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Coups de coeurs
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chronique du 7 décembre 2004
 

Entre le bœuf et l'âne gris

 

Les récits évangéliques de la naissance de Jésus sont à l'origine d'une riche tradition artistique et folklorique. La réalisation d'une crèche fait partie de nos coutumes depuis que saint François eut l'idée, lors d'une fête de Noël à Greccio, de rassembler hommes et animaux pour constituer une crèche vivante. Tout en lui reconnaissant la paternité de cette tradition devenue populaire, on constate que la plus ancienne représentation de la crèche de Bethléem se trouve sur un petit monument de l'an 343 découvert à Rome.

     Toute crèche qui se respecte se doit de faire figurer l'âne et le bœuf auprès de la mangeoire où repose l'enfant Jésus, même si leur présence n'est pas mentionnée par l'évangéliste Luc. Comme la fête de Noël a été fixée au solstice d'hiver, il allait de soi de penser que Jésus soit né en hiver. Comme beaucoup de traditions proviennent des pays nordiques et que les gens habitant ces contrées ont le sens pratique, on a souvent raconté que l'haleine de l'âne et du bœuf servait de système de chauffage à air chaud pour l'enfant Jésus. C'est une belle tradition, mais il y a une autre raison, biblique celle-là, qui justifie la présence de ces deux animaux dans la crèche.

     La représentation de l'âne et du bœuf dans la crèche de Bethléem est inspirée du prophète Isaïe qui reproche au peuple d'Israël de ne pas connaître son Dieu alors que l'âne et le bœuf connaissent leur maître : Le bœuf connaît son propriétaire et l'âne la crèche de son maître, Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas (Is 1, 3). Il faut ajouter à cela la référence à une phrase du livre d'Habacuc (un prophète contemporain de Jérémie) qui, dans la Bible grecque (Septante) et les vieilles versions latines (avant la Vulgate de saint Jérôme), diffère de l'original hébreu. Peu avant le siège de Jérusalem par les Babyloniens en 587, le prophète supplie le Seigneur de réitérer son œuvre de salut et s'écrie : Au milieu des années, fais-la revivre! Au milieu des années, fais-la connaître (Ha 3,2, en hébreu). Mais en grec, on lit plutôt : Au milieu de deux animaux, qu'il soit connu! Au temps qui s'approche, qu'il soit reconnu! Les chrétiens des premiers siècles (qui lisaient les Écritures en grec ou en latin), ont relu ces deux textes à la lumière de la naissance de Jésus. Au temps accompli, Dieu s'était effectivement manifesté dans la grotte de Bethléem. Et les deux animaux sont devenus l'âne et le bœuf.

     Mais le travail d'interprétation des Écritures ne s'est pas arrêté là. Un autre passage d'Isaïe vient éclairer la naissance de Jésus comme l'incarnation du Fils de Dieu et l'accomplissement des temps messianiques. C'est le célèbre texte où le prophète Isaïe décrit, avec des accents poétiques d'une rare beauté, l'avènement du descendant de David qui établira la paix de Dieu sur terre : La vache et l'ours paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le bœuf mangera de la paille (Is 11, 7; repris en Is 65, 25).

     La crèche de Bethléem apparaît ainsi comme le lieu où naissent les temps nouveaux. La mission de Jésus est déjà présente en germe. Il est celui par qui Dieu vient rassembler les êtres humains, en créant un peuple nouveau où les différences et les oppositions sont réconciliées afin que tous les humains vivent dans la paix. En se rappelant qu'il était interdit d'atteler un âne et un bœuf pour labourer un champ, certains commentateurs ont même vu dans l'âne et le bœuf le symbole de la réconciliation des juifs et des païens au sein du peuple nouveau.

     En terminant cette petite exploration des coulisses bibliques de la crèche, je vous cite ce poème de Paul Verlaine qui évoque le mystère qui se déploie sous nos yeux lorsque nous contemplons l'amour du Père dans l'enfant de la crèche. On y retrouve aussi, comme en écho, l'invitation de Jésus à adopter la simplicité de l'enfant pour accueillir l'infinie présence de Dieu dans notre vie :

 

Petit Jésus qu'il nous faut être,
Si nous voulons voir Dieu le Père,
Accordez-nous d'alors renaître

En purs bébés, nus, sans repaire
Qu'une étable, et sans compagnie
Qu'un âne et qu'un boeuf, humble paire;

D'avoir l'ignorance infinie
Et l'immense toute-faiblesse
Par quoi l'humble enfance est bénie;

Paul Verlaine, Noël.

Avec mes meilleurs vœux de Joyeux Noël.

Yves Guillemette, ptre
Directeur du Centre biblique et du Site InterBible
Curé de la Paroisse Saint-Léon de Westmount
Président de la Société catholique de la Bible

 

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Il parlait en paraboles