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Comprendre la Bible
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chronique du 21 septembre 2007

 

Nommer les êtres et les chose

QuestionDepuis longtemps je galère sur la notion biblique du « nom », sur l’action de nommer bien plus que désigner. Mais le mot n’est pas la chose, alors comment concevoir la nomination des êtres ? Cette question embarrassait déjà mes professeurs qui donnaient une réponse poétique. Dans les ouvrages spécialisés, on se limite aux réponses convenues entourées d’un flou artistique. Alors, qu’est-ce que le nom, bibliquement parlant? Que contient-il? Quelle est sa nature profonde? (Michel)
 

Réponse
La querelle des universaux redivivus! Vous ne vous en rendez peut-être pas compte mais vous mettez le doigt dans une querelle célèbre du Moyen Âge, qu’on a appelée la « querelle des universaux », justement sur la relation entre une chose et son nom. Le « nominalisme » vient de là. Je vous copie quelques lignes trouvées sur internet : « Au cours du bas Moyen Âge, plus particulièrement aux XIVe et XVe siècles, les universaux furent l'enjeu d'une querelle demeurée célèbre. Les écoles s'opposaient sur la question de savoir si les universaux sont de pures conceptions de l'esprit, c'est-à-dire de simples concepts, ou s'ils sont des idées, assimilables à la conception platonicienne des Idées et ont à ce titre une existence propre. Cette opposition traverse de part en part l'histoire de la philosophie. Platon, idéaliste, et Aristote, réaliste, ont présenté des thèses opposées. Pour Platon, les Idées existent et sont même la seule réalité. Pour Aristote, l'observation de la nature (physis) et des réalités concrètes prime. Si la thèse platonicienne a longtemps été dominante, voire exclusive, elle fut remise en cause par le chanoine de Compiègne Roscelin, qui affirma que les universaux sont avant tout des abstractions, qui n'ont d'existence que dans l'esprit de celui qui les forme et au moyen des mots ou des noms dont on les désigne ; ce qui a donné son nom à cette thèse : le Nominalisme.

Au sujet du nominalisme

     Le problème qui lui donne naissance est celui de la nature des universaux dans les syllogismes d'Aristote (par exemple, dans : tous les hommes sont mortels, quelle est la nature de : homme ?). Les nominalistes rejettent la conception idéaliste platonicienne (nommée aussi réalisme dans la thèse : universalia sunt realia ante rem) selon laquelle ils ont une existence immanente a priori, et lui oppose que ces universaux sont définis essentiellement par leurs noms («nomina»). Autrement dit, les nominalistes n’accordent aucune universalité aux concepts mentaux en dehors de l’esprit qui les observe. En ce sens, les systèmes philosophiques d’Épicure, de Guillaume d'Occam, de George Berkeley, de John Stuart Mill, de David Hume peuvent être qualifiés de nominalistes du fait qu’ils n'attribuent pas d’universalité à des catégories transcendantes, mais simplement à ce qui est construit par l'observateur, comme le fait également l’analyse linguistique contemporaine. Pour eux, le particulier existe, et le général n'est qu'invention humaine établie pour notre commodité de réflexion. Paul Valéry fera remarquer bie n plus tard, dans le même esprit, que la nature ne connaît pas l'expression et cetera, et que celle-ci est propre à l'esprit humain, qui répugne à la répétiton. La classification automatique et le data mining enseigneront dans les années 1990 aux machines à construire l'équivalent de leurs propres universaux. Pierre Abélard tente une synthèse qui donne une importance primordiale au sujet par rapport à l'objet. Le tenant principal du « réalisme » contre le nominalisme est Guillaume de Champeaux. Bertrand Russell observe qu'aujourd'hui nous permuterions volontiers ces deux appellations, puisque les « réalistes » s'avèrent manier in fine surtout des mots, tandis que les « nominalistes » ne veulent les utiliser qu'en se référant au réel.

Nommer dans la Bible

     Du strict point de vue biblique, les perspectives sont différentes parce que la société était différente. Chez les sémites, il y a effectivement une relation entre le nom propre et une personne (cf. les circonstances du nom Gn 35,18). Les noms de choses sont plus imprécises. Le passage célèbre du nom de Dieu (Ex 3,14), même si on n’est pas vraiment certain du sens du nom révélé par Dieu, est évocateur. Le nom de Dieu est important dans les Psaumes (Ps 5,12 ; 7,18 ; 8,2 ; 9,3.11 ; 13,6). Dans le judaïsme tardif qui évite de nommer Dieu directement, « le nom (ha-shem) » en est venu à désigner Dieu lui-même.

     Quant à l’action de nommer ou changer de nom, on peut lire dans presque tous les dictionnaires ou théologies bibliques qu’il est un acte de domination. C’est certainement vrai dans certain cas. Ainsi quand un roi conquérant change le nom d’un roi conquis (2 R 24,17) c’est un signe d’autorité. Mais ce n’est pas toujours vrai. Dans la plupart des cas, le fait de donner un nom est plutôt un signe de reconnaissance. Certains passages qui en parlent peuvent compter comme les ancêtres de la science. Ainsi Gn 2,19-20 quand l’humain donne un nom à chaque animal c’est qu’il exerce son intelligence et reconnaît ce qu’il y a dans chaque animal. Est-ce que le geste signifie qu’il a autorité sur les animaux (venant de Gn 1,28) ? Peut-être, mais lorsqu’Adam change le nom d’Ève en 2,20 le texte dit bien que c’est parce qu’elle fut la « mère des vivants » et non pas qu’il s’agit d’un geste d’autorité.

Hervé Tremblay

Chronique précédente :
Cana et sa localisation