Portrait du Christ. El Greco, c. 1579-1586. Huile sur toile, 19,8 x 15,5 cm. Musée d’art McNay, San Antonio (Wikimedia).

Des idées pour vivre en personnes ressuscitées

Alain FaucherAlain Faucher | 5e dimanche de Pâques (A) – 7 mai 2023

Jésus, chemin vers le Père : Jean 14, 1-12
Les lectures : Actes 6, 1-7 ; Psaume 32 (33) ; 1 Pierre 2, 4-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Vivre en personnes ressuscitées, à quoi cela ressemble-t-il? Quelles attitudes, quels comportements concrets sont implantés dans la vie des personnes qui croient que Dieu a relevé Jésus d’entre les morts et qui consentent à partager son sort? Le parcours à rebours des lectures bibliques de ce dimanche nous en donne une idée assez précise. L’Évangile déploie la facette relationnelle. La deuxième lecture décrit le point terminal des transformations positives du statut des adhérents. Et la première lecture fournit un exemple de centration sur la Parole qu’a si bien incarnée Jésus.

En relation avec le Fils et le Père

De prime abord, les propos de l’évangile sont peu stimulants. Le texte n’offre pas de narration détaillée. Mais les affirmations de Jésus proviennent de son discours d’adieu. Elles s’additionnent pour fournir le cadre de référence nécessaire pour vivre dans le créneau le plus porteur qui soit : la relation du Fils et du Père. Remarquez l’ordre inversé! Jésus ne parle pas seulement de la relation du Père et du Fils. Ses propos sont souvent bâtis sur une vision alternée différemment : le Fils, le Père…

Voilà un double point d’ancrage solide et fécond : la foi en Dieu, la foi en Jésus. Cette relation ouvre la porte d’une maison aux nombreuses demeures. Il y a donc place dans cet espace divin pour la diversité. Le chemin est connu, contrairement à ce que laisse entendre l’objection de Thomas. Il déclare inconnus l’endroit et le chemin par où Jésus s’en va. Jésus affirme qu’il est le chemin obligé vers le Père, et donc que ce chemin est connu dès maintenant en Jésus. La vérité s’est manifestée. La vie est accessible.

Philipe formule une demande audacieuse, quand on la compare avec la retenue du Premier Testament. Il ose demander que lui soit montré le Père. Jésus répond par le biais des paroles du Père, validées par les œuvres ouvertes sur la réciprocité de l’espace où se rejoignent le Fils et le Père. Le œuvres de Jésus seront imitées par les croyants et les croyantes, en mieux car Jésus part vers le Père en dégageant sans doute un espace de créativité encore plus vaste. Ainsi branchés sur le Fils, les croyants ne sont pas laissés dans le brouillard total…

Passer de la honte à l’honneur

Vivre en personnes ressuscitées, c’est aussi s’insérer dans un processus de transformation, comme le rappelle la deuxième lecture (1 Pierre 2,4-9). Le Seigneur Jésus est la pierre vivante rejetée par les gens. En s’approchant de lui, on participe à la construction de la demeure spirituelle.

Pour décrire le contraste de l’avant et de l’après, la lecture utilise le vocabulaire des valeurs centrales de la société méditerranéenne : l’honneur et son contraire, la honte. On met ainsi en évidence les effets extraordinairement constructifs d’appartenance au groupe des personnes croyantes.

Un parcours de valorisation est proposé, qui fait passer les participants des marges de la société humaine vers le sommet de la relation avec la divinité. Même les exilés et les étrangers qui adhèrent au Seigneur Jésus (« étrangers en diaspora » destinataires de la lettre selon 1 Pierre 1,1) connaissent un heureux sort. Selon le texte biblique, ils bénéficient d’un quintuple honneur. Descendance choisie, sacerdoce royal, nation sainte, peuple destiné au salut, annonciateur des merveilles de Dieu… Loin de leur position marginale, ils sont ainsi réintégrés au sommet de leur société.

La liste des éléments de leur couronne honorifique est calquée sur un texte du Premier Testament. Ce texte bref est très important. Il mériterait d’être appris par cœur! Les croyants s’inscrivent dans l’écho du programme constructif révélé par Dieu au Sinaï (Exode 19,5-6), avant la proclamation des commandements. Choix, dignité, sainteté, nation bien organisée, lien d’appartenance sont désormais le patrimoine des alliés de Dieu et des baptisés. Une mission de communication s’ajoute à la liste déjà agréable proposée dans le Premier Testament. L’appel qui les a fait passer des ténèbres à la lumière de Dieu sera révélé au monde grâce à leur engagement.

Comment des gens si déconsidérés dans la société de leur époque ont-ils pu bénéficier d’un tel relèvement? À cause d’une stratégie paradoxale de Dieu. Dans une société si sensible à la réputation, Dieu a choisi comme messager par excellence celui qui a subi le rejet des gens. L’image de la pierre d’angle que l’on dédaigne met en lumière le rôle incontournable de Jésus. Grâce à lui, les croyantes et les croyants, ces matériaux vivants, peuvent s’assembler en un Temple spirituel. Seules des pierres vivantes peuvent incarner le sacerdoce saint. Autrement dit : les croyants sont habilités à poser des gestes acceptables par Dieu [1].

Priorité à la croissance de la Parole

Vivre en personnes ressuscitées, enfin, c’est faire sa part pour la croissance de la Parole. Jésus a été l’incarnation excellente de la Parole divine. Son Esprit de sainteté maintient le tonus en incitant les disciples à poursuivre son œuvre de diffusion et de multiplication (voir Actes 6,1-7). Encore faut-il faire face à des problèmes inattendus. Du mécontentement lors des distributions de vivres, par exemple…

Dans la communauté chrétienne naissante, il y avait un sérieux problème de ressources pour les dames veuves de langue grecque. La solution pratique trouvée dans l’Esprit est agréablement constructive et créatrice : une spécialisation des tâches. Cet épisode est commenté ad nauseam. Ce qui est habituellement moins remarqué, c’est à quel point cette mise en place de distribution de ressources est un signe, presque un sacrement d’une réalité de fond à maintenir à tout prix : la croissance de la Parole. On met en place un groupe d’intervention pour que les personnes engagées au service essentiel de la Parole soient maintenues dans leur service essentiel.

Aujourd’hui, ne manquons pas d’observer le cadre, début et fin, de la lecture. On y affirme par deux fois que le nombre de disciples augmentait. En ces temps où nous percevons davantage de stagnation que de croissance dans maintes communautés chrétiennes, il y a là un appel au discernement. Je pense aux diocèses qui mettent de l’avant le partage de la Parole avant toute chose dans leurs activités pastorales. Lisons la première lecture dans son contexte. Certes, la charité pratique s’y manifeste dans la nomination de « permanents de la charité ». Mais cette nouvelle pratique s’instaure pour donner place à la pratique centrale de la vie des disciples : la communication multiplicatrice de la Parole. Voilà une autre pratique, viable à notre époque, qui démontre que des gens osent encore vivre en ressuscités.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

[1] Ce commentaire de 1 Pierre 2, 4-9 s’inspire d’une première version parue dans le Feuillet biblique numéro 2011, Pâques 5 A, 24 avril 2005.

Source : Le Feuillet biblique, no 2802. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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