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Bible et culture
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chronique du 7 décembre 2012

 

Batman : un messie états-unien?

Pour l'amour de Dieu

L'ascension du chevalier noir
Aventures de Christopher Nolan (États-Unis 2012)
avec Christian Bale, Tom Hardy, Anne Hathaway, Joseph Gordon-Levitt et Gary Oldman
Voir la bande-annonce »

La conclusion de la trilogie  de Christopher Nolan au sujet de Batman s’avère fort intéressante par bien des aspects tant cinématographiques que symboliques. Si ce metteur en scène tire en partie son inspiration des certains récits du héros  [1], il s’insère néanmoins dans l’actualité qu’il s’agisse de Batman le commencement, Le chevalier noir (référence à la situation des États-Unis après le 11 septembre 2001  [2]) ou le dernier volet : L’ascension du chevalier noir. Celui-ci fait référence directement au mouvement des indignés  [3]. Il s’agit d’un axe interprétatif central dans le film de Nolan  [4]. De plus, ce film puise dans une symbolique qui peut être réinterprétée à la lumière d’une lecture biblique voire christique.

Résumé du film

          Batman/Bruce Wayne (Christian Bale) s’est retiré à la suite d’une fausse accusation du meurtre d’Hervey Dent, le procureur général de Gotham. Cette fausse accusation permettait de mettre en évidence une loi répressive contre le crime. Après huit ans, Batman/Bruce Wayne apparaît comme une personne fragilisée sur le plan psychique et physique résultant de ses affrontements antérieurs. Par contre, une série de cambriolages opérée par une mystérieuse femme Selina Kyle (Anne Hathaway) l’incite à enquêter. Par ailleurs, un mystérieux personnage, Bane (Tom Hardy) envahit Gotham et menace de détruire l’ensemble des infrastructures financières et civiles. La puissance brutale de Bane force Batman à reprendre du service. À la suite d’une trahison par Selina Kyle, Batman se retrouve littéralement broyé par Bane qui n’a plus aucun obstacle pour parvenir à ses fins : la destruction de Gotham. Batman/Bruce Wayne emprisonné parvient à se remettre sur pied et à s’échapper. Avec l’aide de Selina Kyle, Batman/Bruce Wayne confronte à nouveau Bane et réussit à éviter l’anéantissement de Gotham.

1. Bref examen des personnages

          Un examen rapide des personnage permet de voir que le film de Nolan s’appuie sur la dualité classique que nous retrouvons dans un récit mythique  [5]. Deux couples antagonistes étroitement associés s’y retrouvent : Batman/Bane et Selina Kyle/Miranda Tate.

Bane et Batman

La dyade Batman/Bane : messie versus chaos

          La première dyade, Batman/Bane propose l’archétype de l’opposition entre une perspective protégeant la vie selon une optique réformiste et une autre proposant la révolte sanglante chaotique voire génocidaire représentant pour Bane l’unique voie pour parvenir à un changement positif. Dans cette optique, Bane représente la métaphore de la foule des personnes s’opposant à un système oppressif qui exclut la majorité des êtres humains. Son masque modifiant sensiblement sa voix, de même que son costume, manifestent les attentes de la majorité de la population [6]. Si ces exigences apparaissent légitimes, elles sont détournées par Bane pour tenter de détruire l’ensemble de la population de Gotham. Pour lui, comme pour son groupe,  il n’y a pas d’innocents, tous sont coupables de la déchéance de la ville [7]. La puissance brutale dont il fait montre illustre le caractère primaire et sans compromis du personnage qui ne reculera devant aucun sacrifice. Il constitue l’archétype même du chaos.

          Quant à Bruce Wayne/Batman, celui-ci correspond davantage à une vision paradoxalement moins violente car la vie humaine est importante. Le personnage de Batman ne se résout pas à tuer, du moins volontairement. Tout en représentant la marginalité même et l’aspiration à une meilleure vie, plus digne pour toutes et tous. Cette passion pour la justice carbure au traumatisme infantile. Elle a transformé le désir de vengeance en lutte pour un monde plus égalitaire, de justice et de solidarité et l’ordre dans lequel toutes et tous peuvent mener une existence paisible [8].

          Pour appuyer cette posture philosophique dans L’ascension du chevalier noir, Christopher Nolan fait traverser au personnage de Bruce Wayne une véritable kénose christique où ce dernier est dépouillé de sa fortune afin de s’assurer que ce dernier ne soit plus associé à l’élite financière du monde, mais uniquement à son personnage de Batman  [9]. Ceci permet à l’auditoire touché par la récession, de s’identifier pleinement au héros qui désormais fait partie des personnes exclues économiquement. En ce sens, Batman représente l’antithèse de Bane. Batman, rejetant la tentation de la révolte chaotique, revêt alors une dimension messianique en incarnant la dimension collective et individuelle comme le laisse entendre Ryan Castillo :

Le chevalier noir post an 2000 agit comme un thérapeute états-unien qui met en lumière les contradictions individuelles et collectives. Ces contradictions se résolvent par l’incarnation au sein d’une même personne de la cohérence entre le langage et les actions. Bruce Wayne parle passionnément du bien commun et Batman met en œuvre ces valeurs subversives tout en respectant l’autorité.  [10]

          Cette autorité est représentée par le souvenir du père de Bruce, Thomas Wayne. Ce dernier apparaît à la fois comme la figure d’autorité et l’image réconfortante. Elle apparaît au moment où le personnage de Bruce Wayne traverse un autre événement traumatique lui rappelant une chute dans un puits lors de son enfance. Cette chute fondatrice (à l’origine de son alter ego) où ce dernier voit son père le sauver, renforce d’autant l’association à une figure christique. Dans le contexte du récit, la figure paternelle est une allégorie de la divinité qui envoie son fils sauver le monde  [11]. Par cet appel, Bruce Wayne/Batman fait le choix de la vie comme source de transformation plutôt que la destruction radicale qui demeure toujours pour ce personnage, la tentation à éviter.

          À la différence de Bane, le personnage de Batman  constitue une figure emblématique de l’ordre qui apparaît comme une : « Une forme de sauveur séculier  nous aidant à confronter nos anxiétés psychologiques face aux problèmes socioéconomiques » [12].

Wayne et Kyle

La dyade Selina Kyle/Miranda Tate : trahison et rédemption

          Il importe d’examiner brièvement les personnages féminins de cette œuvre. Les deux personnages démontrent une complexité plus grande que l’usuel faire-valoir de la masculinité [13]. Elles offrent une certaine alternative aux stéréotypes sexistes classiques caractérisant la majorité des films du genre. Les deux personnages possèdent leurs propres motivations et traits de personnalité. Elles représentent l’altérité qui permet au personnage de Bruce Wayne/Batman de parvenir à une intégration de ses propres contradictions.

          De plus, le personnage de Selina Kyle constitue la métaphore des personnes appauvries (une allusion au mouvement des indignés) qui tente de survivre parfois à la marge de la légalité.  Dans cette perspective, Selina Kyle revêt en grande partie des traits de Marie-Madeleine dont l’ambiguïté se manifeste encore dans l’imaginaire occidental par le binôme chute/rédemption. À l’instar de ce personnage biblique, la dichotomie chute/rédemption se traduit de manière sécularisée par celle de l’intérêt purement individuel/le bien commun [14]. Batman agit comme un véritable messie en proposant à Selina Kyle une autre voie, certes difficile et semée de danger, mais gratifiante et plus humaniste au point où celle-ci accepte le rôle de corédemptrice. Quant à Miranda Tate, celle-ci est le reflet inversé de Selina Kyle : elle semble offrir la rédemption par un apparent souci du bien commun pour révéler par la suite une forme  de trahison qui s’enferme uniquement dans la vengeance et l’intérêt individuel au détriment de millions de personnes [15]. Bien que ces personnages féminins s’écartent du stéréotype de la « demoiselle en détresse », ils demeurent néanmoins dans une certain cadre androcentrique où les personnages féminins apparaissent ambigus. D’une certaine façon, cela les rend plus complexes et pave la voie vers d’autres héroïnes assumant un jour, espérons-le, pleinement des référents hors des schèmes patriarcaux [16].

          En résumé, l’artifice narratif de la trahison et de la rédemption, particulièrement le personnage de Selina Kyle, joue un rôle-clé dans le développement et la résolution de l’intrigue.

Patrice Perreault

Suite de l'article :
2. La passion selon Christopher Nolan

Notes

[1] Par exemple, Chuck Dixon, Denis O’Neil  et al.,  Knightfall, DC comics 1993 et Frank Miller, Batman : Year one, DC Comics, 1987.

[2] Voir la thèse de Ryan Castillo, Rhetorical Style and the Superhero Mythos : Toward a Theory of Contemporary Style for the Twenty-First Century, 9.

[3] Christopher Nolan adopte une posture nettement conservatrice dans L’ascension du chevalier noir. D’une part, il met l’accent sur le fait que Bruce Wayne perd une partie de sa fortune à la suite d’un investissement dans une forme d’énergie verte (rendant ainsi ambigu les groupes  environnementaux. L’autre perte est liée aux manœuvres de Bane) et semble adopter une perspective négative quant au mouvement des indignés d’autre part. Comme le souligne Catherine Shoard, «  Dark Knight Rises: fancy a capitalist caped crusader as your superhero?  » The Guardian, (17 Juillet 2012)  : «  C’est sans surprise que L’ascension du chevalier noir maintien le statu quo de la finance.  Le film de Christopher Nolan fait référence au fossé entre les 99% et le 1%. Les premiers sont diabolisés. Leurs révoltes et gestes doivent être réfrénés, les cris de protestations doivent être tus.  » La traduction est la nôtre.

[4] Will Brooker, «  The Dark Knight Rises  », Time Higher Education (19 juillet 2012).

[5] Cette dimension religieuse est explicitement mentionnée dans le premier film de la trilogie. Le mentor de Bruce Wayne Henri Ducard (Liam Neeson) a cette merveilleuse réplique dévoilant la fonction du langage religieux : «  Mais si vous parvenez à devenir [être perçu par les gens] plus qu’un être humain, si vous vous dédiez à un idéal, alors vous deviendrez quelque chose de totalement différent: une légende  » (Batman le commencement). Le langage religieux construit la perception et la conviction qui nourrissent, à leur tour, le discours religieux. Il s’agit essentiellement d’une dialectique. Le processus de tradition et de rédaction  de la Bible s’apparente grandement à l’élaboration d’une rhétorique mythique. Par exemple, plus les évangiles sont tardifs (songeons à l’évangile johannique) plus le personnage de Jésus de Nazareth apparaît surhumain et manifeste des caractéristiques proprement divines. Pour s’en convaincre, la comparaison entre les récits de Marc et ceux de Jean illustre cette dynamique. Pour un regard similaire, Frédéric Lenoir aborde la création de la doctrine chrétienne sous cet angle. Voir Frédéric Lenoir, Comment Jésus est devenu Dieu, Paris, Fayard, 2010.

Plus près de nous, le discours religieux a conduit, dans le passé, à défier les membres du clergé. Songeons simplement à une théologie ancienne du sacerdoce catholique qui faisait des prêtres des êtres plus qu’humains qui par le « pouvoir » qui leur était conféré par l’ordination. Cette théologie déterminait la perception des gens et des prêtres eux-mêmes qui se percevaient comme des êtres supérieurs! Vatican II a heureusement corrigé cette perception.

[6] Will  Brooker, art. cit.; Josef Siroka, «  Batman ne porterait pas le carré rouge  », La Presse (24 juillet 2012) .

[7] Greg Cox , The Dark Knight  Rises (Novel), London, Titan Books, 2012, 373.

[8] Will Brooker, Hunting The Dark Knight. Twenty-First Century Batman, London, I.B. Taurus, 2012, 170-177. Greg Cox, op.  cit., 365; Josef Siroka, art. cit.

[9] Carolyn Fischer met l’accent sur le fait de la hiérarchie des classes socioéconomiques est occultée dans l’univers de Batman où l’accumulation même  de richesses contribue aux crimes qu’il combat. Cet élément, en plus de l’usage de la force, sert à réaffirmer dans un contexte angoissé que Bruce Wayne/Batman, comme homme états-unien, représente l’idéal-type du rêve états-unien capitaliste . Sa thèse féministe fort intéressante met en exergue ces traits androcentriques. Voir Carolyn Fischer, Remas(k)ulating the American Man : Fear and Masculinity in the post-9/11 Superhero film, 38-50.

[10] Ryan Castillo, op. cit., 113-114. La traduction est la nôtre.

[11] Greg Cox, op. cit., 303.

[12] Ryan Castillo, op. cit., 107.

[13] Carolyn Fischer, op. cit., 52-53.

[14] L’opposition entre l’intérêt individuel et le bien commun constitue l’enjeu primordial du film et structure l’ensemble de la trame narrative. Batman, réduit à la pauvreté, devient figure emblématique de la générosité jusqu’au don suprême de sa vie. Cela s’observe dans le dialogue entre Bruce Wayne et Selina Kyle celle-ci lui indique qu’il ne doit plus rien à Gotham, il a tout donné à la ville. Il doit désormais se sauver avec elle. Bruce réplique qu’il n’a pas encore tout donné impliquant ainsi qu’il combattra jusqu’à la mort. Cet échange représente la clé d'interprétation (individu/intérêt personnel versus communauté/bien commun) de l’ensemble de la trilogie. Voir Greg Cook, op. cit., 351.

[15] Carolyn Fischer, op. cit., 51.

[16] C’est le souhait de Carolyn Fischer auquel nous adhérons : « Le recours, depuis des décennies, des supers héros classiques peut ne jamais disparaître, mais nous pouvons espérer que dans le futur, les diverses incarnations des films, nous pouvons commencer à percevoir le retrait tant dans le parcours narratif que dans la société du récit prédominant de la «sécurité et de la protection», même en présence d’une menace. Nous pourrons voir émerger de nouveaux supers héros favorisant un «empowerment» tant pour les hommes que pour les femmes et qui ne se  rattachent plus aux stéréotypes oppressifs d’une époque révolue ».  Voir Carolyn Fischer, op. cit., 55. La traduction est la nôtre.

 

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