Cantique de Siméon. Arent de Gelder, c. 1700-1710. Huile sur toile, 94,5 x 107, 5 cm. Mauritshuis, La Haye (Wikipedia).

Maintenant, ô Maître souverain — NT3

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 27 avril 2020

Référence biblique : Luc 2,29-32
Liturgie des Heures : chaque soir, à Complies

29Maintenant, ô Maître souverain,
tu peux laisser ton serviteur s’en aller
en paix, selon ta parole.

30 Car mes yeux ont vu le salut
31 que tu préparais à la face des peuples :

32 lumière qui se révèle aux nations
33 et donne gloire à ton peuple Israël.

À l’origine. Dans les deux premiers chapitres de son évangile, Luc nous présente les naissances de Jésus et de son cousin Jean dans deux récits parallèles. On y trouve de part et d’autre des apparitions angéliques où sont annoncées la naissance et la vocation de chacun d’eux. On y entend Zacharie, le père de Jean, et Marie, la mère de Jésus, chanter les louanges de Dieu dans leurs cantiques (NT 1 et 2). On est témoin des deux naissances ainsi que des réactions des gens à l’entour.

Mais au verset 22 du deuxième chapitre, Luc raconte quelques épisodes dans la vie de l’enfant Jésus qui n’ont aucun parallèle avec l’histoire de son cousin. Par exemple, il décrit la démarche de Joseph et de Marie au Temple de Jérusalem quelque temps après la naissance de Jésus. En fidélité à la loi juive, ils viennent présenter l’enfant au Seigneur et se faire purifier, tout en rachetant leur fils premier-né par le sacrifice de deux petits oiseaux.

À cette occasion, ils rencontrent un homme « juste et pieux » nommé Syméon. Celui-ci attendait la « consolation d’Israël », c’est-à-dire la venue du messie. Luc note que cet homme était rempli de l’Esprit Saint. L’Esprit lui avait révélé qu’il verrait le messie de son vivant. Ce même Esprit le pousse à se rendre au Temple au moment où Jésus y est présenté. Prenant l’enfant dans ses bras, Syméon proclame un cantique (NT 3) qui rend grâce à Dieu d’avoir tenu sa promesse. Il peut maintenant mourir en paix, ayant vu le messie de ses propres yeux. Syméon affirme que le salut que réalisera Jésus sera une lumière pour les nations païennes tout en étant la gloire d’Israël.

Dans le contexte de l’Évangile. La présentation de Jésus au Temple nous fait penser à une scène de l’Ancient Testament : la mère du nouveau-né Samuel, Anne, l’emmène à un sanctuaire pour le consacrer au Seigneur (1 Samuel 1-2). Comme Marie et Élizabeth, elle avait donné naissance dans des circonstances exceptionnelles. Son fils deviendrait un grand prophète qui consacrerait les premiers rois d’Israël, notamment David. Avec Jésus, c’est un descendant de David qui est présenté au Seigneur et qui reçoit une mission prophétique extraordinaire : celle d’être lumière pour les nations. Luc établit ainsi la mission de Jésus en continuité avec l’Ancien Testament.

Notons aussi le contraste entre l’histoire de l’enfant Jésus et celle de son cousin Jean. C’est au Temple de Jérusalem qu’un ange annonce la naissance de Jean à Zacharie. Fait à noter, cette naissance aura lieu à l’extérieur de Jérusalem, dans un village de Juda. Et la prochaine fois qu’on rencontrera Jean, il sera encore plus éloigné de Jérusalem, sur les rives du Jourdain en train de baptiser.

Pour Jésus, on remarque un mouvement contraire : l’annonce de sa naissance a lieu à Nazareth, en Galilée. Sa naissance à Bethléhem, en banlieue de Jérusalem, le rapproche du Temple. Enfin, la scène avec Syméon se passe au Temple même. C’est comme si Luc veut nous faire comprendre que le centre de gravité du plan de Dieu se déplace : une nouvelle Alliance se prépare où Jésus, en sa personne, remplacera le Temple. C’est lui qui deviendra la demeure de Dieu au cœur du monde.

La destinée de Jésus proclamée par Syméon dans son cantique n’avait pas été révélée à Marie par l’ange. Les mots de son cantique rappellent ceux du prophète Isaïe au sujet du Serviteur souffrant : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Isaïe 49, 6)

En somme, le cantique de Syméon signe un trait d’union entre l’Ancien Testament et le Nouveau. Jésus vient accomplir les promesses que Dieu avait faites à son peuple. Mais, en même temps, il les dépasse en introduisant une nouveauté radicale : c’est dans la personne même de Jésus que Dieu agira en faveur du monde entier.

Dans ma vie. J’admire la foi et la confiance de Syméon. On lui présente un petit enfant, et il entrevoit déjà l’accomplissement des promesses de Dieu. On pressent qu’il ne sera pas vivant trente ans plus tard pour faire l’expérience de la mort et de la résurrection de Jésus. Pourtant, il croit fermement que Dieu agira et sauvera son peuple grâce à ce nouveau-né. Quelle capacité visionnaire!

Trop souvent, je contemple mes faibles capacités, la pauvreté de l’Église, la mesquinerie humaine, et je doute que l’Évangile puisse vraiment transformer le monde. Pourtant, Jésus a déjà donné sa vie par amour pour nous, il est déjà ressuscité, il a déjà soufflé son Esprit sur le monde. Tout cela m’est donné… et je perds confiance?

Peut-être dois-je implorer cet Esprit afin qu’il vienne renouveler ma foi. Il a donné à Syméon des yeux de prophète pour discerner la gloire qui se cachait dans ce petit être fragile. L’Esprit peut m’aider à m’émerveiller, moi aussi, devant ce qui semble à première vue insignifiant mais qui porte une promesse de vie. Alors, je chanterai les louanges d’un Dieu qui se fait Très-Bas.

Dans le plan de Dieu. Le cantique de Syméon est proposé chaque soir à Complies, le dernier office quotidien de la Liturgie des Heures. Ce temps de prière établit un lien explicite entre le sommeil auquel on se prépare et la mort qui viendra un jour. On comprend pourquoi ce cantique convient si bien à cette heure : nous pouvons nous coucher dans la paix que Syméon chante parce que la lumière brille déjà dans la nuit. Cette lumière annonce la gloire éternelle qui nous est réservée dans la communion des saints autour du Maître souverain. Celui-ci nous ouvre un avenir plein de vie et de joie. Avec Syméon, finissons la journée en contemplant le Jour qui n’aura pas de fin.

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau et administrateur apostolique du diocèse de Mont-Laurier (Québec).

Psaumes

Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.

Note au sujet de NT 1, NT 2 et NT 3

Les trois premiers cantiques du Nouveau Testament sont tirés des récits de l’enfance du Christ dans l’évangile de saint Luc. Il s’agit des cantiques de Marie (1,46-56), de Zacharie (1,68-79) et de Syméon (2,29-32), souvent identifiés par leurs premiers mots latins : le Magnificat, le Benedictus et le Nunc dimittis.

Ces trois cantiques partagent certains traits : ils reprennent le vocabulaire typique des psaumes des Écritures juives; ils semblent plus appropriés à des contextes liturgiques qu’aux récits personnels dans lesquels ils sont intégrés; ils sont centrés sur l’action du Père, et non du Fils. De fait, ces cantiques ne font qu’évoquer Jésus, sans le nommer. C’est pourquoi de nombreux auteurs croient qu’ils reflètent une vieille tradition chrétienne très attachée au judaïsme, plus axé sur l’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament que sur la nouveauté radicale qu’apporte Jésus.

En intégrant ces cantiques dans son récit de la naissance du Christ, Luc – tout Grec qu’il est – révèle son grand attachement aux racines juives de la Bonne Nouvelle et son respect profond pour le peuple de Jésus. Pour lui, on ne peut comprendre le Christ, son message et son œuvre qu’à partir de l’Alliance que Dieu a établie avec Israël sous Abraham, Moïse et David. Mais le Christ accomplira cette Alliance en lui donnant un sens nouveau et universel. C’est pourquoi ces trois cantiques peuvent être compris comme des prophéties qui ne se réaliseront que dans la pâque du Christ.