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Coups de coeurs
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chronique du 25 septembre 2001

 

Ce bon vieux Jérémie

Il m’arrive de penser que nous nous dirigeons, comme Église, vers une période semblable à celle que traversa l’Israël biblique à la fin de la vie du prophète Jérémie. Pas très réjouissant comme idée. Me collera-t-on l’étiquette de « prophète de malheur »? Peut-être ai-je trop fréquenté Jérémie...      

De la réforme à l'exil

     Ce bon vieux Jérémie. Il n’a pas eu la vie facile. Ses oracles menaçants lui ont valu mauvais traitements et persécutions. Mais la Parole de Dieu l’habitait comme un feu dévorant (Jérémie 19, 7-9) et il ne pouvait s’empêcher de la crier, à temps et à contre-temps.

     Jeune, il avait connu la grande espérance suscitée par le roi Josias, mort tragiquement à 39 ans en 609 avant Jésus-Christ. C’était le temps du retour aux sources et de la purification, de « l’aggiornamento », ce qu’on a appelé la Réforme deutéronomique et qui a valu à Josias d’être l’un des rares rois à recevoir les éloges de l’auteur du Livre des Rois: « Il n’y eut avant lui aucun roi qui se fût, comme lui, tourné vers le Seigneur de tout son coeur, de toute son âme et de toute sa force, en toute fidélité à la Loi de Moïse, et après lui il ne s’en leva pas qui lui fût comparable. » (2 Rois 23,25)

     Mais les fils de Josias n’ont pas su maintenir le cap et Jérémie se retrouve dans la position de celui qui doit sans cesse dénoncer les abus et les infidélités. À ses yeux, l’avancée menaçante des conquérants babyloniens est voulue par Dieu et il appelle à la conversion dans l’espoir d’éviter le pire. Il s’en prend même à des certitudes si enracinées dans la foi populaire que nul n’osait les mettre en doute. L’inviolabilité de Jérusalem, par exemple.

     Un siècle plus tôt, au temps d’Isaïe, la ville sainte avait été miraculeusement sauvée quand une épidémie avait décimée l’armée ennemie qui l’assiégeait. Jérusalem avait échappé in extremis au pillage et à la destruction. De là à conclure que le Seigneur, depuis le Temple, protégerait toujours sa ville quoi qu’il arrive, il n’y avait qu’un pas. Et avec le temps c’était pratiquement devenu un dogme.

     Jérémie crie le contraire (Jr 7, 1-15) et l’histoire lui donne raison: Jérusalem est conquise, ses murs sont rasés et le Temple incendié. Le roi est fait prisonnier et, avec une bonne partie de la population, il est déporté à Babylone. C’en est fait du royaume de Juda. Sans roi, sans temple et exilé loin de la Terre promise, Israël a perdu les trois piliers sur lequel reposait sa foi.

     Jérémie se fait alors prophète de l’espérance. Il voit au-delà de l’exil un peuple de Dieu purifié revenant sur sa terre pour une « alliance nouvelle » écrite non plus sur la pierre mais dans son coeur. (voir notamment (Jr 23, 1-8 et surtout 31, 31-34).

Serons-nous une Église en exil?

     Il m’arrive, je l’ai dit, de comparer notre temps à celui de Jérémie. Ce qui frappe mon imagination, c’est comment le Peuple d’Israël d’alors a dû abandonner les sécurités institutionnelles qui étaient jusque-là le solide fondement de sa foi &emdash; le Temple, le Roi-Messie, la Terre Promise &emdash; et partir vers l’inconnu.

     Pour survivre, la foi d’Israël allait devoir s’affirmer dans le dénuement et la faiblesse des moyens, noyée dans une culture et un environnement religieux étrangers. N’est-ce pas un peu ce qui nous attend? En exil, sans privilèges, sans statut social, sans liens avec le pouvoir, sans richesses, la communauté croyante a appris à se recentrer sur l’essentiel et sa foi s’est affermie. C’est à cette époque qu’une bonne partie des livres de la Bible ont pris la forme que nous leur connaissons. De l’exil est issu le judaïsme, dans lequel naîtra Jésus. Et c’est à la fin de l’exil que paraît un prophète dont le nom est perdu et que nous appelons « le Second Isaïe » ( Isaïe 40-55): ses textes sur le Dieu unique qui appelle toutes les nations au salut ( Is 45, 15-25); cf. Liturgie des Heures, Laudes, Vendredi I) et sur le Serviteur Souffrant sont des trésors qui inspirent toujours la foi et la prière de l’Église. Il faut, je crois, aborder les décennies qui viennent avec la foi de Jérémie. Aux exilés à qui il écrivait (Jr 29), il recommandait de regarder en avant avec confiance et de voir la main de Dieu même dans leur exil: « Bâtissez des maisons... plantez des jardins...» Si nous abordons une sorte d’exil de l’Église, le Seigneur nous suscitera sans doute de nouveaux prophètes qui, tels Jérémie et le Second Isaïe, nous aideront à faire naître une communauté renouvelée et toujours plus fidèle.  

Bertrand Ouellet

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Aurons-nous le temps?