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Comprendre la Bible
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chronique du 6 mars 2009

 

La rédaction du Pentateuque

QuestionQui a écrit le Pentateuque? (Hippolyte)

RéponseD’abord une précision. Le Pentateuque est la version grecque de la Torah : « le livre de la loi de Moïse ». Il est le fruit de la rencontre du judaïsme et de l’hellénisme. Ce sont les Juifs d’Alexandrie qui, sous le règne du roi Ptolémée II (285-246 av. J.C.) désignaient ainsi les cinq premiers livres de la Bible : en grec penta signifie « cinq » et teukhos signifie « étui ». Le Pentateuque est donc à la Septante ce que la Torah est à la Bible hébraïque.

     Les traditions juive et chrétienne ont toujours cru que le Pentateuque (ou que la Torah) était l’ouvrage d’un seul homme : Moïse. Mais il est difficile de croire que Moïse ait pu lui-même décrire sa propre mort (Dt 34,5-12)!  L’hypothèse de l’existence d’autres auteurs ayant rédigé ce livre a donc été avancée. L’histoire rédactionnelle du Pentateuque est même, en exégèse, l’une des questions les plus discutées.

     Pour vous faire entrer dans l’intelligence de ce livre, j’introduirai ma réponse par une autre question : qu’est-ce que le Pentateuque, sinon un livre qui raconte l’histoire des origines d’un peuple? Or, la réception de cette histoire, si importante pour ce peuple, prend à des époques différentes, des accents différents selon les situations de vie de la communauté croyante qui s’y réfère. Ainsi, selon les circonstances historiques, la même histoire se trouve toujours à nouveau, réinterprétée. Au cours de cette activité de réécriture, de nouveaux angles seront introduits et développés, projetés même dans l’histoire ancienne pour permettre de comprendre le présent ou de justifier l’émergence de nouveaux rites qui se révèlent être essentiels à la foi telle que perçue et comprise à l’époque où ces écrits ont été rédigés.

     Le Pentateuque a donc des siècles d’histoire. C’est un livre qui a connu de constantes mutations. Il contient des traditions orales, dont certaines furent consignées et d’autres oubliées (on a, par exemple, oublié de mentionner d’anciens récits de guerre dont on parlait auparavant…). Ces traditions orales ne furent pas consignées en un seul jour. Elles le furent progressivement, à des endroits et des époques différentes par des gens différents : c’est ce qui explique l’existence de nombreuses couches rédactionnelles (que l’on peut percevoir par les répétitions, les inversions, les contradictions aussi, parfois). C’est ce qui explique également la présence de nombreuses variantes (car le texte que nous avons dans nos Bibles n’est qu’un texte parmi d’autres : le plus officiel, certes, mais pas le seul! N’oublions pas qu’il existe également le Pentateuque des Samaritains, qui est différent du nôtre... On situe généralement la rédaction finale de notre Pentateuque à l’époque perse (538-333 av. J.C.). Mais il fut, jusqu’à cette époque, continuellement remanié.

     Pour comprendre la raison d’être de l’ensemble de ces modifications, il faut savoir que les Anciens n’avaient pas la même conception de l’Écriture que nous. Ils n’avaient pas, d’abord, le sens de la propriété privée. Nous ne connaissons nullement les noms des personnes qui ont rédigé le Pentateuque. Tout est anonyme. Ensuite, ces textes inspirés étaient aussi inspirants pour la caste sacerdotale qui, en cette dernière époque, en colligeait les traditions : ce qui signifie qu’en recopiant les manuscrits, ils les transformaient selon les inspirations de l’heure. Ils modifièrent ainsi les textes historiques pour y introduire des éléments législatifs dans le but d’unifier la future communauté. De cette activité, que l’on pourrait qualifier de prophétique, jaillissait un texte nouveau, modifié, transformé. Un exemple de ces ajouts rétrospectifs se retrouve dans l’histoire d’Abraham où on le voit obéir aux règles du Temple avant même que le Temple n’existe : il paye par exemple, à Jérusalem, la dîme à Melchisédech (Gn 14,18-20). Isaac se marie selon les règles qui prévalaient après l’exil (Gn 24,3-37). La caste sacerdotale voulait ainsi justifier son propre retour d’exil et la nécessité de reconstruire le Temple de Jérusalem à une population du pays (ham-ha-haretz) qui, elle, se réclamait d’Abraham. Les vrais fils d’Abraham étaient ceux qui obéissaient aux  règles du Temple [1]!

     Toutes ces retouches, à différentes époques de son histoire rédactionnelle, font qu’il est si difficile d’en retracer, pour ainsi dire à rebours, les étapes! C’est ici que les théories s’affrontent. Je n’en nommerai que quelques unes :

  • L’hypothèse documentaire où l’on distingue les documents :
    • yahviste (J), datant du Xe siècle av. J.C. sous le règne du roi Salomon
    • élohiste (E), datant du VIIe siècle av. J.C. dans le royaume du Nord
    • sacerdotal (P) datant de l’époque de l’exil à Babylone de la caste sacerdotale au 6e siècle av. J.C..

     Mais à l’intérieur de ces documents on a aussi découvert d’autres couches rédactionnelles intermédiaires.

  • L’hypothèse deutéronomiste (D) provenant en partie du Royaume du nord avant la chute de Samarie (723 av. J.C.), rédigé à Jérusalem sous le règne de Josias (641-609 av. J.C.) et complété par la suite.
  • L’hypothèse des fragments dont les plus anciens remonteraient à l’époque de David (1012-972 av. J.C.) compilés par un seul rédacteur final.
  • L’hypothèse des compléments où il y aurait eu, dès le départ, un texte, auquel on aurait greffé de nombreux compléments.

     Pour les uns, les récits du Pentateuque ont été rédigés à partir de traditions qui furent déjà écrites à l’époque de David. Pour d’autres ils dateraient de l’époque exilique (597-539 av. J.C.). D’autres encore croient que rien n’a existé avant l’époque Perse (538-333 av. J.C.). Quoi qu’il en soit, la prise de conscience de ces différentes couches rédactionnelles nous permet de comprendre pourquoi il y a des répétitions, des textes parallèles, des omissions, des contradictions, des divergences, des différences de style et de langage. Elle permet aussi de voir qu’à travers toutes ces différences, un seul et même Esprit (Rouha) traverse le temps et laisse une trace de son passage dans l’histoire de son peuple.

     Au fond, qu’est-ce que le Pentateuque, sinon l’expression d’un éternel rendez-vous entre Dieu et l’homme! N’est-il pas, encore aujourd’hui pour nous, juifs et chrétiens, le lieu d’une perpétuelle Rencontre?

[1] Jean-Louis Ska, « Essai sur la nature et la signification du cycle d’Abraham (Gn 11,27-25,11) », Studies in the Book of Genesis, Literature, Redaction and History, Louvain, Leuven University Press (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 140), 2001, p. 153-177.

Yolande Girard

Chronique précédente :
Guérison ou maladie psycho-somatique?