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chronique du 21 juin 2013
 

Mourir d’ennui : la mort-résurrection d’Eutyque

Saint Paul redonne vie à Eutyque

Saint Paul redonne vie à Eutyque
Taddeo Zuccaro (1529–1566)
Dessin, crayon, encre et gouache sur papier gris
Dimension de la feuille : 33,7 x 46,1 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

Voici le récit préféré de ceux qui trouvent que la messe est monotone. Peut-être nous permettra-t-il d’être plus indulgents à l’égard des prêtres. Les homélies de Paul semblent bien avoir eu la puissance d’un somnifère…

Le premier jour de la semaine, alors que nous étions réunis pour rompre le pain, Paul, qui devait partir le lendemain, adressait la parole aux frères et il avait prolongé l’entretien jusque vers minuit. Les lampes ne manquaient pas dans la chambre haute où nous étions réunis.

Un jeune homme, nommé Eutyque, qui s’était assis sur le rebord de la fenêtre, a été pris d’un sommeil profond, tandis que Paul n’en finissait pas de parler. Sous l’emprise du sommeil, il est tombé du troisième étage et, quand on a voulu le relever, il était mort.

Paul est alors descendu, s’est précipité vers lui et l’a pris dans ses bras : « Ne vous agitez pas! Il est vivant! » Une fois remonté, Paul a rompu le pain et mangé; puis il a prolongé l’entretien jusqu’à l’aube et alors il s’en est allé. Quant au garçon, on l’a emmené vivant et ce fût un immense réconfort. (Actes 20,7-12)

     Incroyable! Paul parle si longtemps que quelqu’un en meurt! Heureusement, l’histoire se termine bien, avec le retour à la vie du garçon. Mais, Paul continue quand même de prêcher jusqu’à l’aube!

     L’événement a lieu « le premier jour de la semaine », le jour où les chrétiens célèbrent la résurrection de Jésus. Pour les juifs, le jour commence au coucher du soleil. Nous sommes donc un samedi soir, au début du repas du Seigneur. Ce repas est l’ancêtre de nos célébrations eucharistiques : il y avait fraction du pain, généralement accompagnée d’un repas partagé (v. 11), de prières (Actes 2,42), d’une prédication et d’un entretien (v. 9-11).

     Il ne faut pas oublier que pour les premiers chrétiens, il n’y avait pas d’églises, pas de bâtiments réservés spécifiquement aux rassemblements. Les croyants et les croyantes se réunissaient dans des maisons privées. Dans ce récit, la rencontre a lieu dans la « chambre haute » de l’une de ces maisons. On retrouve aussi une « chambre haute » au début des Actes des Apôtres (1,13) au moment où les Apôtres, Marie et les frères de Jésus sont rassemblés pour prier, et dans l’évangile de Luc (22,12), pour le dernier repas de Jésus.

     Pendant ce long entretien de Paul, un jeune homme, Eutyque, s’endort, tombe de la fenêtre et meurt. Le récit ne s’éternise pas sur les détails et l’horreur de l’accident. Il met l’accent sur l’action de Paul qui descend, se jette (èpépesen) sur le jeune homme et le prend dans ses bras. Puis, selon une traduction littérale, il dit : « Son âme est en lui. »

Quelques récits à lire en parallèle

     On peut mettre en parallèle cette résurrection, opérée par Paul, avec celle de Tabitha faite par Pierre (Actes 9,36-43). Les deux récits montrent que les Apôtres, ici Pierre et Paul, sont dans la continuité de l’action de Jésus qui, lui aussi, a accompli des résurrections, dont la plus fameuse est celle de Lazare. D’ailleurs, en plusieurs aspects, le retour à la vie d’Eutyque rappelle celui de la fille de Jaïre (Marc 5,39). La résurrection d’Eutyque montre donc que Paul est bien un Apôtre de Jésus ressuscité, puisqu’il peut, lui aussi, accomplir des miracles et redonner la vie, tout comme le faisait Jésus.

     On retrouve d’ailleurs dans l’Ancien Testament une dynamique semblable entre les prophètes Élie et Élisé : Élie était le maître, il accomplissait des actes d’une grande puissance. Allez lire 1 Rois 17,17-24.

     Plusieurs éléments sont communs aux deux récits. Dans les deux cas, il s’agit d’un garçon qui meurt, d’une chambre haute, d’un homme de Dieu, d’un contact physique avec l’enfant mort, qui finit par revenir à la vie. L’action d’Élie vient confirmer son identité d’homme de Dieu et sa mission de transmettre la parole de Dieu aux autres.
À la mort d’Élie, son rôle d’homme de Dieu sera transmis à Élisée qui prendra le manteau d’Élie et poursuivra sa mission. En 2 Rois 4,8-37, Élisée redonne la vie à un garçon mort, dans un récit qui a plusieurs points communs avec celui qui met en scène Élie. Il confirme Élisée comme successeur d’Élie puisqu’il peut accomplir les mêmes prodiges

     Il en est de même pour Paul : en ressuscitant une personne, il se révèle comme l’un des successeurs de Jésus. La mort d’Eutyque n’est pas qu’un accident, elle devient l’occasion de manifester les merveilles de Dieu. Ces merveilles se produisent dans une petite communauté, par l’action de Paul, qui est décrite comme ayant la même puissance que celle de Jésus, d’Élie et d’Élisée.

Sébastien Doane

Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.

Article précédent :
Un exorcisme assez particulier