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Récitatif biblique

 

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chronique du 18 novembre 2011

 

La manducation de la Parole : « Mange ce rouleau »

L'appel d'Ézéchiel

L'appel d'Ézéchiel
Marc Chagall, circa 1956

Un jour, le prophète Ézéchiel se retrouva avec une bien drôle de commande de la part de l’Éternel : « Mange ce rouleau. » Étonnant quand on sait que le rouleau c’est un livre saint  qui est roulé! Comment donc manger un livre? Mais il est bel et bien écrit :

Il me dit fils d’homme, ce que tu trouves mange-le, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël. J’ouvris la bouche, il me fit manger ce rouleau et me dit : Fils d’homme, fais manger ton ventre et remplis tes entrailles avec ce rouleau que je te donne. Je le mangeai et il fut dans ma bouche doux comme du miel. (Ez 3,1-3)

     Ce passage nous instruit grandement sur la nécessité de fréquenter intensément  la Parole jusqu’à l’avoir dans nos tripes! Pensons seulement à la vitesse avec laquelle nous lisons les Écritures à la messe. En général ce qui se passe autour de la table de la Parole se déroule assez rapidement : quatre lectures incluant le psaume, courte homélie portant sur l’un ou l’autre des aspects d’une de ces lectures. C’est tout. Or, il semble bien que l’Éternel conçoit une autre manière de se tenir à la table de la Parole. Mange ce rouleau. Les Écritures étant faites pour notre présent non pour le passé, en quoi ce passage nous concerne-t-il? Que contient-il pour notre aujourd’hui? Comment peut-il se réaliser dans notre vie?

     En fait c’est assez simple. Ce qui est dit au tout début du verset c’est : Fils d’homme. (On pourrait dire aussi Fils (et filles) d’humains). L’Éternel nous rappelle que notre principale tâche consiste à devenir de plus en plus humains. Puis il est dit : Ce que tu trouves mange-le. Et si ce « ce que tu trouves » était autre chose que le rouleau dont il sera question après? Si ce « ce que tu trouves » était ce que tu rencontres sur ton chemin de vie humaine? Si cela voulait dire : ce qui arrive dans ta vie, mange-le. Ne repousse rien de ton existence, de ce qui arrive de facile et de moins facile? Commence par avaler les événements à vivre, les heures de réjouissance, les moments à digérer, les passages à traverser… Et si nous devons d’abord manger le quotidien de nos existences personnelles et du monde quel sens prend alors la seconde directive : Mange ce rouleau?

     L’Éternel sait bien que nos Écritures contiennent une grande sagesse et des récits qui touchent toutes les situations imaginables de nos existences. En nous invitant à manger  le rouleau, il nous pousse à faire l’effort de bien connaître nos écrits sacrés. Ce passage d’Ézéchiel semble bien dégager qu’il faut les mastiquer, les déguster, les savourer, les avaler, les digérer pour que la Parole entre réellement en nous jusqu’à emplir nos entrailles, c’est-à-dire prendre une place réellement viscérale dans notre corps.

     Les appreneurs et appreneuses de la tradition orale chrétienne (récitatif biblique) connaissent bien le chemin du « manger la Parole » aussi appelé manducation.

Bouchée de souffle par bouchée de souffle, chaque verset est répété avec un rythme, une mélodie et des gestes qui facilitent son assimilation. Par la voie du corps et du cœur, les récitantEs impriment le passage biblique en eux tout en accueillant ce qui est éveillé dans les profondeurs de l’être. Le récitatif ne s’assimile pas d’un seul coup. Cela se fait progressivement, la digestion faisant son travail souterrain entre chaque séquence. Le but de la manducation n’est donc pas la maîtrise ou la performance, mais plutôt de vivre un contact intime et nourrissant avec le texte sacré. (Extrait d’un écrit de Louise Bisson)

     Il y a déjà des siècles cette discipline était connue et largement pratiquée. Il était tellement important de répéter, répéter et répéter encore les versets des Écrits que Rabbi Ismaël récitait : Point n’est comparable celui qui récite sa leçon pour la centième fois à celui qui récite sa leçon pour la cent et unième fois. Par cette pédagogie toute simple de la récitation mélodiée, rythmée et gestuée, ceux et celles qui pratiquent le récitatif découvrent que la Parole les accompagne constamment sans avoir besoin d’ouvrir le livre. Elle est là dans leur cœur et ressurgit adéquatement dans les situations de leur vie, toujours appropriée, toujours interpellante.

Jocelyne Hudon

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Le récitatif biblique : une discipline spirituelle