Siméon au Temple. Rembrandt, circa 1669.
Huile sur toile 98,5 x 79,5 cm. Musée national, Stockholm (Wikipédia).

La bande-annonce d’un Évangile de salut

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | Sainte famille (B) – 31 décembre 2023

Jésus est présenté au Seigneur dans le Temple : Luc 2, 22-40
Les lectures : Genèse 15, 1-6 ; 21, 1-3 ; Psaume 104 (105) ; Hébreux 11, 8.11-12.17-19
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Après un prologue qui tient en quatre versets, l’Évangile selon Luc consacre ses deux premiers chapitres à l’entrée dans ce monde de Jean le Baptiste et de Jésus. Ces chapitres à forte teneur théologique, mais sans prétention à l’exactitude historique, forment en quelque sorte la « bande-annonce » de l’Évangile. Ils exposent en effet les éléments essentiels du parcours de Jésus et de sa mission.

Le texte évangélique de ce dimanche de la Sainte-Famille [1] déroule une séquence extrêmement riche de cette bande-annonce. Deux vieillards, un homme et une femme, parlent de Jésus. Leurs paroles, centrales, ne se comprennent bien qu’en élargissant le regard à l’ensemble de l’histoire du salut dont les premières étapes sont consignées dans le Premier Testament [2]. Le texte évangélique d’aujourd’hui renvoie à cette histoire de multiples façons pour montrer qu’elle conduit jusqu’à Jésus. De plus, les trois autres textes du jour, qui insistent sur la question des promesses divines, nous aident à comprendre ce que dit l’Évangile : ces promesses s’accomplissent en Jésus.

Dans la présente rubrique, nous repartirons des affirmations des deux sages de l’Évangile, Syméon et Anne, pour déployer leur portée à la lumière de l’ensemble du récit où elles apparaissent. Nous en éclairerons aussi le sens en puisant aux trois autres textes de la liturgie du jour.

Un salut destiné à toute l’humanité

Inspiré par l’Esprit Saint, Syméon remercie Dieu de voir enfin ce salut qu’il a tant espéré, salut manifesté à la face des peuples sous les traits du petit enfant qu’il tient dans ses bras et qu’il reconnaît également comme lumière qui se révèle aux nations (v. 30-31). D’emblée, l’évangile de Luc affirme donc, par la bouche du vieux sage, la portée universelle du salut. Destiné à l’ensemble de l’humanité, ce salut est identifié à une « lumière ». Cela reprend un motif déjà exposé dans le cantique de Zacharie [3] à la fin du chapitre 1 : Jésus y est présenté comme l’astre d’en haut qui vient illuminer tous ceux qui croupissent dans les ténèbres (1,78-79). Nous en sommes nous aussi, puisque nous n’échappons pas plus que les autres aux nombreuses ténèbres qui enserrent notre monde : maladies, deuils, perte de sens, brisures relationnelles ou menaces climatiques.

Mais Syméon n’innove pas en parlant d’un salut universel. Si l’Ancien Testament se concentre beaucoup sur la relation particulière du peuple d’Israël avec Dieu, il affirme avec force dès son premier livre l’universalité du dessein divin, notamment en mettant en scène Abraham, un personnage présent dans les trois autres lectures du jour. La Bible le présente comme le patriarche de toutes les nations et le père de tous les croyants.

Croire aux promesses malgré le temps qui s’étire

La première lecture, tirée du livre de la Genèse, met bout à bout deux portions de l’histoire d’Abraham. Tout d’abord, dans l’extrait du chapitre 15, le patriarche, qui s’appelle encore Abram [4], se fait confirmer par le Seigneur la promesse phare qu’il lui avait faite dès le début de son parcours : une descendance nombreuse, issue de son propre sang (12,2). Mais les années ont passé et Abram trouve le temps long, d’où la réitération par le Seigneur de sa promesse. Le second extrait, tiré du chapitre 21, montre la réalisation de la promesse : Sarah, malgré son âge avancé, devient enfin mère. La descendance, aussi nombreuse que les étoiles du ciel (15,5) n’est pas encore là, mais c’est un bon départ !

Un salut qui va plus loin que prévu

Réinterprétant le parcours d’Abraham à la lumière du Christ, la seconde lecture, tirée de la lettre aux Hébreux, en montre la profondeur insoupçonnée : les promesses de Dieu ne se brisent pas sur les récifs de la mort. Elles les font éclater, puisque Dieu est capable même de ressusciter les morts (He 11,19). La patrie promise par Dieu déborde les frontières de notre monde fini et limité (11,16). La foi, présentée comme confiance à Dieu, permet d’ancrer notre vie sur des fondations solides (11,10), même si nous ne semblons être que des « étrangers et des voyageurs » sur cette terre. Abraham, modèle du croyant à la foi indéfectible, peut alors nous inspirer.

Une fidélité perpétuelle envers Israël

Mais qu’en est-il alors, au sein de cette vision universaliste du salut, du lien particulier tissé entre Dieu et son peuple Israël ? Il n’est jamais oublié ou renié ; il sert d’ancrage concret à la fidélité divine. Celle-ci, en effet, ne peut s’exercer qu’envers des humains inscrits dans leur propre histoire. Celle d’Israël est en quelque sorte le prototype d’une expérience destinée à s’élargir à toute l’humanité.

Ainsi, en rappelant avec insistance — cinq mentions en tout (v. 22.23.24.27.39) — que ses parents observent méticuleusement les prescriptions de la Loi, le texte rattache Jésus à ses racines juives. Il évoque aussi diverses étapes du parcours du peuple élu. Tout d’abord, par la figure emblématique de Moïse, il renvoie à la grande libération des Hébreux lors de l’exode et à la conclusion de l’alliance au Sinaï. Puis, en utilisant des titres royaux pour désigner Jésus — Christ et Messie du Seigneur [5] (v. 26) — il remet à l’avant-plan la promesse faite à David qu’il y aurait toujours un de ses descendants sur son trône, un roi-messie chargé de prendre soin de son peuple. La fin abrupte de la royauté en Israël, au moment de l’exil à Babylone [6], pouvait laisser croire que Dieu avait révoqué cette promesse. Et pourtant, certains, comme Syméon et Anne, y croyaient encore, bien ancrés dans une espérance tenace alimentée par leur confiance en la Parole (v. 29.37 [7]). La femme prophétesse peut bien proclamer les « louanges de Dieu » lorsqu’elle reconnaît en Jésus celui par qui Dieu parachèvera son œuvre de « délivrance de Jérusalem [8] » (v. 38) !

Un salut à célébrer

Tout cela mérite d’être célébré ; le Psaume 104 nous donne les mots pour le faire. L’invitation à la louange du psalmiste s’adresse aussi bien aux innombrables descendants d’Abraham, toutes nations confondues, qu’à ceux issus du peuple élu, les « fils de Jacob » (v. 6).

Accueillir ou pas un salut qui traverse la mort ?

Mais pour que ce salut s’accomplisse, Jésus devra accepter de poursuivre sa mission jusqu’à la croix et consentir à mourir. C’est à cela que le vieillard Syméon fait allusion en annonçant à la mère de Jésus que son âme [serait] traversée d’un glaive (v. 35). Et s’il ajoute que Jésus sera un signe de contradiction, c’est bien pour indiquer qu’à l’époque de Jésus comme aujourd’hui chacun doit se situer face à la lumière vive d’un salut qui peut éclairer jusqu’aux pensées enfouies au plus profond de son cœur (v. 34), face à un salut qui passe par la mort. L’Évangile du jour, dont la tonalité invite avant tout à la louange alors qu’advient le salut, place néanmoins la lectrice et le lecteur devant la question fondamentale de l’accueil qu’il lui réservera.

Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.

[1] Ce texte est fréquemment désigné comme celui de la « présentation de Jésus au Temple ». Par rapport aux rites à accomplir pour un premier-né, il semble que le récit de Luc amalgame d’une manière libre deux traditions différentes : celle de la purification rituelle des mères après leur accouchement (Lévitique 12,8) et celle du rachat du fils premier-né (Exode 13,12).
[2] Ou Ancien Testament.
[3] Ou Benedictus (Lc 1,68-79).
[4] Son nom sera changé en « Abraham » un peu plus loin (Gn 17,4-5). Ce changement de nom indique un ajustement de sa mission. Après avoir conclu l’alliance avec Dieu, Abram, « grand quant à son père », devient Abraham, « père d’une multitude » (voir Gn 17,4-5). Abram, homme tourné vers son père, devient Abraham, homme tourné vers sa descendance.
[5] Christ et Messie sont deux mots équivalents qui signifient « oint », le roi étant consacré par une onction d’huile. Christ vient du grec, tandis que Messie vient de l’hébreu.
[6] En 587 avant Jésus-Christ.
[7] La prière d’Anne était sans doute autant écoute et rumination des Écritures que paroles adressées à Dieu.
[8] « Jérusalem » désigne, plus que la Ville sainte, le peuple juif qui y est attaché.

Source : Le Feuillet biblique, no 2827. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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