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Bible et culture
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chronique du 14 décembre 2012

 

2. La passion selon Christopher Nolan

Début de l'article : Batman : un messie états-unien?

Pour l'amour de Dieu

L'ascension du chevalier noir
Aventures de Christopher Nolan (États-Unis 2012)
avec Christian Bale, Tom Hardy, Anne Hathaway, Joseph Gordon-Levitt et Gary Oldman
Voir la bande-annonce »

Une chemin de croix et un parcours aux accents bibliques de Batman

          Un regard sur les personnages permet maintenant de jeter un bref coup d’œil sur la trame narrative qui se structure selon des éléments d’un véritable chemin de croix et de la passion. Une scène dès le début du film illustre bien cette introduction au sein d’un chemin de croix. À la suite de circonstances où Bruce Wayne se fait dérober le collier de sa mère, la scène constitue la première étape d’une kénose tant symbolique (le collier) que physique (Selina Kyle le fait tomber). Il s’agit de la première chute comme dans un chemin de croix.

          Par la suite, le dépouillement de Bruce Wayne se poursuit, car à la suite d’une manœuvre du personnage de Bane, il perd l’ensemble de sa fortune au point où l’électricité est coupée dans sa résidence! Comme il a été mentionné, cette kénose est nécessaire afin de permettre à Bruce Wayne/Batman d’incarner pleinement le messie de Gotham sans être identifié à l’élite économique de la ville. Cela ne rappelle-t-il pas l’hymne de la lettre à la communauté de Philippe (Ph 2,6-11)?

Catwoman

          Un moment charnière dans le parcours narratif se situe lors de la confrontation entre le personnage de Bane et de Batman. Ce dernier ayant donné sa confiance à Selina Kyle/Catwoman afin de localiser et d’appréhender le mercenaire. Il se fait piéger et trahir par elle qui le livre à Bane [17]. Ce dernier, par son assaut brutal, procède à une véritable mise à mort symbolique de Batman qui est anéanti physiquement et brisé psychologiquement. Nolan accentue la dimension dramatique en montrant comment Bane clame sa victoire en prenant le masque brisé qu’il jette par la suite par terre [18]. Il est à remarquer que le personnage de Selina Kyle adopte une posture similaire à celle des femmes lors du crucifiement de Jésus (Mc 15,40-43).

masque brisé

          Un autre moment « biblique » consiste dans le séjour forcé de Batman/Bruce Wayne dans la prison médiévale souterraine. L’unique accès s’effectue par un puits où les gens sont descendus. Cette scène peut être assimilée à la descente de Jésus au shéol (Ac 2,24) [19]. On fait vite comprendre à Batman/Bruce Wayne que personne ne peut s’échapper de cette geôle. Seul un enfant y est parvenu jadis. Quant à la sentence que Bane fait subir à Batman/Bruce Wayne, il s’agit de regarder, dans l’impuissance, la destruction prochaine de Gotham. Rejetant la fatalité Batman/Bruce Wayne, se remet péniblement sur pied et tente à deux reprises de s’échapper (correspondant ainsi aux deux autres chutes du chemin de croix) sans succès.

La résurrection de Batman

          À la troisième tentative Batman/Bruce Wayne, après une avoir rencontré une volée de chauves-souris (décrivant qu’il s’agit bien de Batman) se lance dans son ultime tentative. Il parvient à se libérer (en réussissant le saut lui permettant d’atteindre la sortie). Celui-ci émerge, à l’image d’un Christ glorieux, du puits de Lazare (une référence explicite à  la résurrection) [20].  À l’image du messie, Batman/Bruce Wayne libère ses codétenus de ce « shéol ».

L’affrontement eschatologique

          Comme dans toute œuvre de ce type, il y a un affrontement eschatologique d’ampleur apocalyptique entre l’armée « sainte » de Batman (composée de policières et de policiers) et celle de Bane. Dans le contexte de l’imaginaire états-unien, cela évoque les combats eschatologiques décrits dans la Bible (Ap 16,5-7 ; 19,11-21 ; 20,7-10) dans lequel le Christ glorieux triomphe. Les analogies bibliques sont nombreuses dans ces séquences. Elles sont associées également au don ultime que Batman/Bruce Wayne s’apprête à faire [21]. Ce combat se termine par le choix de Batman/Bruce Wayne de prendre tous les risques pour sauver Gotham de l’holocauste nucléaire.

La résurrection de Bruce Wayne

          Acceptant l’inéluctable Batman/Bruce Wayne, déplace la bombe (en utilisant l’appareil désigné comme le « Bat ») vers l’océan puisque personne ne peut plus arrêter le compte à rebours. Il  parvient à le faire détoner à une distance sécuritaire, sauvant ainsi Gotham de la destruction au prix apparent de sa vie.

          Dans les séquences suivantes, il y a une reconnaissance par les proches (Alfred, son domestique, le commissaire Gordon et d’autres personnages) de la mort de Bruce Wayne. Ces scènes sont mises en parallèle avec la reconnaissance officielle, par les autorités de la ville de Batman (par l’érection d’une statue).

          Une scène particulièrement biblique offre une alternative pour un dénouement considéré comme tragique. Dans une petit café, le personnage d’Alfred, dévasté par la mort de son protégé qu’il considérait comme son propre fils, s’assoit à une table comme à chaque année et observe les couples partageant de bons moments. Soudain, il aperçoit Bruce Wayne en compagnie de  Selina Kyle. La façon dont la scène est tournée, cela fait référence directement à une forme christophanie ou, dans le contexte, de «  Waynophanie  » un peu à l’image de Pierre décrite dans le lettre à la communauté corinthienne (1 Co 15,5). Il s’agit du « vrai » Bruce Wayne sans les masques de Batman ou celui du play-boy, mais une personne qui a retrouvé enfin une vie heureuse [22].   S’agit-il de l’imagination d’Alfred ou d’une véritable rencontre ? Nolan, selon son style habituel, laisse ouvert les possibilités.

John Blake

          Pour appuyer son intention de montrer, dans la scène finale, que le Batman est une symbole messianique transcendant, le personnage Blake (un policier) semble reprendre la relève du chevalier noir.

Conclusion

          Dans ce bref article, les personnages de Bane/Batman ont été examinés afin de montrer comment l’antagonisme révélait le caractère messianique de ce dernier. De même, le couple Selina Kyle/Miranda Tate a été traité afin de montrer comment Catwoman agit à titre de corédemptrice. Dans une seconde section, certains traits bibliques structurant le film L’ascension du chevalier noir, ont été brièvement présentés.

          Batman, tel qu’illustré dans L’ascension du chevalier noir, et d’autres avatars, se révèlent une figure messianique reprenant les traits de la culture états-unienne marquée profondément par l’imaginaire messianique judéo-chrétienne. Comme le souligne Joseh Siroka dans son blogue, Batman ne porterait pas le carré rouge. Batman, dans la trilogie de Nolan, est résolument un messie états-unien. Il cite  Ross Douthat, un chroniqueur du  New York Times pour appuyer ses propos:

[Nolan] tente simultanément de reconnaître les injustices du régime en place tout en suggérant que les alternatives révolutionnaires et anarchistes seraient bien pires. À travers toute la trilogie, ce qui sépare Bruce Wayne de ses mentors du League of Shadows n’est pas une croyance dans la bonté de Gotham; c’est une croyance qu’un ordre compromis vaut toujours la peine d’être défendu, et que des choses plus sombres que la corruption et l’inégalité s’ensuivraient si l’on brûlait cet ordre. C’est un message conservateur, quoique pas un qui est triomphalement capitaliste. [23]

          Tout en reconnaissant le caractère états-unien de ce personnage, Batman, par de nombreux de ces traits de sauveur, devient une icône archétypale transculturelle mythique à l’image des récits de l’Antiquité.  D’ailleurs parce que Batman, comme d’autres personnages de supers héros, tire leur puissance évocatrice de l’imaginaire collectif, pour contribuer à transformer effectivement la société vers plus d’égalité, de justice et de dignité [24].

Patrice Perreault

Notes

[17] Il s’agit de la seconde trahison opérée par Selina Kyle. La première consistant à voler le collier de sa mère et à copier les empreintes digitales de Bruce Wayne afin de lui subtiliser sa fortune.

[18] Une affiche promotionnelle du film illustre cette scène.

[19] Cette évocation d’un séjour souterrain et de la délivrance subséquente se sont développés dans l’imaginaire chrétien. Par exemple, l’évangile apocryphe de Nicodème (ou les Actes de Pilates) décrivent l’impact glorieux au shéol de Jésus . Voir Pierre Geoltrain et Jean-Daniel Kaestli (dirs.), Écrits apocryphes chrétiens, vol. 2, Paris, Gallimard, 2005, 290-297.

[20] Dans la mythologie de Batman, le puits de Lazare est le lieu qui permet au personnage de Ras al’ Ghul de maintenir une grande longévité (le personnage est âgé de 800 ans)!

[21] C’est à ce moment dans le parcours narratif que Miranda Tate trahit Batman en le livrant à Bane. C’est également lors d’une scène subséquente Selina Kyle/Catwoman  se «convertit» et exerce le rôle de corédemptrice en sauvant Batman/Bruce Wayne d’une mort certaine inversant ainsi le binôme intérêt individuel/bien commun pour les personnages féminins.

[22] Il s’agit de la réponse à la question laissée en suspens dans le premier volet de la trilogie où le personnage de Rachel (une amie d’enfance) lui dit qu’elle attendra le temps de retrouver Bruce Wayne, celui qui n’est ni Batman, ni la persona de Bruce Wayne, mais l’homme qu’elle a connu (Batman le commncement).  L’ascension du chevalier noir opère alors une inclusion sur le récit de Bruce Wayne. Dans L’ascension du chevalier noir, l’évolution de la tension entre Batman et Bruce Wayne ressemble à cette séquence : Bruce Wayne/Batman où le personnage de Batman domine et, par la suite, laisse la place à Batman/Bruce Wayne où ce dernier prend une direction lui assurant de renouer avec sa véritable personnalité.

[23] Josef Siroka, «  Batman ne porterait pas le carré rouge  »,  La Presse, (24 juillet 2012).

[24] Pour illustrer cette orientation interprétative fort différente de Nolan, le merveilleux et excellent film de Tim Burton, Batman Returns (Le retour de Batman) (1992) dépeint plutôt un Batman en lutte contre des financiers et en arrière-plan contre le capitalisme!

 

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