L’évangéliste Luc (détail). Andrei Minorov, 2015. Huile sur toile, 80 x 70 cm (Wikipedia).

Luc en chantier

AuteurPropos recueillis par Hélène Boudreau | 17 juin 2019

Depuis plus de vingt-cinq ans, Mme Louise Bisson a privilégié l’Évangile selon saint Luc lors de la création de nouveaux récitatifs. Ce choix se justifie par la sensibilité de l’évangéliste Luc qui rejoint de multiples façons la vie de la communauté récitante. Le texte qui suit est basé sur les notes prises par Hélène Boudreau lors de la conférence prononcée par Mme Louise Bisson le 27 juin 2018 dans le cadre du ressourcement annuel de l’ACRB et du 40e anniversaire de l’arrivée du récitatif biblique au Canada. Trois aspects particuliers de cet Évangile seront développés ci-dessous.

1. La place des femmes

Tout d’abord, dans le choix de ses personnages, Luc fait place à des femmes. Les versets 4-7 du chapitre 15 présente un homme qui part à la recherche de sa brebis perdue et les versets suivants 8-10 présentent une femme ayant perdu et retrouvé une drachme. À divers endroits dans l’Évangile de Luc, un passage mettant en vedette un ou des personnages masculins a un écho dans un texte qui présente une ou plusieurs femmes.

Le lien avec le vécu corporel, si important dans notre vie récitante, se fait évident dans un passage comme celui de la Visitation (Lc 1,39-45). Mme Louise Bisson explicitera davantage ce thème dans une publication à venir.

C’est par des figures féminines, comme par exemple dans la péricope de la femme courbée (Lc 13,10-17) qu’on découvre une façon de cheminer, de grandir dans notre foi.

2. Faire route

Cette expression « faire route » (poreuômai) est typique de Luc. Elle revient plus souvent dans les écrits de Luc (Évangile et Actes des Apôtres) que dans tout le reste du Nouveau Testament.

« Faire route », c’est la façon d’être chrétien pour Luc. Cette expression prend un sens fort : aller vers, d’une façon déterminée. À partir du chapitre 9, Jésus fait route vers Jérusalem, vers sa mort. « Faire route » implique l’idée de cheminer intérieurement. Les déplacements extérieurs dans les textes de Luc renvoient à un cheminement intérieur vécu par les personnages et, par extension, par celles et ceux qui reçoivent cette Parole. Nous sommes invités à cheminer avec nos propres blessures.

Luc propose plusieurs façons de cheminer.

  • S’arrêter…. Jusqu’à ce que la vie débouche, nous restons dans ce qui fait mal : être dans une impasse, être sans chemin, sans possibilité d’avancer. Ainsi, en Luc 24,4 « et il advint pendant qu’elles étaient dans cette impasse », incapables de faire route, les femmes sont restées là, dans ce qui est inconfortable. Elles ne sont pas parties en courant, comme l’indique Marc (Mc 16,8).
  • Descendre… Avec Jésus, on est invité à descendre.  Alors que Matthieu situe Jésus sur la montagne pour prononcer le discours des Béatitudes (Mt 5,1), Luc le fait descendre sur un plateau pour guérir et enseigner (Lc 6,17).
    Dans le texte de guérison du paralytique, il est dit : « ils le descendirent, avec sa civière, au milieu, devant Jésus ». (Lc 5,19) Ici, Luc invite à descendre au milieu de ce que nous sommes, pas à côté, ou en dehors, mais bien au centre de soi.
  • Voyons un troisième exemple. « Avance vers la profondeur et laissez descendre vos filets pour la pêche. » (Lc 5,4) Dans cette phrase, le premier verbe est au singulier et le second au pluriel. C’est une invitation non pas à aller plus loin, mais à faire route en profondeur. En descendant en moi-même, en creusant, je peux rejoindre les gens sur leur chemin. Quand j’entends l’autre parler de son expérience, ça me fait toucher la mienne. Le lien communautaire se tisse parce que chaque personne creuse et approfondit, comme la Parole nous invite à le faire. « Il a creusé, approfondi. » (Lc 6,47)

3. Le souffle de l’Esprit Saint

Luc est vraisemblablement un non-Juif de culture grecque. Pour lui, la relation avec le Christ ne se fait pas à partir de la Torah, mais par l’accès intérieur à la vie de l’Esprit, par l’expérience intime des choses, par la vie intérieure de la mémoire. Chaque personne peut expérimenter cela. Jésus ne peut être reconnu comme Acte et Parole de Dieu que dans la mesure où le chrétien se laisser guider par l’intérieur. Chez Luc, Jésus est inspiré, guidé par l’Esprit Saint. À leur tour, les chrétiens sont invités à se laisser guider eux aussi par l’Esprit. On peut penser par exemple à l’épisode du centurion romain Corneille (Ac 10) où l’Esprit inspire à la fois Corneille (Ac 10,3-6) et Pierre (Ac 10,9-16) pour favoriser la rencontre entre ces deux personnes. Dans la démarche de foi, un Juif devenu chrétien passe par Abraham pour aboutir à la résurrection de Jésus. Luc, s’adressant principalement à des non-Juifs, insiste sur l’expérience actuelle de l’Esprit Saint. Le mouvement intérieur dans la communauté chrétienne a comme source l’Esprit, ce même Esprit qui a animé Jésus. La Vie est donnée dans l’Esprit, à l’époque des premiers destinataires de l’évangile de Luc et encore aujourd’hui.

Dans le contexte de rupture religieuse de notre société occidentale, Luc nous paraît être le plus pertinent des évangélistes. La pratique de la Loi et le respect des règles religieuses, si importants en Matthieu pour cheminer dans la foi, laisse place chez Luc à l’invitation de vivre à la façon de Jésus : voilà non pas ce que vous devez vivre, mais regardez ce que vous vivez, allez jusqu’au bout de ce qui déjà vit en vous (Louise Bisson). Luc fait parler Jésus à partir du Souffle intime de Dieu. À la lecture de son évangile, nous sommes témoins de Jésus qui vibre intérieurement en Dieu. Avec Luc, nous sommes invités à vivre de l’Esprit du Christ. Le troisième Évangile fait appel à l’expérience intime de chacun pour faire route avec le Christ.

Tous ces éléments propres à l’Évangile de Luc soit la place faite aux femmes, les nombreux « faire route » et la présence du Souffle Saint, permettent à la communauté récitante d’enrichir et d’approfondir son cheminement de foi.

Hélène Pinard et Hélène Boudreau sont transmetteures pour l’Association canadienne du récitatif biblique.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.