Une page de la bible en hébreu (photo : ACRB)

Création du psaume 138 (137) en récitatif

Hélène Pinard Hélène BoudreauHélène Pinard et Hélène Boudreau | 12 septembre 2022

Le travail de création du psaume 138 (137) s’est étendu sur quelques saisons. De fait, pendant plusieurs années, une récitante a porté ce psaume au fil de la Liturgie des Heures, dans ses moments de prière personnelle et de silence. Le temps était venu de l’offrir à la communauté récitative.

Consultation de différentes traductions

La création d’un récitatif implique l’étude approfondie à partir du texte biblique en hébreu ou en grec ainsi que la consultation de différentes traductions. Pour le psaume 138 (137), les traductions consultées ont été : AELF, TOB, Bible de Jérusalem, Bible Bayard/Médiaspaul, Chouraqui et Léopold Sabourin.

Pour chacun des versets, nous avons pris le temps d’examiner les choix des traductions, d’écouter comment les mots résonnaient en nous, comment ils résonnaient entre eux. La comparaison des traductions a fait ressortir des différences importantes. Cette découverte a amené l’étude du texte dans la version en hébreu et dans la version en grec.

Choix de mots pour le récitatif biblique

La version grecque ajoute, dès le début, la raison de la louange : « car tu as entendu les paroles de ma bouche » que certaines traductions ont omise. Comme le psaume émane d’une tradition orale hébraïque, nous avons choisi de suivre le texte en hébreu qui ne contient pas cette insertion.

Le premier verset comportait beaucoup d’ambiguïtés. Dès le départ, le verbe « hodah » a été sujet de réflexion. Dans plusieurs traductions, ce mot est traduit par « rendre grâce », « remercier ». Pour le peuple hébreu, la reconnaissance ne peut être exprimée que de façon indirecte. « Dans ce cas, si on veut rester fidèle à l’esprit de l’hébreu, il faut conserver aux trois verbes “bahar” “halal” et “hodah” leur valeur propre “bénir”, “louer”, “célébrer” et ne pas employer “remercier”, “rendre grâce” dont nous usons, nous, en semblables circonstances. [1]».

Ensuite le travail s’est porté sur la traduction du mot « Elohim » : des traducteurs ont écrit « les anges », d’autres « les dieux » ou même « les rois ». Tous ces termes évoquent la présence de Dieu, présence qui ne se dit pas facilement dans nos mots. Les choix possibles ont été portés longuement, pour retenir « Dieu, en ta présence » [2]. L’expression pourrait se rapporter autant au début du verset : je te célèbre de tout mon cœur, Dieu... Mais aussi à ce qui suit : Dieu en ta présence je psalmodie pour toi… C’est une structure que l’on retrouve dans quelques textes poétiques.

On a voulu faire ressortir cet élément dans le récitatif. Au moment de mettre en musique ce passage, le mot « Dieu » a été mis en évidence de façon musicale, à la fois au niveau mélodique en utilisant la note la plus haute de l’ambitus [3] et au niveau rythmique, en prolongeant la durée de cette note.

La deuxième ligne du verset 3 a aussi apporté son lot de travail pour la formulation : le récitatif permet d’opter pour une répétition d’un mot. Cela a pour effet de souligner son importance comme le fait l’hébreu et explique la création de l’expression : « Tu fortifies en mon âme la force. »

Le verset 8a est un autre exemple d’un choix de mots. La version liturgique plus utilisée : « Le Seigneur fait tout pour moi », a été écartée au profit de la traduction : « Le Seigneur va jusqu’au bout pour moi [4] ». Cette formulation moins connue souligne davantage l’importance de l’accompagnement du Seigneur qui marche avec nous sur nos chemins, jusqu’où nous voulons aller.

Les gestes comme complément de sens aux mots

Il arrive que le choix de mots en français n’offre pas la plénitude du sens des mots en hébreu. Alors, le geste associé au mot vient suggérer un complément de sens.

« Je célèbre ton Nom pour ta Bonté et ta Vérité. » (v. 3) Le mot « bonté » a été retenu, en lieu et place de « amour ». « Bonté » et « Amour » sont deux traductions possibles, parmi bien d’autres, pour le mot hébreu « Hesed » [5]. La nuance apportée par « bonté » c’est l’agir. La bonté, c’est l’amour qui agit. À noter que « amour et vérité » ou encore « bonté et vérité » sont souvent associées dans les psaumes ainsi qu’à différents endroits de l’Ancien Testament. Ces deux termes combinés font référence à l’Alliance offerte par le Seigneur à son peuple. Pour rendre cet élément d’alliance plus perceptible, nous avons créé un geste qui se termine par les deux mains « s’embrassant » l’une l’autre.

Un autre mot qui contient différents sens est le mot « gloire » que l’on retrouve dans le verset 5 : « car grande est la gloire du Seigneur ». Gloire traduit le mot « kabod » en hébreu, mot qui veut parler du poids, d’où découle l’idée d’importance de quelqu’un. En récitatif, deux gestes sont utilisés pour exprimer cette importance, ce poids. Un premier rappelle l’étendue de la poussière soulevée par la caravane : les deux bras élevés dans les airs. Le deuxième geste suggère la densité de la présence de Dieu et sa relation dans la vie d’une personne, dans le peuple de l’Alliance et même avec « tous les rois de la terre » comme dans le psaume. Le geste veut donc souligner l’importance qu’a cette relation privilégiée : une main se déplace de haut en bas dans une descente progressive portant la densité de la relation et vient se déposer dans l’autre qui l’attend au niveau de l’abdomen.

Adoption intérieure du texte du récitatif

Le choc entre la traduction finale du Psaume 138 mis en récitatif et celle proposée dans la Liturgie des Heures a mis du temps à faire son chemin dans la vie et au cœur de la personne qui l’a longtemps prié sous cette dernière version. Après avoir accepté le déplacement provoqué par la traduction du récitatif biblique, de nouveaux liens se sont présentés dans le quotidien, une expérience différente de l’action du Seigneur agissant en relation avec elle l’a confortée dans du vécu plus ancien ou plus récent. Oui, « le Seigneur va jusqu’au bout », selon la fidélité à son Alliance, dans les moments les plus savoureux comme dans les temps d’épreuve : Oui, « je te célèbre de tout mon cœur, Dieu en ta présence. Le jour où j’ai appelé tu m’as répondu, tu fortifies en mon âme la force ».

Hélène Pinard, FCSCJ, est bibliste et transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique. Hélène Boudreau est aussi transmetteure de l’Association.

[1] Paul Joüon, « Reconnaissance et remerciement en hébreu biblique », Biblica 4/4 (1923) 382.
[2] De fait, le mot Elohim, même s’il a la forme du pluriel,est souvent traduit par Dieu. On pourrait traduire devant (נֶגֶד ) les dieux (Bayard).
[3] L’ambitus, c’est l’étendue d’une mélodie, de la note la plus grave à la note la plus aiguë.
[4] YHVH va jusqu’au bout pour moi (trad : Bayard).
[5] Pour approfondir ce terme : voir le Glossaire 1 de la Bible Bayard/Médiaspaul au mot Hésed.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.