(photo : marceljousse.com)

Trois autres lois pour ancrer la Parole dans le corps

AuteurAnne-Marie Chapleau | 20 mai 2019

L’article précédent publié dans cette chronique présentait la première des « lois du style oral » : le « bilatéralisme humain ». Cet article-ci enchaîne avec les trois autres lois.

Deuxième loi : les gestes expressifs du mimisme

Une vieille tante missionnaire en Afrique me disait comment elle s’était amusée de voir les singes imiter les sœurs en mettant leur queue sur leur bras comme elles-mêmes le faisaient avec leur manteau. Mais il reste, comme Aristote lui-même l’avait observé, que l’être humain est « le plus mimeur de tous les animaux [1] ». Il ne se limite pas à « mimer » ses semblables; il reprend également « toutes les actions des êtres vivants qui l’entourent, et même les attitudes des êtres inanimés [2] ».  « L’Anthropos (l’humain), c’est le microcosme qui « réfléchit en miroir et en écho, le macrocosme [3] ». Le monde tout entier est donc concentré dans les gestes humains. Cette propension humaine à mimer s’appelle, vous l’aurez deviné, le mimisme.

En tradition orale, le balancement du corps appuie l’imprégnation du corps par la parole. Mais ce n’est pas lui qui porte le sens, mais bien les gestes. On reconnaît trois types de gestes signifiants qui sont d’ailleurs combinés dans les récitatifs [4] :

  • Les gestes expressifs. Ils traduisent des sentiments. Dans les récitatifs, ils s’intègrent à la supplication, à l’invocation, à la condamnation, etc.
  • Les gestes à signification globale (ou gestes signifiants). Comme langage gestuel global, ils portent en eux-mêmes un sens (par exemple, le salut militaire). Comme gestes signifiants, dans les récitatifs, on relève les salutations, les prosternations.
  • Le langage (geste laryngo-buccal). La contraction des muscles laryngo-buccaux permet une expression sous forme de paroles. Dans le récitatif, la parole est portée par une mélodie rythmée.

De cette présentation un peu technique, il importe de retenir que le récitatif est une expression globale de la Parole. Les gestes du récitatif ne sont pas choisis au hasard ni ajoutés arbitrairement à l’expression orale. Ils visent autant à s’accorder aux sentiments humains qu’à exprimer la culture biblique.

Troisième loi : le formulisme

Les formules stéréotypées qui mettent en jeu des répétitions de mots et de tournures de phrases favorisent la mémorisation. Pour les peuples de tradition orale, ces formules verbales deviennent traditionnelles, à force d’être répétées et utilisées. Elles sont imbriquées dans leurs discours et les aident à le charpenter, ce qui leur permet de réciter de très longs textes par cœur [5]. Le récitatif misera donc lui aussi sur la répétition de formules stéréotypées. Un exemple?  Dans les évangiles, on ne compte plus le nombre de fois où on indique, à propos de Jésus :  « prenant la parole, il dit » ou « répondant, il dit ».

Il ne faudrait pas conclure que l’emploi de formules toutes faites appauvrit le discours. Mme Baron [6] compare ces formules aux couleurs de la palette d’un peintre; celui-ci peut les combiner à sa guise pour exprimer une vaste gamme d’émotions.

Quatrième loi : le rythmo-mélodisme

Chez les peuples de tradition orale, le récit ou le texte à communiquer n’est pas simplement « parlé », il est en quelque sorte « chanté » sur une mélodie au rythme particulier. Dans les récitatifs, on parle d’une « mélodie rythmée ». Le rythme et la mélodie s’unissent aux autres éléments déjà mentionnés (balancement, geste, formule) pour aider à mémoriser ce qu’on veut réciter. Jousse note que la mélodie et le rythme choisis doivent être adaptés à la langue de la récitation. La sonorité et le rythme du français sont différents de ceux de l’araméen. Il faut en tenir compte. Le rythmo-mélodisme facilite la mise en mémoire (emmagasinage des récitatifs dans la mémoire) et la remémoration (extraction des récitatifs de la mémoire). « Le rythme mène la mémoire. [...] La mélodie est suscitée par les gestes et les paroles [7] ».  Il y aura donc des différences entre, par exemple, les parties narratives d’un récit, et la reprise des paroles de Jésus ou celles d’un prophète. Tout est fait, dans la Bible et dans les évangiles, pour faciliter la transmission de bouche à oreille.

En consultant le calendrier des activités offertes par l’ACRB, vous trouverez des bouches prêtes à transmettre la Parole. Avez-vous une oreille à leur offrir?

Anne-Marie Chapleau est bibliste et récitante. Elle est professeure à Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi.

[1] Marcel Jousse, L’anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1969, p. 15.  
[2] Gabrielle Baron, « Note au lecteur » dans Marcel Jousse, Le Parlant, la Parole et le Souffle : l’anthropologie du geste III, Paris, Gallimard, 1978 p. 7.
[3] Marcel Jousse, L’anthropologie du geste… p. 15.
[4] Gabrielle Baron, Introduction au style oral de l’évangile d’après les travaux de Marcel Jousse, Paris, Le Centurion, 1982, p. 11.   
[5] Gabrielle Baron, Introduction au style oral… p. 14-15.
[6] Idem  p. 15.
[7] Idem p. 17.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.