(photo © J. Dye, Académie autrichienne des sciences)

Lakish et l’évolution de l’alphabet

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 10 octobre 2022

On a découvert, sur un tesson de poterie, un court texte qui vient combler notre compréhension de l’évolution de l’alphabet au Levant. Le texte figure sur la face intérieure d’un morceau de poterie chypriote et a été découvert en 2018 sur le site de l’ancienne Lakish, dans le sud d’Israël.

Selon les chercheurs qui ont étudié l’artefact [1], le tesson date du 15e siècle avant notre ère, soit au début de l’âge du Bronze ancien. On pensait jusqu’ici que l’écriture alphabétique dans la région n’était apparue qu’au 13e siècle avant notre ère. La découverte est donc importante et représente, pour les chercheurs, un chaînon manquant permettant de mieux comprendre la propagation de l’écriture alphabétique. Et cette découverte est majeure parce que l’inscription est « actuellement le plus ancien exemple daté de manière sûre d’écriture alphabétique précoce dans le Levant méridional ».

L’évolution de l’alphabet

Le plus ancien système d’écriture alphabétique que l’on connaît dans la région est l’écriture proto-sinaïtique qui remonte environ à 1700 avant notre ère. Une inscription a été trouvée à Sérabit El-Khadim (au sud-ouest du Sinaï), sur un sphinx, dans un temple dédié à la déesse Hathor. Il est probable que « cette première forme d’alphabet aurait été mise au point par des sémites bilingues connaissant bien l’écriture égyptienne ». [2] Il s’agit d’un alphabet pictographique qui s’inspire des signes égyptiens (hiéroglyphes).

Il faut ensuite attendre le 13e siècle avant notre ère pour voir apparaître un autre système alphabétique au Levant. C’est à Ougarit, un carrefour commercial de la côte syrienne, que cette écriture est développée. Ce système utilise toutefois les signes cunéiformes mais il s’agit bien d’une écriture alphabétique. Cette forme d’écriture simplifiée et adaptée à la langue locale (l’ougaritique) se retrouve sur le quart des tablettes exhumés dans cette cité antique. Elle est surtout utilisée pour les textes cultuels et administratifs alors que l’écriture cunéiforme traditionnelle est préférée pour la correspondance internationale.

Entre ces deux systèmes, il y a un fossé de plusieurs siècles et le tesson de Lakish vient s’insérer dans cet espace car il date de 1450 environ selon les résultats de la datation au radiocarbone.

Le tesson de Lakish

L’alphabet du tesson de Lakish ressemble à l’écriture proto-sinaïtique. La forme de plusieurs lettres dérive clairement de la première lettre de mots égyptiens. Par exemple, la première lettre de l’inscription est un cayin et sa forme évoque le mot « œil », comme dans les hiéroglyphes, mais sans le point central (la pupille).

Les chercheurs distinguent deux lignes dans cette courte inscription. Chacune des lignes est composée de trois lettres qui sont facilement identifiables. Le premier mot (cbd) correspond au terme hébreu qui désigne un esclave ; il était probablement suivi du nom d’une divinité et désignait une personne (un nom théophore). Le deuxième mot (npt) est composé avec les consonnes du mot nophet en hébreu qui se traduit par miel ou nectar. Mais le texte est trop partiel pour être reconstitué.

L’intérêt principal de cette découverte est de constater que l’écriture alphabétique existait à Lakish au milieu du 15e siècle, bien avant la domination égyptienne dans la région. Les chercheurs pensent qu’on doit aux Hyksos la propagation de ce système d’écriture dans les cités-États du Levant. Rappelons que cette dynastie, originaire d’Asie occidentale, a régné pendant plus d’un siècle dans le Nord de l’Égypte jusqu’en 1550 avant notre ère.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

[1] Felix Höflmayer, Haggai Misgav, Lyndelle Webster et Katharina Streit, « Early Alphabetic Writing in the Ancient Near East: The ‘Missing Link’ from Tel Lachich », Antiquity 95 (2021) 705-719.
[2] Maryannick Le Cohu, « Le long chemin de l’alphabet », Les cahiers Sciences & Vie (Hors-série), 2013, p. 127.

Archéologie

Archéologie

Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

tablette

La révolution de l’alphabet

« L’alphabet, tel qu’il a vu le jour dans les régions orientales de la Méditerranée, recourt à une trentaine de signes quand une écriture contemporaine prédominante, le cunéiforme akkadien, en nécessite plusieurs centaines. Cette simple comparaison laisse entrevoir quelle révolution fut l’invention de l’alphabet. Encore faut-il préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’une amélioration quantitative mais d’un véritable changement de nature : ce système purement phonétique, où chaque signe représente un son, se caractérise par une souplesse inédite. Il peut noter n’importe quelle langue. Il permet également, grâce à la simplicité de son principe, d’être facilement transmis et appris. Nul besoin désormais d’être un initié pour savoir écrire. »

Maryannick Le Cohu, « Le long chemin de l’alphabet », Les cahiers Sciences & Vie (Hors-série), 2013, p. 126.

Image : Le Cycle de Baal, l’un des textes les plus célèbres trouvés à Ougarit. Tablette conservée au musée du Louvre (Wikipédia).