Ange de l’Annonciation (détail). Le Titian, c. 1518-1522. Polyptyque de la Résurrection, 79 x 65 cm. Église des saints Nazaire et Celse, Brescia (Wikipedia).

4. Les anges, au service de Dieu

André MyreAndré Myre | 29 avril 2019

Le mot grec aggelos, à l’origine de notre mot français « ange », désigne un messager. Dans les évangiles, la plupart du temps, il est appliqué à une fonction de service de Dieu dans ses relations avec les humains. Mais il y a des exceptions. Par exemple, il est utilisé avec un sens courant dans quelques textes des évangiles, où il désigne un ou plusieurs porte-parole humains de Dieu, de Jean Baptiste ou de Jésus [1]. Une seule fois, il est appliqué à l’équipe du diable, qui l’aide à gérer la Géhenne, lieu du feu éternel (Mt 25,41). À quelques reprises, on retrouve le terme dans l’expression « Ange du Seigneur [2] »; dans ces cas, il ne s’agit pas d’un simple messager venant du Ciel. L’Ange du Seigneur, c’est Yhwh ou Dieu en personne, qui s’est dépouillé de sa Gloire pour communiquer directement avec les humains. C’est pourquoi, on ne retrouve l’expression que dans des récits tardifs, et particulièrement chargés au point de vue théologique, comme le sont, par exemple, les récits de l’enfance de Matthieu ou de Luc.

Dans les évangiles, les mentions des anges sont d’autant plus nombreuses qu’on s’éloigne du temps de Jésus. Cette caractéristique fait partie de la tendance à épargner à Dieu la gérance quotidienne des affaires du cosmos et de l’humanité, pour la confier à des intermédiaires. C’est donc par la Sagesse que Dieu structure la réalité; par la Parole qu’il interpelle les humains; par son Ange qu’il les rencontre; par le Satan qu’il en vérifie l’authenticité; par le Souffle saint qu’il en rejoint l’intériorité, et, ultimement, par l’Humain (Fils de l’homme) entouré de ses messagers qu’il se prononcera sur la densité de leur humanité. Chaque terme est une personnification d’une caractéristique importante que les humains accordent aux modes de communication de Dieu avec eux. Selon la logique culturelle dans laquelle se situent les évangiles, ces termes ne désignent ni des personnes, ni des êtres distincts, ni des réalités en soi. Ils sont des façons de rendre compte d’expériences humaines qui se sont échelonnées sur un millénaire.

Dans les évangiles, les messagers ou envoyés de Dieu que sont les anges, jouent tous un des trois rôles suivants : service de protection des humains, service de communication des choses de Dieu et service d’aide à l’Humain au cours du Jugement à venir. Il ne s’y trouve qu’un seul texte [3], à ne faire mention que de leur seule nature céleste :

Mc 12,25 Car, quand ils [les humains] se lèvent des morts, ils ne se marient pas     
ni ne sont mariés, mais ils sont comme les messagers dans les cieux.

Service de protection des humains

Attaqués de toutes parts par des forces de la nature souvent incontrôlables ou hostiles, qui peuvent les menacer au cœur même de leur corps ou de leur intimité, les humains ressentent le besoin d’être protégés. Aussi font-ils appel à l’aide de leur Dieu. Ils se réfèrent à ce texte bien connu; surtout appliqué à Jésus :

Q 4,10 Car il est écrit : Il donnera des ordres te concernant à ses messagers. 11 Ceux-ci te prendront dans leurs mains, et ton pied ne touchera pas la moindre pierre[4]

Le méchant, par contre, doit faire bien attention à ne pas s’en prendre aux petites gens,

Mt 18,10 Car leurs messagers voient en tout temps le visage de mon Parent, celui dans les cieux.

Les anges sont d’ailleurs venus en aide à Jésus lui-même [5], qui, s’il l’avait voulu au temps de son arrestation, aurait pu être protégé par quelque 72 000 de ces messagers (Mt 26,53).

Les humains vivent certes leur vie dans un contexte difficile, mais la réalité n’est pas faite que de dangers et d’hostilité. Il y a des forces favorables à l’œuvre. Les anges servent donc à rendre compte d’une vision équilibrée de la vie.

Service de communication des choses de Dieu

Le réseau de communication de Dieu apparaît dans toute sa splendeur dans l’évangile de Luc, après que l’Ange du Seigneur en personne ait proclamé aux bergers que l’enfant Jésus était le sauveur. Sur ce, « la foule de l’armée céleste » se manifeste aux côtés de l’Ange, pour proclamer la Gloire de Dieu et annoncer la paix aux choyés de Dieu. Puis, les anges quittent les bergers « pour le ciel » (Lc 2,1-15). Ce texte est dans la plus pure ligne de l’évangile, en ce sens que la communication de Dieu, qu’elle se fasse en personne ou par l’entremise de son service ad hoc, s’adresse à une classe de personnes (les bergers) parmi les plus méprisées de la société. Dans la même ligne, à la fin de cet évangile, les anges communiqueront avec les femmes, chose socialement anormale, pour leur annoncer que Jésus est vivant (Lc 24,23[6]. Par ailleurs, Luc est le seul à mentionner un ange par son nom, Gabriel [7]. Il dit de lui qu’il se tient devant Dieu (Lc 1,19), lequel l’a envoyé vers Marie (Lc 1,26), par contre, il l’identifie à l’Ange du Seigneur [8]. Une telle identification n’est possible que dans un milieu culturellement éloigné des anciennes traditions judéennes. L’important reste cependant le rôle que Gabriel se reconnaît, soit de « parler et annoncer une bonne nouvelle » (Lc 1,19).

Selon cette façon de se représenter les choses, les anges expriment la conviction que Dieu entre de fait en contact avec les humains, et leur permet de prendre conscience d’une dimension des choses qui échappe à l’observation courante, et prend le contrepied des jugements de valeur courants dans la société.

Service d’aide à l’Humain au cours du Jugement à venir

Dans les évangiles, les anges sont surtout mentionnés dans le contexte du Jugement exercé par le mystérieux personnage qui a pour nom « fils de l’homme » (ou « Humain »). Et il n’y a que Jésus qui parle de lui. Le texte suivant est particulièrement important pour comprendre comment ce dernier s’y référait :

Q 12,8 Quiconque me reconnaîtra devant les humains,
l’Humain le reconnaîtra devant les messagers de Dieu.
Mais qui me reniera devant les humains
sera renié devant les messagers de Dieu. [9]

La source Q (rapportée par Matthieu et Luc) voit en Jésus le critère qu’utilisera le Juge de la fin pour se prononcer sur la densité personnelle des humains, et il exercera son Jugement en présence des anges de Dieu, lesquels en ignorent cependant la date (Mc 13,32). D’autres textes montrent ces derniers entourant l’Humain pour l’occasion [10], et les voient chargés, après avoir rassemblé tout le monde, de manifester le Jugement de l’Humain en séparant les gens (Mt 13,49), selon qu’ils auront été acceptés par lui [11] ou rejetés [12].

Ces textes expriment le besoin que ressentent les humains que soit un jour manifesté le sens de l’existence, que soit appréciée la qualité humaine de quiconque aura vécu sur cette terre, et que soient jaugées tant les injustices que les grandeurs de l’Histoire. Et tout cela sera le fait d’un mystérieux personnage de l’Au-delà, accompagné d’êtres d’origine céleste, qui n’auront pas été partie prenante de l’Histoire, et pourront donc se prononcer de façon désintéressée, et sans pression.

Les messagers sont chargés de contribuer à la manifestation du sens de la vie. Ils le font à l’intérieur d’une vision d’un monde physique à trois étages, eux étant originaires d’En-haut, le ciel, à partir duquel, ils sont à même d’observer ce qui se passe à l’étage du milieu. Il est significatif que le sous-sol, où se trouvent le diable et ses anges, n’a rien à dire en matière de Jugement, non plus que les couches les plus élevées de la société. Les anges, venant du Ciel, sont considérés comme ayant un point de vue favorable aux petites gens, ce qui n’est pas le cas des habitants des deux étages inférieurs.

André Myre est bibliste et auteur. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal.

[1] Voir, par exemple, Mc 1,2; Q 7,27; Lc 7,24 ; 9,52.
[2] Mt 1,20.24 ; 2,13.19; 28,2.5 ; Lc 1,11.13.18; 2,9.10.13.21; Jn 5,4.
[3] Avec les lieux parallèles en Mt 22,30 et Lc 20,36.
[4] Ps 91,11-12.
[5] Mc 1,13 et Lc 22,43.
[6] Voir Jn 20,12-13 ; la fonction communicatrice de l’ange se retrouve aussi en 12,29.
[7] Lc 1,19.26.28.30.34.38.
[8] Voir Lc 1,11 et 19.
[9] Voir Mc 8,38.
[10] Mt 25,31.
[11] Mc 13,27 ; Mt 13,39 ; 24,31. Voir Lc 15,10 ; 16,22.
[12] Mt 13,41.

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.