Le tombeau vide est une énigme. La formule « nous ne savons pas » est propre à Jean. À Cana, le maître du repas ne sait pas d’où vient le bon vin ; la Samaritaine ne sait pas le don de Dieu ; l’aveugle-né ne sait pas qui l’a guéri ; Thomas, lors de la Cène, ne sait pas où va Jésus. En présence du tombeau vide, l’énigme de l’origine et de l’identité de Jésus réapparaît. Jean présente encore une fois la difficulté des humains à passer du plan sensible au plan spirituel invisible. Selon son habitude, Jean réservera à Jésus le soin d’expliquer que le tombeau vide signifie son passage de ce monde vers le Père.

L’attention se porte ensuite sur Pierre dont le rôle est important dans la naissance de la foi pascale. Pierre se rend au tombeau, accompagné du disciple que Jésus aimait et que l’on identifie à Jean. Celui-ci arrive le premier et aperçoit d’un coup d’œil les linges qui avaient servi à l’embaumement. Mais il se retire devant Pierre qui entre seul dans le tombeau et observe longuement les linges qui sont bien disposés. Ce constat authentifie le témoignage de Marie de Magdala, mais écarte l’hypothèse du vol du corps. Des voleurs auraient sans doute agi en vitesse et emporté le corps sans prendre le temps de bien ranger le linceul. Pierre, quant à lui, demeure perplexe.

La scène se conclut sur l’attitude du disciple bien-aimé qui, une fois entré dans le tombeau, voit et croit. Jean est le premier à accéder à la foi pascale. Voir et croire sont deux termes qui traduisent, dans l’évangile selon saint Jean, le discernement de la foi. Il est nécessaire d’avoir une perception sensible de Jésus (voir), pour ensuite entrer dans la reconnaissance de son identité de Fils de Dieu (croire). Comme s’il faisait son apologie, Jean se présente comme modèle de discernement de la foi, rendu possible par son amour pour Jésus, lui le disciple bien-aimé qui s’est tenu aux côtés de Jésus depuis la dernière Cène jusqu’au pied de la croix, durant les heures sombres de la passion.

En conclusion du récit, Jean affirme avec insistance que le recours aux Écritures est désormais le chemin obligé pour reconnaître l’unité et la continuité de l’œuvre du salut de Dieu. La reconnaissance de la résurrection de Jésus n’est compréhensible qu’en fonction de la fidélité de Dieu à partager sa vie avec les humains [1].

Ce n’est pas évident

Les mots sont insuffisants, et parfois même ils nous manquent, quand nous voulons exprimer certaines réalités de l’existence humaine. Mis en situation de parler de la vie, de l’amour, de la mort, nous cherchons nos mots et nous n’arrivons qu’à balbutier des propos qui nous laissent insatisfaits. C’est souvent après coup que les idées se mettent en place, celles que l’on aurait voulu exprimer.

S’il est difficile de nous exprimer sur des réalités dont nous avons tout de même une certaine expérience, combien plus l’est-il quand nous tentons de dire les choses de la foi, et en particulier la résurrection. Alors là, les mots nous manquent vraiment. Nous avons beau, chaque dimanche, confesser notre foi en la résurrection du Christ en reprenant des formules datant des premiers siècles chrétiens, nous sommes pour la plupart incapables d’en dire davantage.

Bouche bée devant le tombeau ouvert… et vide

On comprend aisément que les premiers témoins soient restés bouche bée devant le tombeau tout grand ouvert, mais surtout vide de son contenu. Venues compléter l’embaumement de Jésus et enfermer définitivement son corps dans la mort, voilà que les femmes disciples se trouvent devant l’inouï, devant l’impossible. Elles sont effarées, bouleversées par ce qu’elles ne voient pas, plus que par ce qu’elles voient. Dans le récit de Jean, comme nous l’avons vu précédemment, Marie Madeleine pense spontanément au vol du cadavre. Mais qui pourrait s’intéresser à un corps de mort un peu trop embarrassant qu’il faudra dissimuler.

Il y a aussi l’attitude de Pierre et de Jean qui regardent l’état des lieux. Le corps de Jésus a disparu, mais il y a toutefois à voir le linceul et le suaire bien pliés et rangés sur la dalle de pierre. À l’évidence, un voleur n’aurait pas pris tant de soin. Ayant tout observé, Pierre reste perplexe. Jean, quant à lui, pose un second regard et c’est à ce moment-là qu’un discernement s’opère et le conduit à la foi. Alors, qu’ont-ils pu penser? Se pourrait-il que la mort fût dépouillée de l’emprise qu’elle exerce sur l’être humain et de la finitude qu’elle lui impose? Un bon nombre de juifs croyaient que les morts seraient rendus à la vie par Dieu quand il se manifesterait à la fin des temps. Se pourrait-il que le temps de la fin se précipite à la rencontre de l’aujourd’hui du tombeau, désormais vide de la présence de la mort qui s’est fait ravir sa victime? « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? Il n’est pas ici, il est ressuscité. » (Luc 24,5) Voilà la Bonne Nouvelle de Pâques.

Voir et croire, aujourd’hui

Aujourd’hui, qu’en est-il de la foi en Jésus ressuscité, celui que l’on a injustement crucifié? L’interprétation très réaliste et factuelle de Marie Madeleine trouve écho chez beaucoup dans le rejet pur et simple de la résurrection qui ne résiste pas à l’analyse critique et scientifique. Ainsi l’affaire est classée!

Mais il y a aussi des hommes et des femmes qui, comme les premiers disciples une fois revenus de leur commotion, croient que Jésus est réellement et pleinement vivant. Je suis réconforté par l’expérience des apôtres et des disciples de la première heure qui ont dû s’y prendre par deux fois avant de reconnaître Jésus ressuscité au milieu d’eux. Croire à la résurrection, ça ne saute pas aux yeux. Il faut porter plusieurs regards successifs sur les événements qui font notre vie pour croire que le Christ Jésus est vraiment vivant et qu’il nous accompagne sur nos routes quotidiennes. Que pourraient en dire les victimes de violence, les personnes atteintes de cancer ou de maladies dégénératives? Je me méfie des formules triomphalistes sur la résurrection qui évacuent les âpretés de la vie, comme si la passion n’avait pas précédé la résurrection, ou comme si la résurrection n’était pas plantée au cœur de nos passions.

« La compréhension de la mort et de la résurrection de Jésus, écrit Daniel Duigou, passe aussi par l’implication de celui ou de celle qui la reçoit. Cette histoire de la Passion n’a de sens que si elle devient événement dans sa propre histoire, si chacun en fait lui-même l’expérience. » [2] En effet, nous sommes constamment placés devant la nécessité de passer d’une foi théorique à une foi éprouvée par l’expérience de la vie. C’est dans les moments difficiles que la foi au Christ ressuscité parvient à nous relever. Et ayant fait l’expérience de sa présence et de son soutien, notre foi en Jésus ressuscité ne peut que gagner en fermeté et en vérité.  Il ne suffit pas seulement de croire à la résurrection, il faut vivre la résurrection. Il ne suffit pas seulement de croire en Jésus ressuscité, il faut davantage vivre en solidarité avec lui.

Joyeuses Pâques

En cette fête de Pâques, que notre foi en Jésus ressuscité, l’éternel Vivant, ne cesse de grandir et nous fasse apprécier comment la vie est précieuse et belle. Que cette même foi nous éclaire et nous aide à nous tenir debout, comme le Ressuscité, lorsque d’inévitables bourrasques surviennent et ébranlent notre paix intérieure. Que notre foi en Jésus ressuscité rende plus solide notre conviction d’appartenir à la vie et de tout mettre en œuvre pour la nourrir et la faire grandir chez les autres, en commençant par nos proches. Ce service de la vie et de l’amour fait grandir le Corps du Christ ressuscité.

Yves Guillemette est curé de la paroisse Saint-Léon de Westmount et directeur du site interBible.org.

[1] Note de l’auteur : J’ai publié cette présentation des lectures de la Veillée pascale et le passage de l’évangile de Jean pour la messe du jour dans la revue Rassembler, volume 58, numéro 2, de mars-avril 1998. Avec l’aimable autorisation des éditions Novalis, je la reprends ici, révisée, avec quelques ajouts.
[2] Daniel Duigou, Vanité des vanités. Méditations au désert, Albin Michel, 2010, p. 248.

Source : Le Feuillet biblique, no 2798. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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