Image tirée de la série Le chat du rabbin, de Joann Sfar

Le chat du rabbin

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 24 juin 2019

Le chat du rabbin est une série de bande dessinée écrite par Joann Sfar et mise en couleurs par Brigitte Findakly. Le premier volet paraît chez Dargaud en 2002, quelques mois après les attentats de New York. On peut y voir une réaction à cette tragédie et un regard critique sur les tensions religieuses dans nos sociétés.

« J’ai voulu inventer une fable qui remette le problème dans le Maghreb, c’est-à-dire la terre d’origine de ma famille paternelle, pour une raison très simple : c’est que le Maghreb est une terre cosmopolite où il n’y a jamais eu de pureté, ni ethnique ni religieuse. Les gens se sont toujours disputés, mélangés, combattus. J’ai essayé de réenchanter ça pour lutter contre les âges d’or que nous vendent les uns et les autres. » [1]

Vendue à plus d’un million d’exemplaires et traduite en 15 langues, la bande dessinée est un conte orientaliste teinté d’humour et de sensualité qui nous plonge dans l’Algérie des années 20, avant l’indépendance du pays. Le chat du rabbin est un personnage iconoclaste, mais attachant, qui acquiert la faculté de parler après avoir mangé un perroquet. Un peu comme dans les Fables de Lafontaine, l’animal démasque les contradictions de la vie humaine ; il nous invite à réviser notre compréhension du monde et nous fait réfléchir sur la pertinence de nos traditions.

Quand notre chat intérieur s’éveille

Le rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin avait refusé de signer la préface du premier tome de la série. Mais son entourage lui a fait découvrir la leçon que tentait d’inculquer Le chat du rabbin. Aussi écrivait-il, quelques années plus tard, une analyse très intéressante qui pourrait s’appliquer à l’ensemble de la série. J’en reproduit un extrait pour illustrer comment l’œuvre est reçue dans la communauté juive :

Le chat est la conscience critique que chacun porte en soi. « On a tous quelque chose en nous d’un chat du rabbin », un chat qui parfois se tait par ignorance ou par manque de courage, par prudence ou par respect des anciens, jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que les anciens peuvent, certes être sages et savants, mais somme toute qu’ils sont humains comme nous, fragiles, avec leurs peurs, leurs désirs, leurs frustrations, leur bêtise et leurs colères. Qu’ils peuvent aussi être prisonniers de leur propre idéologie et devenir de simples perroquets de la tradition, sans innovation, sans confrontation à la modernité, aux changements sociaux, technologiques, philosophiques et politiques. Ce jour-là, notre chat intérieur s’éveille, prend son courage à deux pattes, mange le perroquet et commence à parler. [2]

Une leçon de tolérance

La bande dessinée ne se moque pas des religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam) ni de ceux et celles qui s’en réclament. Elle remet en question la notion de « vérité », surtout quand on en fait un usage idéologique. Le chat philosophe dira, par exemple : « Je n’aime pas trop les jeunes hommes. Surtout quand ils se passionnent pour la religion. Ils la manipulent comme un instrument de pouvoir. » [3]

La problématique de la tolérance est abordée de diverses manières dans les albums mais c’est le thème majeur du septième tome. Une inondation rend la mosquée inaccessible à la prière. L’imam vient rencontrer le rabbin pour que les croyants des deux religions partagent la synagogue. Le rabbin voit l’incident comme « une leçon de tolérance ». Mais le chat avise les deux chefs religieux que les gens ne vont pas accepter cet arrangement et des croyants s’y opposent fortement dès qu’ils découvrent la solution proposée. Lorsque l’inondation atteint aussi la synagogue, la tension continue de grimper et le chat dit qu’il faut trouver un moyen de « faire baisser le niveau de l’eau, le niveau de haine ». [4]

Les Écritures

La torah est au cœur du judaïsme et on remarque des allusions ou des citations fréquentes des Écritures dans la bande dessinée. La critique de l’auteur n’atteint pas la Bible elle-même mais l’usage qui en est faite parfois. Quand, par exemple, le chat s’insurge contre les chatons de la mosquée qui envahissent son territoire, il cite les Écritures pour tenter de persuader le rabbin de les chasser. Le rabbin lui répond alors : « Tu as une lecture trop littérale de la Bible. » [5] L’accueil de l’étranger est une valeur du judaïsme que partagent d’ailleurs les trois religions monothéistes.

Le chat du rabbin n’est donc pas une série pour les enfants ni pour les lecteurs et lectrices qui n’aiment pas être déstabilisés. C’est un récit à l’humour décapant qui nous invite à réviser nos certitudes pour arriver à vivre dans un monde où la coexistence est possible.

Le film

En 2011, la série est portée à l’écran sous le même titre. Réalisé par Joann Sfar et Antoine Delesvaux, ce film d’animation est fidèle à la qualité graphique de l’original. Le scénario est une adaptation des tomes 1, 2 et 5 de la bande dessinée.

Les albums

1. La bar-mitsva (2002)
2. Le Malka des lions (2002)
3. L’exode (2003)
4. Le paradis terrestre (2005)
5. Jérusalem d’Afrique (2006)
6. Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi (2015)
7. La tour de Bab-El-Oued (2017)
8. Petit panier aux amandes (2018)

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

[1] Joann Sfar s’exprimant lors d’une entrevue accordée au réseau RTS Culture en décembre 2017.
[2] Marc-Alain Ouaknin, « Le Chat du Rabbin, « une leçon de tolérance », Le Figaro.fr, consulté en juin 2019.
[3] Joann Sfar, Le chat du rabbin. Tome 1 : La bar-mitsva, planche 37.
[4] Joann Sfar, Le chat du rabbin. Tome 7 : La tour de Bab-El-Oued, planche 43.
[5]
Joann Sfar, Le chat du rabbin. Tome 7 : La tour de Bab-El-Oued, planche 15.

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.

L’auteur des scénarios, Joann Sfar, et Imhotep, le chat qui a accompagné sa famille pendant 18 ans.

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