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Bible et culture
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chronique du 8 mai 2015

 

Homélie viking

Une croix chrétienne sur un bréviaire

Une croix chrétienne sur un bréviaire (Vikings, saison 2, épisode 4)

Un des personnages les plus passionnants de la série Vikings, diffusée depuis 2013, est le jeune moine Athelstan. Fait prisonnier par les Vikings et ramené comme esclave dans les terres du Nord, il se lie d’amitié avec le chef Ragnar Lothbrok et finit par combattre à ses côtés, y compris lors de raids dans les terres chrétiennes qui deviendront l’Angleterre. Fasciné autant que tourmenté par les croyances vikings, il ne renonce pas pour autant à son attachement au Dieu chrétien, ce qui en fait justement un personnage fascinant de par la sincérité de ses luttes intérieures.

Ragnar - Ainsi donc tu es retourné à ta foi et tu as renoncé à la nôtre.
Athelstan - J’aimerais que ce soit aussi simple. Dans la douceur de la pluie tombant du paradis, c’est mon Dieu que j’entends. Mais dans le tonnerre, je continue à entendre Thor. Telle est ma douleur.

La Passion d’Athelstan

     Dans une scène [1], Athelstan a été capturé par les soldats du roi Ecbert, souverain chrétien d’un des royaumes de la future Angleterre. L’évêque du lieu le condamne pour apostasie à mourir crucifié. L’ancien moine est cloué au bois d’une croix, élevé de terre et l’évêque rappelle avec l’assentiment de la foule le motif de l’exécution.

Athelstan crucifié

L’évêque - Voilà ta destinée, apostat. Tu es crucifié au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.
La foule (en chœur) - Amen.

On entend alors faiblement Athelstan balbutier en latin.
Athelstan - In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. C’est-à-dire : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. »

Un cri retentit.

Attendez.

Le roi Ecbert à cheval, vient d’arriver avec des soldats.

L’évêque - Votre majesté.
Le roi - Faut-il vraiment tuer cet homme?
L’évêque - C’est un apostat. Il a renié notre Seigneur Jésus-Christ pour retourner aux coutumes païennes. Il a assassiné de bons chrétiens. Je dis qu’il doit mourir. Je dis qu’il doit être crucifié. (Se tournant vers la foule) Qu’en dites-vous, vous tous?
La foule (en chœur) - Crucifie-le!
Le roi - Détachez-le. (Et comme personne ne réagit.) Je vous ai dit de le détacher!

     Ces quelques lignes de dialogue brodent d’une façon déconcertante plusieurs références bibliques. Tout d’abord, le balbutiement d’Athelstan reprend les dernières paroles de Jésus en croix dans l’Évangile selon Luc : « Jésus poussa un grand cri; il dit : “Père, entre tes mains, je remets mon esprit. ” » Et, sur ces mots, il expira. » (Luc 19,46)

     Le cri de la foule répondant à la question de l’évêque correspond en revanche à la scène finale du procès de Jésus devant le gouverneur romain : « De nouveau, ils crièrent : “Crucifie-le!” Pilate leur disait : “Qu’a-t-il donc fait de mal?” Ils crièrent de plus en plus fort : “Crucifie-le!” (Mc 15,9-14)

     L’évêque jouerait ici le rôle des grands prêtres excitant la foule et le roi Ecbert celui de Pilate, à ceci près - et c’est une différence de taille - qu’au contraire de son homologue romain, le roi Ecbert refuse avec force l’exécution d’Athelstan et ordonne qu’il soit immédiatement détaché.

     Ces décalages apparaissent comme ironiques. Les exécuteurs sont des chrétiens et justifient la mort du condamné par son abjuration de la foi chrétienne. Au contraire, le crucifié est censé être un apostat et un païen!

     Cette ironie est décuplée par une scène de l’épisode précédent (saison 2, épisode 3) où le même évêque fait un vibrant éloge d’un religieux « mort en martyr » sous l’épée viking, avant de frémir lui-même à l’idée qu’il pourrait devenir un martyr de ce genre… Dans la séquence qui nous occupe, cet évêque qui faisait l’apologie du martyre, est en train de faire mourir en martyr celui qu’il juge être un païen et un apostat. Le monde est à l’envers : ceux qui crucifient le font au nom de Jésus-Christ et le crucifié martyr est condamné pour son apostasie et son prétendu retour au paganisme.

     Dans le mouvement de la série, ample et passionnante méditation sur la rencontre entre les religions viking et chrétienne et sur l’idée même de religion, cette scène est un moment-clé. Avec le personnage d’Athelstan, on est à la zone de contact entre religion chrétienne et religion viking, là où les deux religions se superposent, se mêlent, se contaminent sans pourtant se confondre. Rien d’étonnant alors que le crucifié devienne un païen et ses agresseurs des chrétiens. Rien d’étonnant non plus que la chronologie s’inverse et que le nouveau Jésus soit exécuté avant d’être jugé et gracié alors même que l’exécution a déjà commencé.

Une homélie Viking

     Personnellement, je propose de voir cette scène comme une homélie que prononcerait un prêtre défroqué, en exil en terre du Nord, aujourd’hui, dans les banlieues glacées de l’ancienne Kattegat, la cité de Ragnar Lothbrok.

Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, nous sommes réunies aujourd’hui pour célébrer la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ au nom duquel on a tellement torturé et tellement tué.
Le Christ n’était pas un martyr. Il n’était pas un chrétien non plus. (Autant dire que Kant était kantien ou que Justin Bieber est un belieber!)

On devrait même s’interdire de dire qu’il était juste ou bon. Car j’ai trop entendu utiliser la « justice » et la « bonté » pour justifier qu’on frappe, tue ou torture.
Jésus n’était pas le gentil d’un blockbuster manichéen. On tue trop parce qu’on croit être le gentil.

Si on écarte tout cela, que nous reste-t-il?

Rien, sinon que tout crucifié est le Christ. Que toute personne exécutée, légalement ou illégalement, justement ou injustement, à tort ou à raison, est le Christ.
Que toute personne qui tue, avec ou sans raison, tue Jésus-Christ.

Même les mafieux que j’ai tués l’autre jour alors qu’ils s’apprêtaient à violer une jeune fille : ce jour-là, moi aussi, moi qui suis devant vous, j’ai tué Jésus-Christ.

Voilà ce que je crois, comme chrétien, comme prêtre et comme défroqué.

Et peut-être que quand je dis « Jésus-Christ », c’est encore un masque. Oui, vous qui ne croyez pas ou qui croyez autrement, vous avez raison de me dire : « As-tu vraiment besoin de ramener une femme, un homme, à ton dieu à toi, à ton ‘Sauveur’ à toi pour pleurer sur leur assassinat? »

Oui, vous avez raison. Il ne reste plus rien,
plus rien du tout
si ce n’est ceci : toute mise à mort, juste ou injuste, est une horreur. 

[1] La scène est à la fin du quatrième épisode de la saison 2. On peut la visionner sur Youtube.

Antoine Paris

Article précédent :
« Noé avait son arche… Je me suis fait la mienne. »