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Comprendre la Bible
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chronique du 31 janvier 2003

 

Dieu impose-t-il sa volonté à l'homme?
  

QuestionQuand Dieu demande à Moise d'aller délivrer son peuple en Égypte, Il dit : « J'endurcirai le coeur de pharaon ». Je trouve que cela n'est pas juste. S'il n'avait pas endurci le coeur de pharaon, ce dernier aurait peut-être laissé le peuple hébreu partir en paix! Qu'en pensez-vous? Jean-Jacques Fernandez (Cochrane, Alberta)

RéponseVous faites allusion aux versets suivants du livre de l'Exode : 4,21; 7,3.13.22; 8,15; 9,12.35; 10,20.27; 11,10; 14,4.8.17. On retrouve le même thème dans d'autres passages bibliques dans lesquels ce n'est pas toujours Dieu qui endurcit; Dt 2,30; Jos 11,20; 1 S 6,6; Is 63,17; 2 Ch 36,13; Ps 81,13; 95,8; Pr 28,14; Lm 3,65; Za 7,11; et même dans le Nouveau Testament : Mc 3,5; Jn 12,40; Ac 19,9; Rm 9,18; 11,7.25; He 3,8.15; 4,7.

     Le fond du problème, c'est la fameuse question de la nature et de la grâce. C'est là une question tellement complexe, qui a été tellement débattue au cours des siècles (les Pères de l'Église l'ont longuement discutée), que l'on peut presque affirmer que c'est un mystère. En d'autres termes, quelle est la part de la liberté ou de la volonté humaine, quelle est la part de la grâce ou de la volonté de Dieu? Dans quelle mesure l'homme est-il autonome, dans quelle mesure Dieu impose-t-il sa volonté? On ne se tromperait guère en affirmant qu'on n'apportera jamais de réponse entièrement satisfaisante à cette question, qu'il ne le faut sans doute même pas...

     Dans ces circonstances, comment voulez-vous que les textes bibliques s'en tirent mieux? Pour bien comprendre la Bible, il faut bien se garder de considérer ses textes comme une dictée de Dieu, qui aurait ouvert le ciel pour parler aux hommes. Si c'était le cas, les textes bibliques seraient beaucoup plus simples, la doctrine beaucoup plus unifiée. Ce que nous lisons dans notre Bible, c'est bien plutôt une espèce de compte rendu des expériences de Dieu faites par la communauté d'Israël au long des siècles, des diverses tentatives de l'homme pour comprendre son monde, son Dieu et lui-même. Ces expériences ont produit divers textes très anciens et d'autres plus récents. La psychologie n'était pas inventée, ni la sociologie, ni l'anthropologie, ni toutes ces façons que nous avons aujourd'hui de comprendre et d'étudier la complexité de l'humain. On ne trouve pas dans la Bible les distinctions que la théologie a faites plus tard entre ce que Dieu « permet » et ce qu'il « veut », entre « liberté » et « grâce ». À cette époque, tout ce qui se faisait était volonté des dieux : une tempête, un tremblement de terre, une épidémie, une guerre, etc. Quand un roi l'emportait sur un autre roi, c'est que son dieu était plus fort que le dieu du perdant; quand une épidémie frappait un peuple, c'est que son roi avait commis un péché, etc. Il faut se mettre à la place des hommes des siècles passés qui cherchaient un sens à ce qui n'en avait pas toujours. Une solution qu'ils avaient apportée (pas bête du tout si on se met à leur place), c'est qu'il y avait une multiplicité de dieux bien capricieux qui luttaient entre eux; tantôt l'un l'emportait, tantôt c'était l'autre. Si vous lisez bien l'Ancien Testament (et même des textes du Nouveau Testament), vous verrez bien que toute la Bible participe de cette façon de voir, même si l'on croyait en un seul Dieu. La liberté humaine ou l'autonomie du monde y sont à peine soulignées. Concrètement, les auteurs bibliques se trouvaient devant le problème de ceux qui refusent Dieu et son appel. Pourquoi le pharaon a-t-il refusé les appels de Dieu? Pourquoi Israël a-t-il été si souvent infidèle à l'Alliance? Pourquoi le peuple juif a-t-il refusé Jésus, le messie tant attendu? Si vous relisez les passages qui parlent de l'endurcissement, vous verrez qu'ils essaient de répondre à ces trois questions.

     Les textes du livre de l'Exode, qui nous intéressent ici, datent d'au moins cinq cents ans avant Jésus-Christ (ils peuvent être encore plus anciens). Dans les textes sur l'endurcissement du pharaon, il semble que l'explication se trouve dans le processus littéraire. Historiquement (dans la mesure, évidemment, où l'on arrive à cerner à travers les textes la façon dont les événements se seraient passés), le pharaon a refusé de laisser partir ses esclaves hébreux qui lui rapportaient tant. Ainsi, quand le texte dit que Dieu endurcit le coeur du pharaon, il s'agit là de l'interprétation d'une réalité. Le croyant tente de comprendre ce qui s'est passé et pourquoi tout s'est passé ainsi. Avec les lumières de sa raison et de sa foi, il en arrive à cette conclusion. Pour le croyant de l'époque, si le pharaon refusait, c'est parce que la divinité le voulait. Il y aurait donc autant de littérature (ou d'histoire) que de théologie dans ces affirmations. Il faut noter, toutefois, que les versets sur le pharaon ne disent pas tous exactement la même chose; à côté de ceux qui disent explicitement que c'est Dieu qui endurcit le pharaon (cf. Ex 4,21; 7,3; 9,12; 10,1, etc.), il y en a d'autres qui disent que « le coeur du pharaon s'endurcit » (cf. Ex 7,13.22; 8,15; 9,35), qu'il s'appesantit (9,7) ou qu'il s'entête (13,15). Ces deux façons de voir se trouvent l'une à côté de l'autre dans les textes, sans que l'une paraisse corriger l'autre ou puisse être attribuée à une autre époque. Ex 8,15 et 9,12 sont exactement pareils; dans un cas le sujet de la phrase est Dieu, dans l'autre, c'est le pharaon lui-même! Ce que les textes soulignent, c'est la puissance de Dieu, c'est que Dieu mène son projet à terme, c'est que Dieu accomplit sa volonté malgré les obstacles. En effet, plusieurs versets qui affirment que Dieu endurcit le pharaon ajoutent aussitôt que Dieu multipliera les signes et les prodiges pour le convaincre.

     Mais cela dit, les textes nous font quand même toucher des questions graves. Ainsi, on lit en Is 6,9-10 : « Va, et dis à ce peuple : Écoutez, mais sans comprendre; regardez, mais sans voir. Appesantis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri ». Ce texte n'est pas du tout éliminé par le Nouveau Testament puisque Jésus le reprend en Mt 13,13-15 et saint Paul en Ac 28,25-26. Saint Paul encore a repris la question en Rm 9,18 en affirmant : « Dieu fait miséricorde à qui il veut et il endurcit qui il veut », mais il suggère la solution dans Rm 2,5 en dénonçant la dureté du coeur impénitent, qui méprise les trésors infinis de la bonté divine. « Par ton endurcissement, par ton coeur impénitent, tu amasses contre toi un trésor de colère pour le jour de la colère ». Dieu est libre de sanctionner celui qui refuse obstinément sa lumière et sa miséricorde. La dureté de coeur du pharaon est volontaire; elle l'a aveuglé, l'empêchant de se rendre aux signes divins prodigieux accomplis par Moïse. Dieu s'est servi de cette obstination pour libérer son peuple.

     Il faut donc voir l'idée qui se cache sous la formulation ou sous les mots employés. Si on considère bien le contexte des passages, il semble bien qu'endurcir signifie porter un jugement sur un état de péché, de fermeture à Dieu. Dieu ne veut pas l'endurcissement, il ne le provoque pas; Dieu sanctionne seulement le péché dont le responsable ne se repent pas. Quand Dieu « endurcit » un pécheur, il n'est pas la source, mais le juge du péché. L'endurcissement caractérise l'état de qui refuse de se convertir à Dieu et demeure séparé de lui. L'endurcissement peut aussi signifier que, quand l'homme est sans la grâce de Dieu, il est laissé à lui-même et le péché produit pleinement son fruit de mort. L'important, c'est que, du mal, Dieu fasse sortir un plus grand bien. Comme le pharaon endurci a servi à faire éclater la puissance du Dieu sauveur, de même Israël endurci a permis l'entrée des nations païennes dans l'Église (cf. Rm 9). Enfin, l'endurcissement de l'homme est un témoignage de la patience de Dieu dans l'accomplissement de son projet.

     Un dernier point mérite d'être traité. Le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas encore le Dieu du Nouveau Testament, Père de tous les hommes. Dans l'Ancien Testament, Dieu est le partenaire d'Alliance d'Israël, peuple choisi. Ce peuple est entouré de multiples autres peuples qui adorent des quantités d'autres dieux, et qui ont constamment menacé Israël, soit religieusement, soit politiquement. On comprend donc une certaine réaction contre eux (voir la section des « oracles contre les nations » dans tous les livres prophétiques). En conséquence, on rencontre souvent dans l'Ancien Testament le Dieu qui fait du mal aux ennemis d'Israël. Dans le livre de l'Exode, c'est la même chose. Les Égyptiens sont des païens; ils ne sont pas membres du peuple choisis; c'est pourquoi il y a toujours une claire distinction entre Israël et les Égyptiens, dans les plaies d'Égypte par exemple (cf. Ex 7,8-10,29). Dieu montrera son vrai visage de Père seulement avec la Nouvelle Alliance.

Hervé Tremblay, OP
Professeur au Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa)

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