Icône de la Pentecôte de tradition byzantine écrite de la main de Françoise Crouzier (photo : courtoisie de l’iconographe).

La Pentecôte ou l’effusion de l’Esprit

Luc CastonguayLuc Castonguay | 27 mai 2019

Dix jours après l’Ascension du Christ, les chrétiens fêtent la Pentecôte ou la Descente de l’Esprit saint : deux appellations pour cette icône. Celle-ci décrit la naissance de l’Église, un baptême par l’Esprit (l’icône dessine par écrit un personnage ou comme dans ce cas-ci un évènement) et interprète le texte des Actes des apôtres (2,1-13).

Un peu d’histoire

La fête de la Pentecôte est de fait la fête juive vétérotestamentaire, Shavouot, la fête des Semaines (sept semaines après la Pessah) qui célèbre les premières récoltes de fruits et de céréales et le don de la Torah (la Loi) sur le mont Sinaï : Dieu nourrit et le corps et l’âme. Elle fut reprise ou retransmise par la tradition chrétienne : « Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. […] Ils furent tous remplis de l’Esprit Saint … » (Ac 2,1-4). Cette fête se célébrait et se célèbre encore cinquante jours après la Pâque (Lv 21,15-20). Nous sommes bien avec cette fête dans la continuité des origines juives de la religion chrétienne; Jésus étant né et mort dans la religion judaïque, comme ses apôtres.

Au début du christianisme, on commémorait la fête de la Trinité et de la Pentecôte en même temps et on les invoquait sur une même icône. Ce n’est que vers le Ve-VIe siècle qu’on les célébra de manière indépendante. « Il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16,7)

Notons aussi qu’en Occident, la Vierge apparaît dans l’icône de la Pentecôte qu’à partir du XIIe siècle, tandis qu’en Orient il faut attendre jusqu’au XVIIe siècle. La présence de la Mère de Dieu à cet événement qui a longtemps été mise en doute, et l’est encore dans certaines communautés de l’Église orthodoxe, est pourtant signalée dans les Actes (1,14). La tradition iconographique des siècles antérieurs laissait cette place centrale vide, ce qui symbolisait le Christ invisible, mais toujours présent par l’Esprit [1].

L’icône reproduite ici a comme tradition une icône russe du XVe siècle, de la cathédrale Sainte-Sophie, de l’école de Novgorod à laquelle l’iconographie plus tardive a ajouté la Vierge [2].

Un peu de technique

Si on analyse la composition de l’icône en partant du haut vers le bas, on s’aperçoit premièrement que chaque personnage est désigné par un rayon partant d’une auréole céleste, ce qui suggère une action divine. Ensuite on remarque dans le décor de l’arrière-plan deux édifices. Chose étrange, un voile rouge est posé sur la toiture de celle de gauche. Ce tissu informe que la scène, peinte en premier plan, se situe à l’intérieur de ce bâtiment que l’on identifie comme le Cénacle de Jérusalem (Ac 1,12-13). Il est intéressant aussi de savoir que la couleur rouge de ce tissu symbolise la présence et l’action de l’Esprit saint et ce dans toutes les icônes où on le voit représenté.

livre

Dans l’avant-scène, douze hommes assis de chaque côté d’une femme sur un même banc. On pourrait penser aux douze apôtres incluant Matthias le nouvel élu (Ac 1,21-25). Mais si nous regardons avec attention, nous voyons que celui à droite de Marie tient un livre tandis que tous les autres ont des rouleaux. Nous tenons ici un indice pour reconnaître cet inconnu qui devrait être de plus identifiable par son effigie (calvitie prononcée, longue barbe et cheveux bruns, etc). Par surcroît nous voyons ce personnage installé, en première loge, avec un autre, de l’autre côté, plus chevelu et plus grisonnant. Aucun doute, nous sommes bien en présence des deux piliers et symboles de l’Église universelle naissante, Paul et Pierre. La Mère de Dieu est facilement identifiable par la couleur de ses vêtements qui lui sont propres et par ses étoiles de virginité perpétuelle qu’elle porte sur son voile et dont la position orante des mains évoque aussi son rôle médiateur dans l’Église naissante.

roi

Sous l’exèdre, au milieu dans un trou noir, un vieux roi tenant dans un linge douze rouleaux. Cette allégorie apparue au Moyen Âge personnifie le roi Kosmos; l’univers en attente du salut tenant les douze rouleaux de la prédication des apôtres. Ce roi fait aussi figure d’empereurs « appelés à Byzance « égaux des apôtres », [qui] sont une allusion à leur rôle missionnaire commencé par les apôtres et continuant l’œuvre de l’Esprit dans l’unité de l’Empire [3]. »

Un peu de théologie

Par sa composition, l’icône est à la fois descriptive et abstraite. Comme la Bible, elle transmet un message divin d’une réalité spirituelle et n’est donc pas l’illustration d’un fait historique. 

Dans l’Église orthodoxe, la Pentecôte et la Trinité se fêtent ensemble : l’icône de la Sainte Trinité est vénérée le dimanche et celle de la Descente de l’Esprit le lundi. Après la révélation du Père à Moïse (Ex 3,14) et l’incarnation du Fils (Jn 1,14), la descente de l’Esprit sur les disciples achève la révélation du mystère trinitaire.

« De la révélation de l’Église céleste constituée des Trois Personnes divines, l’Esprit conduit maintenant à la constitution de son icône terrestre : l’Église des hommes [4]. » L’icône de la Pentecôte nous parle de l’accomplissement de la promesse de Dieu ; l’œuvre du salut est complétée par la descente de l’Esprit. D’ailleurs les Pères de l’Église voyaient dans le Christ le précurseur de l’Esprit [5]. En fait elle montre l’action salutaire de la Trinité sur l’humanité.

Par ces langues de Feu est venu le don de multiplication des langues. Multiplication de dons de l’Esprit saint qui épanouissent les personnes selon un mode unique pour chacune. « C’est à chacun que l’Esprit de la Pentecôte donne d’être traducteur [6]. » Dieu rappelle encore une fois, comme dans l’histoire de Babel, qu’il n’aime pas les projets de langue unique. Il aime la diversité et la multiplicité : l’universalité qui unifie.

Concluons que cette icône s’est composée à travers les siècles de diverses traditions et nous pouvons certainement dire pour un heureux résultat. Son histoire et sa symbolique rendent bien hommage à cette grande fête qui célèbre la naissance de l’Église du Christ et la reconnaissance du mystère trinitaire en plus de la mission apostolique et la promesse universelle du salut. « L’icône ouvre sur un espace à la fois de lumières et de ténèbres […] les énergies de l’Esprit saint entrent en action en vue de la libération [7] ».

Luc Castonguay est iconographe et étudiant au Baccalauréat en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Egon Sendler, Les mystères du Christ, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 218.
[2] Jean-Yves Leloup, L’Icône Une école du regard, Paris, Le Pommier, 2012, p. 153.
[3] Egon Sendler, Les mystères …, p. 222.
[4] Paul Evdokimov, L’art de l’icône, Paris, Desclée de Brouwer, 1970, p. 287.
[5] Paul Evdokimov, L’art de l’icône, p. 284.

[6] Claude Geffré, « La lecture fondamentalisme de l’Écriture dans le christianisme » [https://www.cairn.info/revue-etudes-2002-12-page-635.htm#pa19] (consulté le 20 avril 2017).
[7] Hélène Bléré, Le langage de l’icône, Lumière joyeuse, Bruxelles, Racine, 2014, p. 77.

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.