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Bible et culture
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chronique du 7 novembre 2014

 

Le divin muet

Klaus Kinski (Aguirre) dans Aguirre, la colère de Dieu

Klaus Kinski (Aguirre) dans Aguirre, la colère de Dieu (Werner Herzog Filmsproduktion, 1972)

La parole de Dieu dans Aguirre, la colère de Dieu

     C’est l’automne. Les feuilles tombent, les têtes aussi. Dans Aguirre, la colère de Dieu, des conquistadors en quête d’un hypothétique Eldorado vont périr les uns après les autres, dans une jungle de plus en plus étouffante, par les flèches des indiens, la faim, la fièvre et surtout la folie furieuse de leur chef Aguirre. À un moment de leur aventure, deux indiens viennent à leur rencontre au milieu du fleuve. Le moine qui accompagne l’expédition leur tend une Bible : « Voici une Bible : elle contient la Parole de Dieu, que nous apportons pour éclairer les ténèbres de leur monde. » L’indien reçoit le livre, le porte à son oreille et le rend au prêtre en murmurant quelques mots. « Il dit qu’elle ne parle pas. », traduit l’interprète. Aussitôt tous les Espagnols le rouent de coups, avant que le prêtre ne l’achève d’un coup d’épée.

     Je ne me lancerai pas dans l’étude détaillée de la question de la Bible comme « Parole de Dieu ». Je vous partagerai plutôt quelques rêveries qui me passent par la tête quand je repense à cette scène.

     Qu’est-ce que la Bible, ce qu’on m’a appris à appeler la Parole de Dieu ? C’est un pavé. Pas au sens d’un livre très épais (bien qu’en effet ce soit le cas) mais au sens géométrique du terme. Un volume formé approximativement de six côtés de forme rectangulaire. Un parallélépipède rectangle. Un volume. C’est-à-dire quelque chose qui occupe une certaine place dans l’espace.

     C’est comme ça que l’ainsi nommée Parole de Dieu apparaît dans Aguirre. Comme un objet au bout des mains du prêtre. Comme un certain nombre de pixels sur la surface de mon écran d’ordinateur.

     Je peux toucher la Parole de Dieu : elle est plus ou moins lisse ou rugueuse, plus ou moins légère ou pesante. Parfois elle tient dans ma poche, parfois je dois la tenir à deux mains tant elle est lourde.

     Un objet, un volume, ne parlent pas. Ils n’ont d’autre langage que le claquement de leur couverture et le froissement de leurs pages.

     Un livre est toujours muet. La Bible est muette. Et si elle est la Parole de Dieu, alors Dieu est un divin muet.

     Quand je parcours les pages de la Bible, des voix résonnent dans ma tête, mais ce ne sont pas celles de Dieu. Parfois, j’entends la voix de mon grand-père me lisant certaines pages. Parfois, celles d’autres personnes qui ont marqué ma vie. Parfois, c’est seulement la mienne.

     Mais ce n’est pas une parole. C’est une traduction, peut-être. Ou une description des signes noirs qui constellent la page, que je me fais à moi-même. Une description plus rapide que quand j’étais un enfant, parce que j’ai fait quelques progrès depuis que j’ai commencé à apprendre à lire.

« Ici, il y a les signes dont on m’a dit qu’ils disaient « Dieu » »
« Avant, c’est « au commencement » »
« Là, c’est « créa » »
« « le ciel » »
« « la terre. » »

     Dieu est un divin muet.

Charlie Chaplin

Charlie Chaplin dans Les Lumières de la ville (Charlie Chaplin, 1931)

     Après tout, peut-être que c’est pour ça qu’on cherche des signes de Dieu. Parce que, comme tous les muets, il s’exprime seulement en remuant les doigts et les mains. En langage des signes.

     Un muet qui, comme Zacharie, se fait tendre une tablette pour noter ce qu’il voudrait dire.

« « Au commencement » » 
« « était » » 
« « le » »
« « Verbe. » »

Antoine Paris

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