(photo : marceljousse.com)

Les lois du style oral... et leur application au récitatif biblique

AuteurAnne-Marie Chapleau | 29 avril 2019

Lois, règles et commandements : notre époque a développé une certaine allergie pour ces mots qui résonnent comment des entraves à notre liberté et à notre autonomie. Mais la loi peut aussi se comprendre comme ce qui nomme, ce qu’il y a de plus essentiel au sein d’une réalité et lui donne d’exister dans la justesse. Quand cette réalité s’appelle « expression » ou « langage », on touche au cœur même de ce qui nous instaure comme êtres humains.

Des décennies de patients travaux en anthropologie du langage ont permis au jésuite Marcel Jousse (1886-1961) de découvrir « les mécanismes gestuels d’une annonce faite oralement » [1]. Les diverses lois du style oral existent simultanément et s’interpénètrent. Dans le récitatif biblique, on applique les découvertes de Jousse. Cet article et le suivant permettront de découvrir les quatre lois mises à jour par cet amoureux de l’évangile : le bilatéralisme, les gestes expressifs du mimisme, le formulisme et le rythmo-mélodisme. Derrière ces expressions un peu étranges et obscures, des trésors attendent d’être découverts!

Première loi : le bilatéralisme humain

Comme êtres humains nous sommes bilatéraux : nous avons deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, un côté gauche, un côté droit. Nous marchons. Quelles conséquences faut-il tirer de ce bilatéralisme?  Nous fonctionnons en termes de « gauche et droite », « avant et arrière », « haut et bas ». Cette alternance entre deux dimensions ou deux directions nous structure plus profondément que nous pourrions le croire à première vue. Notre pensée elle-même en est affectée dans son fonctionnement.

Par instinct, en tradition orale, la projection de la pensée dans une parole s’accompagne d’un balancement du corps, qu’il soit de gauche à droite, ou d’avant en arrière. « Car le mécanisme de la mémoire a besoin pour se déclencher du mouvement du corps. C’est pour cela que l’enfant qui a une leçon à réciter, tandis qu’il récite avec sa bouche, tend à balancer tout le corps » [2]. Le balancement devient un moyen mnémotechnique efficace ; il soutient l’enregistrement d’éléments dans la mémoire. On pourrait ici donner l’exemple de ces rabbins juifs qui récitent par cœur la Torah en s’accompagnant d’un balancement rythmique du corps.

Le parallélisme dans les textes bibliques

Le balancement corporel trouve son pendant dans « le parallélisme des formules verbales qui, accolées à chacun des balancements, traduisent rythmiquement la pensée soit en se complétant [...], soit en s’opposant » [3]. L’affection des auteurs bibliques pour les formules parallèles trouverait donc sa source dans la tradition orale qui a précédé le texte écrit.

Tout récitatif biblique sollicite en dialogue le côté droit et le côté gauche du corps, même en l’absence des motifs répétitifs décrits dans le tableau qui précède. Cependant, cette conversation corporelle se sent avec plus d’intensité en leur présence. Cela se voit très bien dans le récitatif Voix de mon bien-aimé, dont voici un court extrait :

Voix de mon bien-aimé,
 Le voici, il vient

Franchissant les montagnes [geste à droite],           //
bondissant sur les collines [geste à gauche].
Mon bien-aimé ressemble,

À une gazelle  [geste à droite], //                
à un jeune faon… [geste à gauche] […].

Ici, la répétition permet aux images de se répondre l’une l’autre et de nous entraîner dans leur valse. La puissance poétique du texte est amplifiée et c’est dans notre propre corps que résonnent ses échos, pour notre plus grand bonheur.

Les trois autres lois du style oral seront abordées dans le prochain article.

Anne-Marie Chapleau est bibliste et récitante. Elle est professeure à Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi.

[1] Gabrielle Baron, Introduction au style oral de l’évangile d’après les travaux de Marcel Jousse, Paris, Le Centurion, 1982, p. 8.   
[2] Ibid. p. 10.
[3] Idem.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.

Le parallélisme biblique ou l’art de répéter

Les auteurs bibliques aiment exprimer une idée unique par l’emploi de termes ou d’expressions équivalentes ou parallèles. Ce procédé peut s’opérer à des échelles plus ou moins grandes : au niveau de mots, de phrases ou d’ensembles plus grands. 

Deux mots parallèles. Techniquement, on appelle « hendiadys » le procédé qui exprime une idée unique par deux termes, le plus souvent des synonymes, reliés entre eux par une conjonction de coordination (et), par exemple : « la terre et le monde ». Même si ces réalités ne sont pas identiques, elles renvoient toutes deux à des espaces globaux.

Deux phrases parallèles. Deux phrases peuvent être répétées à l’identique, ou avec quelques variations, à une distance plus ou moins grandes l’une de l’autre. Voici un exemple assez clair : Qu’ils aient honte et rougissent, les gens cherchant ma gorge,
Qu’ils reculent et soient déshonorés, les gens se plaisant à mon malheur (Ps 40,15).

Deux sections parallèles. Ici, la répétition touche un passage plus étendu.