chronique du 13 novembre 2015

Le reniement de Pierre

Le reniement de saint Pierre
Peintre italien anonyme du 17e siècle
Musée Antônio Parreiras, Niterói (Brésil)

Ce tableau d’un peintre anonyme illustre une partie du récit de la passion dans la cour de la maison du Grand Prêtre. On peut identifier trois groupes de personnages dans ce tableau : 1) à gauche, en arrière-plan – Jésus accompagné de deux gardes; 2) au centre – trois membres de la « cour », dont le statut est indéterminé; 3) à droite – Pierre, l’air grave, entouré d’un garde et d’une servante, à proximité d’un feu.

Le renié

Pendant ce temps, Jésus, celui qui est renié apparaît en toile de fond dans une situation peu enviable de manière à rappeler l’objet fondamental de toute cette scène. La présence de Jésus constitue un élément intéressant dans la composition de l’œuvre, car peu de tableaux de la même époque traitant le même thème mettent Jésus en scène. Ici, le reniement revêt un sens particulier, car le personnage « renié » est à proximité.

Jouer aux dés

Les trois personnages au centre gauche du tableau se trouvent dans une demi-obscurité, ce qui dénote un rôle secondaire. Dans une atmosphère plutôt lugubre, on sent une tension du côté droit du tableau, qui est contrebalancée par la détente relative illustrée par les trois serviteurs qui se livrent à une activité ludique quelconque.

On se demande ce que font ces personnages sur le plancher? D’après mon observation d’autres œuvres traitant le même thème, je pose l’hypothèse qu’ils jouent à un jeu quelconque, par exemple aux dés, mais leur position demeure néanmoins étrange compte tenu de ce que les dés se jouent sur une table en règle générale. J’ai en effet remarqué que beaucoup de tableaux du 17e siècle représentant le reniement de Pierre mettent en scène des gens qui jouent aux dés. Était-ce une mode à l’époque de la composition du tableau? Quelle est la signification du jeu de dés par rapport au thème du tableau? L’hypothèse la plus intéressante est de voir cette scène comme une anticipation, ou une évocation, du passage ultérieur du récit de la Passion où les soldats se partagent les vêtements de Jésus en les jouant aux dés (Luc 23,34).

Le reniement

Le groupe en avant-plan est clairement le plus important. La lumière (de source inconnue) dont ils sont éclairés en fait foi. La servante s’apprête à nourrir le feu dans le foyer, d’où sa position assez particulière par rapport à Pierre, tandis que le garde, très près de Pierre, semble avoir une attitude intimidante, voire menaçante. Il serait la « source du danger » pour Pierre. Celui-ci porte une tunique bleue et un manteau brun, tandis que l’habit du garde semble anachronique, étant inspiré plutôt des uniformes de l’époque de la création de l’œuvre. Pierre fait un geste qui vise à le disculper. (Moi, disciple du Nazaréen? Non, vous vous trompez sûrement de personne!) Pierre est placé au cœur de la composition du tableau. Sa tunique bleu azur et son visage baigné de lumière attirent immédiatement l’attention de l’observateur.

En raison du jeu de lumière sur les personnages, la fonction d’interrogateur est mise en évidence : la servante et le garde, tous deux très proches de Pierre et bien éclairés, font ressortir le « processus d’interrogation » qui mènera au triple reniement. On peut aussi imaginer que le serviteur portant un vêtement bleu, mieux éclairé que ses deux compagnons, est le troisième interrogateur.

Un récit, quatre textes

Le tableau du peintre italien anonyme propose une interprétation « littérale » de la Bible. Le peintre a voulu reproduire le récit du reniement de Pierre en respectant les principaux éléments du texte de Jean 18,15-27. Même en considérant les trois autres versions du récit (Mc 14,66-72; Mt 26,69-75; Lc 22,54-62), on se rend compte que, de façon générale, l’artiste a respecté l’essentiel du récit, à savoir « l’interrogatoire » menant au triple reniement.

Interpréter le tableau en s’identifiant à Pierre

Par la composition de son tableau, l’artiste fait ressortir le processus d’interrogation qui mènera au triple reniement. Les reniements se font souvent sous la pression de la peur (de l’inconnu, de la souffrance, de la mort…). Malgré son attachement à Jésus, Pierre n’échappe pas à cette règle. Mais pour en arriver au reniement, il a fallu que Pierre soit « mis à l’épreuve », et cette épreuve est représentée par les personnages qui sont à proximité de Pierre dans le tableau, c’est-à-dire les interrogateurs.

En regardant ce tableau, je suis porté à m’identifier au personnage de Pierre. En effet, bien qu’ayant vécu une forte expérience de Jésus-Christ, je suis conscient de ma condition de pécheur et de la possibilité d’une « défaillance » de ma part devant l’adversité. Ayant été parfois victime de gestes d’intimidation dans ma jeunesse, je m’imagine dans la situation de Pierre, qui peut se sentir intimidé par ceux qui l’entourent dans la cour du Grand Prêtre.

Michel Charuest

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