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chronique du 17 mai 2013
 

Un exorcisme assez particulier

exorcisme

Lire Marc 5,1-20 ; récits parallèles en Matthieu 8,28-34 et Luc 8,26-39.

Voici l’un des récits les plus bizarres des évangiles. Il décrit un exorcisme particulièrement original. Tout dans ce récit nous déroute et nous surprend. Allez lire ce récit, on se croirait presque dans un film d’épouvante américain comme L’exorciste.

     Un premier élément insolite se trouve dans le refuge de l’homme en question. Il se cache dans des tombeaux. À l’époque de Jésus, les sépulcres prenaient souvent la forme de grottes naturelles qui pouvaient offrir un abri. Bien entendu, ces lieux étaient considérés comme impurs pour un juif [1].

     La détresse et l’exclusion du possédé sont décrites de façon assez frappante : on l’enchaîne, il crie en « se déchirant avec des pierres ». Tous les détails de cette description permettraient à un juif de l’époque d’affirmer que cet homme n’est pas un humain : il vit avec les morts, il a des porcs comme voisins, il possède une force surhumaine, il crie et se blesse. Pire qu’une bête, il représente le mal et les forces du mal. En fait, il semble plus proche de la mort que de la vie.

     Un autre élément particulier du récit est que l’homme interpelle Jésus en le nommant « Fils du Dieu Très-Haut ». Puis, il se prosterne devant lui. Parfois dans les évangiles, les démons semblent savoir qui est Jésus, mieux que ses disciples ou sa famille.

     Un dialogue surréaliste s’engage entre Jésus et l’esprit impur. Jésus lui demande son nom puisque, dans le monde biblique, la connaissance du nom confère un pouvoir sur une personne. Le nom, c’est l’identité de la personne. Jésus force donc l’esprit à dire que son nom est « Légion », ce qui suppose un régiment de démons. Une légion romaine comprenait six mille hommes. La situation est grave, ce n’est plus un démon, mais une armée de démons! Symboliquement, ce récit n’est pas celui de la guérison d’un homme, mais de la victoire de Jésus sur le mal et ses représentants.

     Une croyance populaire voulait qu’un démon, quand il était chassé, devait trouver un refuge ailleurs : « Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il parcourt les régions arides en quête de repos, mais il n’en trouve pas. » (Mt 12,43) Dans notre récit, la légion de démons reçoit l’autorisation de Jésus d’entrer dans un troupeau de porcs. Selon la loi juive (Lv 11,7 et Dt 14,8), le porc était considéré comme un animal impur. Il était interdit d’en manger. Il est donc « normal » pour un mauvais esprit d’y trouver refuge. Un détail à ne pas manquer : les démons demandent la permission de Jésus pour entrer dans les porcs. Cette précision montre que Jésus a autorité sur une légion de démons.

La symbolique de la mer

     Les porcs, possédés par les démons, se précipitent dans la mer pour y mourir noyés. Le lecteur familier de la Bible n’est pas surpris que le récit établisse un lien entre les démons et la mer. Dans les divers livres bibliques, la mer est souvent porteuse d’une symbolique négative associée au mal. Puisque le peuple hébreu provient du désert, il n’a qu’un contact limité avec la mer. Le côté terrifiant des flots est évoqué dans le récit du déluge (Gn 6–9). La mer est souvent associée au mal et aux créatures maléfiques : le symbole ultime du mal, la bête de l’Apocalypse (chapitre 13), par exemple, surgit de la mer. Dans la culture biblique, celle-ci semble être le siège des forces du mal.

     La Bible présente aussi l’eau de façon plus positive. Si l’on regarde les textes du Lévitique à propos de l’impureté, on constate que la façon proposée pour retrouver la pureté est de se laver et d’offrir des sacrifices. Dans cette ligne de pensée, la noyade des démons dans la mer peut être interprétée comme la fin du pouvoir démoniaque sur la région et sa libération de l’impureté par le contact de l’eau. L’eau a purifié les démons au point de les détruire.

Des pistes pour comprendre

     Au fond, ce récit parle de l’identité de Jésus. Il nous révèle sa force plus grande que les forces du mal. Même en terre païenne, il garde autorité sur les démons. Cette interprétation est validée par le récit de la tempête apaisée (Mc 4,35-41) qui précède celui de la guérison du démoniaque. En apaisant la tempête, Jésus montrait qu’il avait autorité sur les forces de la nature, mais surtout qu’il était maître de la mer, le lieu du mal. Ensemble, les deux récits envoient le message que Jésus est plus fort que les démons et les forces mystérieuses du mal.

     On peut voir un lien entre le récit du démoniaque et celui sur la famille de Jésus. Sa famille disait que Jésus était fou, qu’il avait perdu la raison. Certains l’accusaient même d’avoir « un esprit impur » (Mc 3,30). Jésus a donc déjà vécu le rejet et c’est pourquoi peut-être il est sensible à la réalité de l’homme possédé. Il est capable d’aller vers ce « fou » pour le rencontrer et lui redonner une existence véritable.

     L’histoire se termine avec l’homme qui a été guéri. Après avoir vécu ces événements, il se met à proclamer ce que le Seigneur a fait pour lui, dans cette région non-juive. Son expérience devient donc le prélude de l’évangélisation en dehors d’Israël.

     La seule attitude possible pour les Géraséniens, devant le démoniaque, était de tenter de l’enchaîner et de l’exclure de la vie « normale ». Ils ne pensaient pas à l’aider, à le libérer. Le récit mentionne à deux reprises qu’ils voulaient le lier et l’enchaîner. De son côté, l’homme criait et s’automutilait pour dire aux autres qu’il existait et qu’il souffrait. Mais le plus incroyable se trouve dans la réaction des habitants de la région après l’exorcisme : lorsqu’ils voient le démoniaque « assis, vêtu et dans son bon sens », ils sont saisis de crainte. Ils supplient Jésus de quitter la région. Jésus a bouleversé leur communauté en guérissant l’homme qui devait être exclu. Les Géraséniens vont devoir apprendre à modifier leur perception et leur relation avec celui qu’ils disaient être démoniaque.

[1] Isaïe 65, 4-7 évoque l’idolâtrie de ceux qui se tiennent dans les sépulcres, y offrent des sacrifices, y font brûler des aromates et y mangent de la viande de porc.

Sébastien Doane

Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.

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La parabole qu’il ne faut pas comprendre