La crucifixion (esquisse). Eugène Delacroix, 1845. Huile sur panneau, 37 x 25 cm.
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Wikimedia).

La mort n’est pas le dernier mot de Jésus

Alain FaucherAlain Faucher | Vendredi saint (A) – 7 avril 2023

La passion selon Jean : Jean 18, 1 – 19, 42
Les lectures : Isaïe 52, 13 – 53, 12 ; Psaume 30 (31) ; Hébreux 4, 14-16 ; 5, 7‑9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’ampleur des lectures proposées au Lectionnaire nous incite à entrer tout doucement dans la dynamique de leur assemblage. La première lecture décrit le contexte prophétique de révélation qui sera vécu dans l’évangile de Jean. Un geste politique est vécu par Jésus dans l’évangile : il est installé sur la tribune par Pilate comme un roi qui monte sur son trône. La deuxième lecture précise les effets de ce triomphe paradoxal en utilisant les termes de la liturgie juive.

Le serviteur souffrant

On porte généralement peu d’attention à la première lecture du Vendredi saint. Pour faciliter les présentations, nous en présentons un abrégé qui se modèle sur le déroulement de la lecture. En fait, cette page généreuse du Second Isaïe donne à la célébration de la Passion du Seigneur un ton de sobriété sereine.

Le texte proclamé démarre sur un ton constructif : Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! Ce succès sera cause d’étonnement de la multitude des gens et pour la multitude de nations car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.

Intrigue de révélation, donc : il y transmission d’une connaissance inédite et bienfaisante par des moyens plus que modestes. En effet, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Il semblait méprisable, abandonné, enfermé dans la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face. Compté pour rien, il portait nos douleurs. Dieu ne l’humiliait pas. Dieu l’associait à nos pires meurtrissures…

Telle est la révélation transmise par les événements de la Passion dans leur effet paradoxal : ce qui nous donne la paix est un châtiment, une série de blessures devenues porteuses de guérison et de rassemblement. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. La maltraitance a paru dégrader le statut de Jésus en l’humiliant. Il s’est laissé faire comme la brebis muette devant les tondeurs. Arrêté, jugé, supprimé, ce serviteur se chargera des fautes des multitudes. Il aura sa part parmi les grands comme au jour du partage du butin. Tout cela parce qu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, compté avec les pécheurs alors qu’en fait il intercédait pour ces pécheurs. Les témoins pensaient que le serviteur de Dieu était dépouillé de ses titres, alors qu’en fait il était en pleine activité d’intercession.

Psaume 30 (31)

Cette prière de supplication déploie toute la portée de la relation entre Dieu et son serviteur. On l’ignore comme un mort oublié, alors qu’en fait il bénéficie de l’appui de Dieu. La relation d’alliance donne ses fruits quand l’hostilité est à son comble : Mes jours sont dans ta main : délivre-moi des mains hostiles qui s’acharnent.

Jésus entre dans le Sanctuaire de Dieu

Deux capsules tirées d’une lettre monumentale renforcent le climat positif de la célébration (Hébreux 4, 14-16 ; 5, 7‑9).

Tout d’abord, Jésus reprend le trajet du grand-prêtre vers le Saint des saints. Cette allusion au Temple de Jérusalem exige une certaine familiarité avec l’architecture des lieux. Le mouvement de Jésus vers la Demeure de Dieu est imaginé au-dessus des cieux. Fermeté et assurance découlent de cette représentation céleste de Jésus.

Ensuite, on constate que l’alignement respectueux du Christ sur la volonté du Père (son obéissance) peut être reproduit entre Jésus et les disciples. Conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. L’Évangile va maintenant déployer tout le rayonnement de la montée en croix de Jésus, ce grand prêtre et de ce prophète.

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ

Nous serons peu de gens rassemblés pour écouter la Parole en ce vendredi de congé. Cela nous attriste, et pourtant cela est représentatif des événements vécus dans un recoin éloigné de l’Empire romain. La mort de Jésus, c’était un geste barbare, brutal, banal… et minuscule. Et pourtant, son effet perdure. Jusqu’à nous, loin des terres méditerranéennes… Quand le Quatrième évangile, l’Évangile selon Jean, raconte la mort de Jésus, nous sommes saisis par la fermeté de Jésus devant les événements qui l’accablent. Jésus semble en contrôle parfait de la situation…

Ainsi, une mort d’esclave devient triomphe de roi. C’était une mort honteuse, comme celle de tant de gens alors assassinés en toute légalité par les conquérants romains. Que vaut la mort d’un crucifié, quand la mort des persécutés par milliers obtient le silence pour seule réponse, l’oubli comme seul résultat? Pourtant la différence est grandiose : c’est le Fils de Dieu qui accepte la mort. Le temps est suspendu sur la croix... L’éternité se conjuguera bientôt au présent!

Ramenés à leur strict poids géographique et politique, les événements rapportés par les Évangiles sont peu de chose. La force de l’Empire où ils se sont déroulés était absolue, aveugle et inconsciente. Il est étonnant que les événements d’un petit coin reculé d’un ancien Empire aient encore des effets perceptibles chaque jour sur toute la planète, et ce depuis des centaines d’années! Que le meurtre d’un fauteur de trouble juif ait un tel impact, c’est vraiment un coup du bon Dieu : Jésus n’était qu’un parmi des milliers qu’on assassinait pour garantir la paix de l’Empire. Et la Torah juive maudissait celui qui mourait pendu au bois. L’évangile opère un renversement de sens. Cette croix est désormais comme un trône. Pilate fait asseoir Jésus sur un lieu symbolique d’autorité. La mort de Jésus en croix est ensuite racontée comme un triomphe digne d’un roi. C’est l’expérience que le récit transmis à la manière de Jean a voulu nous faire sentir.

L’ambiance d’indifférence générale dans laquelle nous vivons ce Vendredi saint nous fait vraiment communier à ce qui s’est joué ce jour-là. Ce n’est pas sur le coup que la vérité du don de Jésus a pu être manifestée. C’est avec la surprise de la résurrection, c’est au fil de la lente organisation de la famille des croyants que le souvenir des événements est devenu impérissable. On a compris que la mort de Jésus était la mort d’un prophète : sa mort validait son message. Et on a découvert que cette mort était le temps de son retour auprès de Dieu. Une mort de criminel devenait la preuve que Jésus était le Fils de Dieu, le Messie, l’Envoyé qui retournait vers celui qui l’avait envoyé pour témoigner de l’union possible entre le créateur et les créatures...

Quand il est mort, le prophète…

Tout d’abord, il faut comprendre que Jésus était porte-parole de Dieu, « prophète » pour prendre le terme technique. Or la vie d’un prophète est justement une vie impossible, car elle se déroule entre deux extrêmes : le prophète doit dénoncer des choses à cause de sa foi, et cela l’accule à devoir accepter d’être rejeté par les siens et d’en mourir!

Jésus a vécu une vie de prophète. Il n’a pas toléré les choses qui n’avaient pas de bon sens aux yeux de Dieu. Combien de fois, dans l’évangile, le voyons-nous en train de réagir contre toutes sortes d’excès, toutes sortes de fardeaux inutilement imposés aux croyants avec les prétextes les plus religieux? Jésus a été le prophète par excellence : il ne pouvait pas ne pas être acculé à la mort. Et là, il a accepté de vivre jusqu’au bout son engagement, en remettant sa vie avec confiance.

De cette compréhension de la vie de Jésus comme prophète énergique et comme prophète fidèle jusque dans la mort, je comprends mieux ce que je dois faire pour porter ma croix à la suite de Jésus. Porter sa croix, c’est être fidèle jusqu’au bout à l’engagement de ma vocation que j’ai un jour librement accepté. Que je sois une personne mariée, un parent, un célibataire consacré, porter sa croix comme Jésus cela veut dire en même temps « ne pas tolérer d’être entraîné dans ce qui est contraire à mes promesses » et « tolérer patiemment les situations moins agréables entraînées par mon engagement » dans tel ou tel projet de vie.

En ce Vendredi-saint, ne gardons pas seulement de Jésus l’image doloriste de ses souffrances. Alors que nous pensons spontanément à des statues du Sacré-Cœur saignant, la Bible nous présente quelque chose de plus : le don serein et efficace de celui qui nous donne toute sa vie avec, en prime, le don de l’eau vive, le don de l’Esprit saint...

Célébrons l’assurance de Jésus devant les gardes, devant Pilate, devant les autorités de Jérusalem... Comprenons que sa mort est une signature. Ce n’est pas le dernier mot de Dieu, comme nos souffrances et nos silences ne sont pas le dernier mot de Dieu. Il y a le Vendredi saint, mais il y a surtout Pâques. Nous célébrons le Vendredi saint une fois par année. Mais la fête de Pâques va trouver son écho pendant sept semaines. Ce n’est pas une fête d’un jour, mais une fête de toujours. En célébrant la mort de Jésus, nous apprenons en même temps à relever la tête pour mieux vivre l’Église.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2797. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.