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chronique du 19 avril 2013
 

La parabole qu’il ne faut pas comprendre

Lire Marc 4,10-12 ou les récits parallèles : Matthieu 13,10-15 et Luc 8,9-10.

Le dictionnaire Larousse écrit que « parler en parabole » est une expression qui signifie parler d’une manière voilée ou obscure. Nous allons voir d’où vient cette conception de la parabole.

     Voici un court discours de Jésus à ses proches qui semble indiquer qu’il parle en parabole pour empêcher les autres de comprendre.

Quand Jésus fut à l’écart, ceux qui l’entouraient avec les Douze se mirent à l’interroger sur les paraboles. Et il leur disait : « À vous, le mystère du Règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme pour que, tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. » Et il leur dit : « Vous ne comprenez pas cette parabole! Alors comment comprendrez-vous toutes les paraboles? » (Marc 4,10-12)

     Si l’on se fie à ce passage, les paraboles seraient utilisées par Jésus afin que les non-initiés ne comprennent pas ses propos et, ultimement, qu’ils ne se convertissent pas à Dieu. Voilà qui est étonnant, puisque Jésus est présenté comme celui qui prêche pour que les gens se tournent vers Dieu! Pourquoi ne voudrait-il pas que tout le monde comprenne son message?

Pourquoi une énigme?

     On comprend que Jésus révèle le mystère du Royaume à ceux qui sont proches de lui, mais pourquoi faut-il que son message reste énigmatique pour les autres? La réponse se trouve dans l’interprétation de la citation en italique au verset 12 : « pour que tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. » Ici, Marc cite librement le livre d’Isaïe (6,9-10). Dans son contexte d’origine, cette citation annonçait l’échec du prophète Isaïe : son message, loin de ramener le peuple vers Dieu, contribuera à l’endurcir dans son péché, qui entraînera ultimement la destruction de Jérusalem et la déportation à Babylone.

     La citation d’Isaïe est radicalisée dans notre récit, avec l’ajout du mot hina signifiant « pour que ». Les paraboles sont utilisées par Jésus « pour qu’ » il y ait endurcissement du cœur des gens de l’extérieur. En plus, pour ceux qui sont à l’extérieur, Jésus souligne que tout « devient énigme ». Ses paroles et ses actes restent incompréhensibles pour eux. Ainsi présenté, l’enseignement de Jésus semble ésotérique et sectaire. Est-ce vraiment ce que Jésus veut dire?

Différentes façons de résoudre le mystère

     Une première façon de comprendre ce récit est de regarder comment d’autres textes du Nouveau Testament ont utilisé cette citation d’Isaïe. Elle est reprise à la fin des Actes des Apôtres (28,26-28) pour expliquer le refus par Israël de la prédication des chrétiens. De même, l’évangile de Jean (12,39-41) cite ce passage pour expliquer le refus d’Israël, refus qui semble annoncé par Dieu à cause des infidélités de ce peuple. On peut donc en déduire que cette citation d’Isaïe était utilisée par les premiers chrétiens pour expliquer l’endurcissement d’Israël qui refuse de croire que Jésus est le Messie. Il en va de même dans l’histoire rapportée par Marc. Dans cette optique, le récit expliquerait l’échec de la mission chrétienne auprès du peuple juif, dont la réaction négative semble annoncée par Jésus et les prophètes et faire partie du dessein de Dieu. Ces versets porteraient sur la situation qui règne au moment où les évangiles s’écrivent plus qu’au temps de Jésus. Lorsque l’évangéliste écrit, une grande partie du peuple juif a refusé d’accueillir Jésus comme le Messie. Les premiers chrétiens se demandent comment expliquer ce rejet des juifs. En employant cette citation d’Isaïe, l’évangéliste fait dire à Jésus que cet échec est normal. Il fait même partie du plan de Dieu, en quelque sorte.

     Une deuxième façon de résoudre la question est de chercher dans le contexte du temps de Jésus et de se demander à qui le Maître s’adresse. Le récit mentionne qu’il y a des gens de l’extérieur (exo), qui ne comprennent pas, et « ceux qui l’entouraient (peri auton) avec le groupe des Douze ». À ceux-là, « le mystère du Règne de Dieu est donné ». Qui sont ceux qui sont autour de lui? L’expression est assez floue. On peut supposer qu’il s’agit de la foule qui le suit et à qui il enseigne. Pourtant, les Douze, qui reçoivent les clés de la compréhension des paraboles, vont montrer leur incompréhension tout au long de l’Évangile! Marc utilisera même la citation d’Isaïe pour qualifier les Douze de « ceux du dehors » en Marc 8,14-18. Jésus reproche aux disciples de ne rien comprendre et d’avoir le cœur endurci. On peut souligner aussi que c’est un membre des Douze (Judas) qui le trahira. Finalement, les Douze s’enfuiront et abandonneront Jésus lorsqu’il sera arrêté. En revenant à notre récit, nous pouvons donc nous demander qui est vraiment de l’intérieur et de l’extérieur, dans la perspective de Jésus. Ses proches ont-ils réellement compris le mystère qu’il veut leur dévoiler? La suite de l’évangile montre bien que non. Au moment de son arrestation, ils sont au même point que « ceux du dehors » pour qui « tout devient énigme ». Pourtant, Jésus leur avait révélé le mystère du royaume de Dieu par ses paroles et ses actions.

     Si, dans une première lecture, on pouvait entendre que Jésus ne veut pas que « les autres » comprennent, il faut maintenant envisager l’hypothèse que ce passage se veuille aussi une explication de l’échec des disciples à comprendre le message de Jésus, avant sa mort-résurrection, et de l’échec des premiers chrétiens à annoncer l’Évangile aux juifs. Dans ce récit, ces échecs semblent faire partie du plan mystérieux de Dieu. Pourquoi? Ça, c’est une autre histoire. Et comme il n’est pas là pour s’expliquer, il nous faut rester dans le mystère…

Sébastien Doane

Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.

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Sept règles saugrenues de l’Ancien Testament