La Trinité. Andreï Roublev, circa 1400. Icône célèbre conservée à la Galerie Tretyakov, Moscou (Wikipédia).
Dieu, plein d’amour et de fidélité
Lorraine Caza | La sainte Trinité (A) – 4 juin 2023
Le fils médiateur : Jean 3, 16-18
Les lectures : Exode 34, 4b-6.8-9 ; Daniel 3, 52-56 ; 2 Corinthiens 13, 11-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
La fin de la seconde lecture de cette liturgie en l’honneur de la Sainte Trinité constitue, me semble-t-il, une magnifique synthèse de la confession de foi au cœur de ce dimanche : Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous. Après avoir proclamé aux Corinthiens que Dieu est unique par la formule « Le Dieu d’amour et de paix », Paul annonce à sa communauté les trois personnes : la grâce du Fils, l’amour du Père, la communion de l’Esprit. Et il n’est pas banal de constater que l’acclamation qui précède immédiatement le texte évangélique réunit également la profession du Dieu unique et Trinité. « Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, Celui qui est, qui était et qui vient. » (Apocalypse 1,8)
Dieu a tant aimé le monde
Mais, venons-en au texte central de notre liturgie de la Parole en ce dimanche. Il est tiré de l’évangile de Jean, plus précisément de l’entretien de Jésus avec Nicodème, en Jean 3,1-21. La liturgie n’a retenu que les versets 16-18, c’est-à-dire le court développement sur l’indicible amour du Père qui lui fait donner son Fils unique pour le salut du monde. Jean insiste : ce n’est pas pour un jugement que Dieu vient à nous, mais bien pour nous sauver. Et si nous demandons ce que le Père attend de nous en retour de ce don incommensurable, il se hâte de dire que c’est notre foi en cet amour qui s’exprime dans le don du Fils unique. Mais pourquoi en cette solennité de la Trinité n’a-t-on pas un passage évangélique où les Trois qui ne sont qu’un sont clairement nommés ? Jean pourrait nous répondre de relire attentivement toute la conversation de Jésus avec Nicodème. Les versets 3-8 donnent vraiment la première place à l’Esprit avec une référence à la seconde naissance quand on est déjà vieux, cette naissance d’eau et d’Esprit. Les versets 11-15 placent Jésus au centre du discours, énonçant qu’à côté des choses de la terre qu’Il a à partager, il y a celles du ciel, car il est seul à être monté au ciel, lui qui est descendu du ciel. Il est au ciel et il faut qu’il soit élevé – renvoyant à l’élévation sur la croix – pour qu’à notre foi soit donnée la vie éternelle. Vient alors, enfin, l’affirmation qui doit retenir pleinement notre attention : OUI, Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique…
La Trinité. Masaccio, c. 1426-1428. Fresque de l’église Santa Maria Novella, Florence (Wikipédia).
La Trinité et l’art
L’iconographie chrétienne a cherché, au fil des siècles, à redire les confessions trinitaires de Paul et de Jean. Je me suis arrêtée plus spécialement à trois de ces représentations artistiques du grand mystère du Dieu Un et Trine. Elles me semblent, chacune à sa façon, redire ce que Paul et Jean ont exprimé en paroles.
En 1425, Roublev a peint, pour l’église Saint-Serge, une icône qui est conservée au musée Tretjakov de Moscou. En 1551, le concile des cent chapitres déclara cette icône : le modèle de toutes les représentations de la Trinité. Cette œuvre d’art représente la Trinité comme trois personnes autour d’un repas. « Le dogme de l’unité et de la Trinité y est affirmé par le fait que les personnes sont trois et très distinctes, mais très ressemblantes entre elles. Elles sont contenues dans un cercle qui met en valeur leur unité, mais la disposition et le mouvement différents proclament aussi leur distinction [1]. » Tous les experts s’entendent pour affirmer que cette icône est le sommet de tout l’art iconographique. Cette icône est typique de la spiritualité orientale, de l’Église orthodoxe.
Dans l’église latine, et donc, dans la spiritualité occidentale, une œuvre particulièrement célèbre est celle de Masaccio qui se trouve dans l’église santa Maria Novella, à Florence. Ici, les trois personnes divines sont situées sur le calvaire [2]. L’œuvre est donc en quelque sorte une anticipation dans l’expression du thème de la souffrance de Dieu. Le Père, surplombant le Crucifié, enveloppe son Fils – qui ne le voit pas mais a ses mains sur les mains du Crucifié. L’Esprit est présent sous la forme de la colombe.
La Trinité miséricordieuse. Caritas Müller OP, 2007. Céramique.
Communauté ecclésiale libre « Sunnebad » de Sternenberg (photo © Caritas Müller).
À la fin du 20e siècle, sœur Caritas Müller a réalisé une céramique impressionnante de la Trinité miséricordieuse. Comme Dieter Théobald a bien rendu compte de cette sculpture ! Il écrit :
Notre époque veut que l’homme soit au Centre. Dieu, en tant que Créateur, Maître du cosmos, Sauveur, a été placé en marge ou simplement aboli. Dans cette céramique, l’homme est également au Centre. Mais, quel homme ? Non pas l’homme conscient et fier de ses propres valeurs. Non. C’est l’être humain dans toute sa faiblesse et sa misère. Ici, Dieu est en quelque sorte « placé en marge ». Mais ce serait mal interpréter ce que l’artiste a voulu exprimer. L’homme est bel et bien au Centre. Au Centre de qui ? Au Centre de toute l’attention de Dieu, de son amour et de sa miséricorde. L’homme misérable est englobé dans la miséricorde de Dieu.
L’homme est entouré de tous les côtés par ce « Dieu mis de côté ». Plein d’amour, le Père se penche sur l’homme, il le tient, le porte, prend soin de lui, l’embrasse. C’est le Père prodigue de la parabole.
Jésus, Fils de Dieu, s’abaisse, descend aussi bas que l’être humain le plus bas. Il saisit ses pieds, les couvre de baisers, les lave. Pour accomplir à notre égard l’acte d’amour le plus grand, il pose ce geste qui est le plus humble qui soit. Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir…
L’homme est entouré de tous les côtés par ce Dieu « mis de côté ». L’Esprit Saint, sous forme de colombe et de flamme de feu à la fois, fait irruption par le haut vers l’homme. Il veut le remplir, en prendre possession.
Pour Dieu, l’homme est au Centre. Mais en vue d’amener l’homme à faire de Dieu le Centre de sa vie. Et Dieu choisit la voie du don, de la miséricorde inaltérable, de l’amour débordant. L’amour circule en Dieu au bénéfice de l’homme qui en exprime le désir. Qui ne souhaiterait être au cœur d’un tel échange? [3]
Des propos de Paul et de Jean repris par trois artistes
Ce que les trois artistes évoqués ont compris au langage de Paul et de Jean dans nos lectures de ce dimanche, c’est que le Dieu Un et Trinité est amour incommensurable. Roublev a traduit cet amour dans l’image de trois personnes assises à table pour un repas. Masaccio a exprimé cet amour en fixant notre regard sur Quelqu’un qui donne sa vie sur une croix, enveloppé, sans qu’Il le voit, par la tendresse infinie d’un Père dont les mains couvrent les siennes. Sœur Müller fait retentir cet amour en plaçant les trois personnes autour de l’homme fragile et misérable, en une attitude de compassion et de miséricorde indicible que son interprète, Dieter Théobald, a si bien saisie. Il est bon, je crois, de relire le message aux Corinthiens, l’évangile de Jean, l’Apocalypse, à la lumière des images éblouissantes de nos iconographes.
Retournons même à la première lecture. Nos représentations artistiques sont bien accordées au « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité qui s’est présenté à Moïse, dans l’Exode, comme Celui qui pardonne les péchés, faisant du peuple une communauté qui lui appartient ».
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
[1] Raniero Cantalamessa, Contempler la Trinité, Béatitudes, 2018, p. 11.
[2] R. Cantalamessa, Contempler la Trinité, p. 31.
[3] Propos relayés par cette page d’un blogue paroissial.
Source : Le Feuillet biblique, no 2806. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.