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chronique du 8 janvier 2016
 

Haïr ses proches pour suivre Jésus

Certains passages bibliques sont plus difficiles à interpréter de façon littérale que d’autres. Dans l’exemple qui suit, Jésus dit quelque chose qui, heureusement, n’est pas pris au pied de la lettre par les chrétiens. Cette parole est si choquante que la traduction que nous utilisons (TOB) a choisi d’atténuer la force de l’interpellation de Jésus.

De grandes foules faisaient route avec Jésus; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple. (Luc 14,25-27)

     Avec cette traduction, on comprend que Jésus demande aux disciples de tout quitter pour le suivre et il les avertit : le suivre exige renonciations et souffrances. Cette interprétation est tout à fait acceptable, mais au verset 26, le texte grec des manuscrits de l’Évangile selon Luc utilisent le verbe misô, qui se traduit littéralement par « haïr ». Par exemple, cette racine grecque donne le mot français misogyne, littéralement « haine des femmes ». Jésus demande donc à ses futurs disciples de haïr leur père, leur mère, leur femme, leurs enfants, leurs frères, leurs sœurs et même leur propre vie! On est loin du fameux « Aimez-vous les uns les autres »!

     Cette recommandation tire probablement son origine des multiples conflits familiaux vécus par les disciples qui ont décidé de suivre Jésus. D’ailleurs, les évangiles mentionnent la vive tension qui existe entre Jésus et sa propre famille. Marc 3,20-35, par exemple, montre comment la mère et les frères de Jésus veulent s’emparer de lui parce qu’ils croient qu’il a « perdu la tête ». Averti de leur présence, Jésus renie sa famille devant les personnes présentes, en affirmant que sa vraie famille est constituée de « quiconque fait la volonté de Dieu [1] ». Dans une société rurale comme celle de la Galilée, il était très mal vu de quitter sa famille et son village. Jésus et ses disciples ont bouleversé l’ordre établi, en quittant leurs proches. Il ne s’agissait pas uniquement de renoncer à ce qu’ils possédaient, mais bien de se dégager de leurs responsabilités familiales. Le départ des hommes qui suivaient Jésus a certainement eu des répercussions négatives sur les personnes qui dépendaient d’eux. Ils ont dû faire des choix déchirants et ils étaient mal vus des membres de leurs familles avec lesquels ils devaient couper les ponts, comme s’ils les haïssaient.

     Heureusement, en lisant ces versets aujourd’hui, nous ne sommes pas liés à une interprétation littérale. Nous pouvons suivre l’interprétation de la TOB et accorder une préférence à Jésus sans nécessairement haïr notre famille.

[1] Pour aller plus loin sur ce sujet, voir Sébastien Doane, « Une sainte famille? » dans Mais d’où vient la femme de Caïn? Les récits insolites de la Bible, Novalis, 2010, p. 154-161.

Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.

Sébastien Doane

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Arrêter le soleil pour condamner Galilée