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Comprendre la Bible
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chronique du 19 septembre 2003
 

Simon de Cyrène

PAR JEAN-PAUL MICHAUD

| Introduction | Simon de Cyrène | Barabbas |
 

Est-il un personnage historique? Certains l'ont contesté, en prétendant que Simon avait été « inventé » pour donner une dimension dramatique, théâtrale, à l'appel de Jésus: « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix et qu'il me suive » (Mc 8, 34 et paral.). Ce qui vaut particulièrement pour le récit de Luc. Au récit de Marc: « ils réquisitionnèrent un passant (...) pour porter sa croix » (Mc 15, 21), Luc ajoute en effet: « pour la porter derrière lui » (Lc 23, 26).
 

Duccio

Le chemin du Calvaire
peinture sur bois
1308-1311
Duccio di Buoninsegna
Museo dell'Opera del Duomo, Sienne

     Cette dimension symbolique peut être retenue, sans qu'il faille rejeter toute historicité. Si le récit avait été inventé pour faire de Simon le parfait disciple de Jésus, on n'aurait pas eu besoin de le « forcer » à porter la croix. Plaident d'ailleurs en faveur de l'historicité, le fait qu'il existait une colonie juive à Cyrène, capitale de la Cyrénaïque, dans la région de Lybie, depuis Ptolémée I d'Égypte (-367 à - 283), selon l'historien Josèphe; le fait qu'il y avait une synagogue de Cyrénéens à Jérusalem (Ac 6,9); qu'il existait aussi des chrétiens originaires de Cyrène (Ac 11,20 et le Lucius de Cyrène d'Ac 13,1). Il est donc tout à fait plausible qu'il y ait eu un Juif de Cyrène, nommé Simon, à Jérusalem, au temps de la mort de Jésus et qu'il ait pu devenir chrétien.

     Ce « passant » venait « d'un champ » (Mc et Lc). Y travaillait-il? Etait-il paysan ou ouvrier agricole? Ce n'est pas dit expressément et selon certains commentateurs (voir S. Légasse, L'évangile de Marc, Paris, Cerf, 1997, p. 959, n. 3) l'expression grecque « ap'agrou : d'un champ » pouvait évoquer simplement l'extérieur de la ville: un passant qui ne venait pas de la ville, mais entrait en ville.

     Était-il pourtant vraiment Juif? Simon est un nom grec, même s'il est souvent l'équivalent du nom juif Siméon; en plus, le nom d'un de ses fils est grec, Alexandre, alors que l'autre est romain, Rufus. Juif, sans doute, mais bien hellénisé! Mais pourquoi la mention de ces deux fils, dont il n'est rien dit par ailleurs? Ton bon analyste verra là un clin d'oeil que fait l'auteur du récit à ses lecteurs. Dans l'hypothèse où Marc aurait écrit pour des gens vivant à Rome, certains identifieraient Rufus, le fils de Simon, avec le seul autre Rufus du Nouveau Testament, celui de Rm 16,13, un proche de Paul: « Saluez Rufus, l'élu du Seigneur et sa mère, qui est aussi la mienne ». Par contre, les « Alexandre » que mentionne le Nouveau Testament désignent ou bien des adversaires des premiers chrétiens (Ac 4,6) ou de Paul lui-même (1 Tm 1,20; 2 Tm 4,14), ou bien un personnage ambigu (Ac 19,33, deux fois).

     Il vaut la peine de noter que l'évangéliste Jean ne parle pas de ce Simon et, qu'en 19,17a, il dit même, comme s'il s'opposait à quelque tradition: « Portant lui-même sa croix, Jésus sortit... ». Comme si Jean connaissait la tradition de Simon, mais sans la prendre à son compte. Dans l'évangile de Jean, en effet, Jésus n'a pas besoin d'aide. En 10, 18, il avait dit: « Ma vie, personne ne me l'enlève, je la dépose moi-même »; à son arrestation (18, 5-6), il avait suffi qu'il dise: « C'est moi » et tous les gardes étaient tombés à la renverse; en 19, 11, il conteste que Pilate puisse avoir quelque pouvoir personnel sur lui. Simon n'a pas de place dans la christologie de Jean. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas existé.

     Vers la fin du deuxième siècle, circulait aussi dans le monde gnostique, selon saint Irénée (Contre les hérésies, 1.24.4), l'idée que Simon avait remplacé Jésus et que c'est lui et non Jésus (lequel n'ayant pas de corps véritable ne pouvait pas mourir) qui avait été crucifié. Il est tout à fait naturel que moins le Nouveau Testament fournit d'informations sur certaines figures et plus l'imagination se donne libre cours. Les deux fils de Simon réapparaissent dans quelques anciens écrits chrétiens, comme le texte copte de l'Assomption de la Vierge et les Actes de Pierre et d'André. Ils se trouvent chaque fois dans l'entourage de Pierre et d'André. Ils sont pêcheurs et non paysans et semblent faire partie des soixante-douze disciples dont Luc parle en 10,1. D'autres rattachent Simon à l'île de Chypre: c'est là que Paul l'aurait connu (Ac 13,4), lui et « la mère » de la famille que Paul salue en Rm 16,13. Comme Barnabé, qui était originaire de Chypre et « possédait un champ » (Ac 4, 36), Simon, originaire de Chypre, aurait aussi eu un champ en Judée. Belles hypothèses. Elles n'appartiennent pas à l'histoire.

 

Suite de l'article :
Barabbas 

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Qumrân : une secte et des manuscrits