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Bible et culture
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chronique du 16 mai 2014

 

Mad Noah : la naissance des extrémismes

Noah

(Les images sont la propriété exclusive de Paramount Pictures.)

Dans un monde à la Mad Max, Noé a des visions qu’il interprète comme le signe d’une catastrophe imminente : « le Créateur » a décidé de détruire l’humanité par un déluge. En prenant la route pour demander conseil à son grand-père Mathusalem, Noé et sa famille recueillent Ila, seule survivante d’un massacre et sont interceptés par des géants de pierre à quatre bras, les Veilleurs, des anges que le Créateur a privés de leurs ailes parce qu’ils avaient voulu aider les premiers humains. Noé rencontre Mathusalem dans une caverne : le vieil homme lui permet de comprendre qu’il devra bâtir une arche pour abriter « les innocents » : un couple de chaque espèce animale. Les Veilleurs l’aident dans cette tâche. Surgit alors Toubal-Caïn, qui se prétend roi des humains. Ses troupes tentent de s’emparer de l’arche, mais sont massacrées par les Veilleurs, qui obtiennent ainsi le pardon divin et sont réintégrés au ciel. Noé est persuadé que l’humanité doit définitivement s’éteindre avec ses enfants. Malheureusement, Ila est enceinte et donne naissance à des jumeaux, que Noé décide de massacrer. Saisi de compassion, il les épargne au moment où il levait son poignard pour les transpercer : le film se termine avec Noé bénissant ses enfants et petits-enfants.

Noah

     Noah est un mauvais film, un navet à gros budget, dans lequel tout est attendu. La plupart des personnages sont terriblement clichés (Toubal-Caïn a une grosse masse d’armes et parle fort en postillonnant beaucoup : c’est donc un méchant). Certains plans sont gênants de mièvrerie (les animaux se font des câlins devant un arc-en-ciel photoshoppé). Même la musique est prévisible! Remarquons aussi qu’il s’écarte du texte biblique par bien des aspects : pour ne citer que deux exemples, Toubal-Caïn, dans le seul passage où il soit mentionné (Genèse 4,22) n’a aucune prétention à une royauté universelle et les Veilleurs sont empruntés au Livre d’Enoch, un apocryphe. Le film retient toutefois l’attention par un aspect, directement inspiré de la Genèse : l’ambiguïté du personnage de Noé.

     Contrairement à d’autres patriarches (Abraham au moment de la destruction de Sodome et Gomorrhe; Moïse quand Dieu veut anéantir les fils d’Israël), à aucun moment du texte biblique Noé n’essaie d’intercéder pour sauver l’humanité : « “Je vais les détruire avec la terre. (…) Entre dans l’arche, toi et avec toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils.” (…) C’est ce que fit Noé ; il fit exactement ce que Dieu lui avait prescrit. » (Genèse 6,13-22, Traduction œcuménique de la Bible) Le film de Darren Aronofsky va bien plus loin que cela. Noé est le misanthrope ultime, considérant comme une nuisance aussi bien les humains qu’il rencontre que l’humanité en général puisqu’il refuse toute descendance à ses enfants : « toi Cham, tu seras le premier à mourir, toi Sem, tu nous enterreras, et toi Japhet tu seras le dernier humain sur terre ». Ce qui anime Noé, c’est un fanatisme absolu, psychopathe : il est persuadé d’être « juste » et d’agir avec « justice ». La façon dont il épargne in extremis ses petits-enfants est plus un coup de théâtre venu de nulle part qu’un vrai changement d’avis, convaincu et convainquant. Le texte biblique n’est pas aussi absolu : Noé ne cherche ni à mettre les humains en garde ni à fléchir Dieu mais on ne sait pas ce qui chez lui motive cette absence de compassion. On pourrait ainsi dire que Noah reprend une piste, une possibilité du texte biblique – une seule – et qu’il la développe en la tirant vers ce qu’elle pourrait avoir de plus extrême.

Noah

     Noah ne donne pas accès aux pensées du « Créateur », alors que la Bible nous fait partager les motivations et intentions de Dieu. Avant la catastrophe, il est las de la « corruption » causée par les humains. Après le déluge, « il se dit en lui-même : “Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme (…) plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait.” » (Genèse 8,21) Dans le film, au contraire, on ne peut connaître de la pensée divine que ce que Noé en dit, puisqu’il refuse à tout autre que lui-même la possibilité de comprendre le vouloir du Créateur. À ce titre, le film ne propose aucun contrepoint à la perspective de Noé. En définitive, Dieu se confond complètement avec le patriarche. Il est à ce titre frappant que la bénédiction finale de Dieu dans le récit biblique : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre. » (Genèse 9,1) soit dans le film mise dans la bouche de Noé. Cette confiscation par un seul « héros » de la volonté divine entre parfaitement dans la logique fanatique du personnage : Noé peut exprimer pleinement sa haine génocidaire parce qu’il se croit la voix unique de Dieu. Également parce que le film ne propose aucune échappatoire à une telle confiscation, aucun point de vue sur Dieu extérieur à Noé.

     L’auteur du film adhère-t-il à ce fanatisme de Noé? Peut-être. Veut-il seulement le temps d’un film faire partager le point de vue d’un personnage négatif et psychopathe? C’est possible également. Dans un cas comme dans l’autre se pose une question cruciale de responsabilité. En prenant en otage le spectateur pour lui faire partager le point de vue unique de Noé, sans apporter aucun élément de distance, le film est une adaptation irresponsable de la Bible. Ce qu’on voit dans Noah c’est la naissance des extrémismes : on prend une partie du texte biblique seulement, une seule de ses possibilités, on en évacue toute ambiguïté, toute obscurité et on la réduit à un message, à un slogan, à une conviction indéracinable qu’on ne remettra jamais en question et au nom de laquelle on pourrait partir au combat le cœur léger « car cela est juste ». La scène où les Veilleurs défendent l’arche est à ce titre terrifiante : lorsqu’ils réalisent que Dieu les accepte enfin dans son ciel, ils redoublent d’efforts pour broyer, écraser, émietter la matière humaine qui les entoure. On dirait des croisés massacrant des musulmans en étant persuadés de gagner le paradis, des djihadistes parés pour l’attentat ou des extrémistes prêts à annihiler le cœur léger un hypothétique axe du mal.

Antoine Paris

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Le Fils de Dieu : plus convaincu que convaincant